La proposition de loi visant à permettre le transfert des droits inscrits sur le compte personnel de formation entre titulaires de compte, que j'ai l'honneur de défendre devant vous, est le fruit d'une réflexion de longue date, partagée avec nos concitoyens. Elle est née d'une rencontre avec une citoyenne de ma circonscription, qui s'interrogeait sur l'opportunité de céder, à la veille de sa retraite, les droits attachés à son compte personnel de formation (CPF) à sa fille en difficulté pour s'insérer durablement sur le marché du travail.
Depuis que j'ai déposé cette proposition de loi, il y a maintenant un an et demi, je suis sollicitée chaque semaine par nos concitoyens, qui s'impatientent de voir cette mesure devenir réalité. Je note d'ailleurs que je ne suis pas la seule, et je me réjouis que certains collègues de la majorité se fassent l'écho de cette préoccupation auprès du Gouvernement, par le biais de questions écrites.
Profondément rénové par la loi pour la liberté de choisir son avenir professionnel de 2018, le compte personnel de formation est un des rares droits uniquement à la main des salariés. Il est presque inconditionnel, puisqu'il suffit au salarié de solliciter une formation éligible pour bénéficier die son financement.
Bien entendu, le passage d'un décompte en heures à un décompte en euros est la transformation la plus visible, introduite par la loi de 2018, une transformation qui n'est pas sans répercussions sur la manière dont les salariés perçoivent leur droit à la formation. Cette monétisation a incontestablement créé une appétence chez les salariés : de 600 000 titulaires d'un compte en novembre 2019, nous sommes en passe d'atteindre les 3 millions d'utilisateurs, d'ici à la fin de l'année 2021.
Cet engouement est largement compréhensible. Le CPF est devenu un droit personnel des salariés, qui peuvent l'utiliser sans autre intermédiaire que l'application mobile MonCompteFormation. Vous conviendrez avec moi que, le CPF étant un droit acquis par les salariés, grâce à tous les efforts accomplis durant leur carrière professionnelle, il semble assez naturel qu'ils puissent en disposer comme bon leur semble, notamment à l'heure de leur départ à la retraite.
Si le compte personnel de formation doit évidemment être mobilisé en priorité pour sécuriser les parcours professionnels et financer des formations professionnalisantes, les partenaires sociaux, que j'ai longuement entendus au cours des travaux menés pour la préparation de cet examen, se sont accordés à dire que l'effort de formation pouvait encore être amélioré, en particulier pour éviter les effets d'aubaine, qui conduisent à financer des cours de langues, dont la portée professionnelle est parfois plus que discutable.
Néanmoins, le CPF est un droit et doit demeurer un droit personnel du salarié. Cette proposition s'adresse à tous ceux et à toutes celles qui – et heureusement ils restent nombreux – ne connaissent pas de carrière heurtée, ne sont pas menacés par le chômage et ne sont pas obligés d'engager un processus de reconversion professionnelle en fin de carrière, pour éviter un licenciement.
Ces salariés se sont ouvert des droits à la formation, grâce à leur travail, à hauteur de 500 euros par an, pour un salarié ayant effectué une durée de travail supérieure ou égale à la moitié de la durée légale, dans la limite d'un prêt d'un plafond de 5 000 euros. Cette somme est loin d'être négligeable.
Comment justifier, dès lors, que certains salariés bénéficient concrètement de cet argent, tandis que d'autres emportent avec eux leurs droits virtuels ? C'est à cette contradiction que notre proposition de loi entend répondre. Je vous propose, par un article unique, un dispositif simple : tout salarié pourra céder tout ou partie des droits inscrits sur son compte professionnel de formation à un autre titulaire de compte.
Cette proposition est à la fois une mesure de justice et une mesure d'efficacité. C'est une mesure de justice évidente qui permet de rompre l'inégalité de traitement entre, d'un côté, les salariés qui ont mobilisé leur CPF et, de l'autre, ceux qui n'ont pas eu besoin d'y avoir recours. Les seconds ne sont pas moins légitimes que les premiers à réclamer leur dû.
C'est une mesure d'efficacité, car le transfert des droits permettra à ceux qui en ont le plus besoin de disposer des financements nécessaires à leur formation. Je pense, bien entendu, en particulier, aux jeunes. Par définition, les jeunes actifs thésaurisent moins de droits que leurs aînés, dans les premiers temps de leur carrière.
La Caisse des dépôts et consignations a rappelé, lors des auditions, que le coût d'une formation était d'environ 2 000 euros, ce qui représente quatre années de cumul de droits. Beaucoup de jeunes ne peuvent pas se permettre d'attendre autant pour bénéficier d'une formation, lorsqu'il s'agit notamment de l'obtention du permis de conduire, qui, dans certains territoires, est un impératif si l'on veut trouver un emploi.
Je voudrais ici m'arrêter un instant sur la question du financement de cette mesure et du compte personnel de formation, de manière générale. Je dois bien vous avouer que les auditions menées dans le cadre de cette proposition de loi m'ont laissée perplexe : d'un côté, chacun se félicite de la montée en puissance incontestable du CPF, depuis 2019, d'ailleurs encouragée et valorisée par le Gouvernement, mais, de l'autre, le succès de ce dispositif risque de le faire courir à sa perte.
En effet, le financement du compte personnel de formation repose sur un équilibre financier subtil. Seules sont financées les formations sollicitées par les bénéficiaires d'un CPF : autrement dit, les salariés ne disposent pas d'une cagnotte préfinancée et provisionnée auprès de la Caisse des dépôts et consignations, opérateur en charge du financement du CPF. Pourtant, le passage du décompte en heures au décompte en euros laisse bien entendre le contraire aux salariés. Est-ce à dire que le compte personnel de formation ne serait finalement qu'un droit en trompe-l'œil ?
Le risque d'insoutenabilité du dispositif est tel que certains ont déjà commencé à envisager sa régulation pour ne pas dire sa limitation : ticket modérateur, abaissement du montant de crédit incrémenté annuellement sur le compte des salariés, réduction du nombre de formations éligibles : nous imaginons bien que les idées ne manquent pas pour réduire la portée de ce droit durement acquis par les salariés.
De même, n'oublions pas la place des entreprises dans le financement de ce dispositif. Certes ni la contribution unique à la formation professionnelle et à l'alternance ni la contribution à l'apprentissage ne suffisent à couvrir les besoins en trésorerie de France compétences, contrainte de souscrire des emprunts bancaires, mais les employeurs paient pour le CPF.
La formation des salariés ne peut pas être la variable d'ajustement des déficits publics. Je regrette à ce titre que l'étude d'impact de la loi pour la liberté de choisir son avenir professionnel de 2018 n'ait pas apporté plus d'éléments substantiels sur les effets macroéconomiques de la montée en charge du CPF.
Pour l'heure, la prévision d'un financement de 2,2 milliards en 2021 concorde avec la réalité des faits, mais qu'en sera-t-il demain, quand le CPF sera plus déployé ? Allons-nous faire marche arrière et expliquer aux salariés que leur droit à la formation doit être sacrifié parce que nous n'avons pas su anticiper son coût ? Nous ne pouvons nous y résoudre. Bien au contraire, par cette proposition de loi, nous faisons du compte personnel de formation, un droit plein et entier.
Vous l'aurez noté, cette proposition de loi est brève. Nous n'avons pas voulu entrer dans des détails techniques, car elle est avant tout une proposition de principe : quel avenir souhaitons-nous collectivement pour le CPF ?
Sa concision est aussi un gage d'ouverture à la discussion. Je ne suis opposée a priori à aucun système de transfert. Nous pouvons tout à fait envisager un système de solidarité intergénérationnelle et intrafamiliale, les parents transmettant directement leurs droits à leurs propres enfants. Nous pouvons aussi mettre en œuvre une logique de don entre collègues sur le modèle du don de jours de repos au salarié parent d'un enfant gravement malade ou proche aidant. Dans une optique plus impersonnelle, nous pourrions également créer, au sein d'une même entreprise, un fonds qui serait alimenté de manière volontaire par les salariés et dont le contenu serait redistribué à ceux qui en ont le plus besoin. Beaucoup d'options sont ouvertes.
Mes chers collègues, ce que je vous présente aujourd'hui est, je le crois profondément, une proposition humaniste – qualificatif qui a été employé lors des travaux préparatoires et que j'ose reprendre à mon compte. Transférer ces droits non utilisés à ceux qui en ont le plus besoin, voilà un beau geste de solidarité que nous devons promouvoir.