L'examen des programmes de la mission "Sécurités" est pour nous l'occasion de prendre acte, comme l'an dernier, de la hausse des budgets de la police nationale et de la gendarmerie. Le dernier budget du quinquennat s'inscrit toutefois dans un contexte particulier, après la clôture par le Président de la République du Beauvau de la sécurité et l'annonce d'une grande loi d'orientation et de programmation pour la sécurité intérieure.
Dans son discours de Roubaix, le chef de l'État a mis l'accent sur la nécessité de renforcer la présence des forces de police et de gendarmerie sur la voie publique, sans toutefois s'engager dans une politique de recrutement : l'exécutif mise désormais moins sur la progression des effectifs que sur le réexamen des temps de travail, des cycles horaires et des mobilités, sur des procédures pénales plus courtes, sur le recours aux nouvelles technologies, ou encore sur l'amélioration de la formation. Cependant, toutes les évolutions promises restent pour l'heure cosmétiques.
La question des effectifs n'est pas soldée par la politique de recrutement conduite ces dernières années. Certes, celle-ci a permis d'opérer un rattrapage par rapport à la situation de pénurie antérieure. Deux écueils demeurent cependant : le recours massif aux réservistes, qui met en relief l'insuffisance de l'effort consenti, et l'ampleur des disparités territoriales dans la répartition des effectifs.
Le projet de loi de finances prévoit une montée en puissance de la réserve opérationnelle de la gendarmerie, qui devrait être dotée de 50 000 réservistes en 2024. Mais il ne faudrait pas que les forces de sécurité reposent sur les réservistes, voire sur les gendarmes adjoints, comme c'est actuellement le cas dans les pelotons de surveillance et d'intervention de la gendarmerie (PSIG), au détriment des forces professionnelles. Nous nous interrogeons par ailleurs sur la qualité de la formation dispensée aux réservistes et sur les moyens qui leur seront alloués, sachant qu'ils pourront porter une arme lors de certaines interventions.
Vous prévoyez en outre d'allonger de quatre mois la durée de formation des policiers et des gendarmes, dès l'année prochaine. Étant donné qu'une personne reçue au concours de gardien de la paix attend déjà parfois jusqu'à un an et demi avant d'intégrer une école de police, nous craignons de voir s'aggraver cet engorgement. Le projet de budget ne prévoit pas, en effet, de créer de nouvelles structures de formation.
Enfin, et surtout, le ministre de l'intérieur, à l'écouter, n'envisage pas davantage que le Président de la République de faire évoluer en profondeur les missions de la police. Pourtant, vous ne pouvez ignorer l'érosion de la confiance de nos concitoyens envers les acteurs et les actrices de la paix publique. Cette érosion est le fruit d'une doctrine de maintien de l'ordre qui crée des risques d'emploi excessif de la force, mais aussi du sentiment d'un manque de réactivité des services lorsqu'il s'agit d'intervenir localement ou de prendre en charge les victimes.
C'est tout le problème de l'encadrement d'une police débordée, désorientée et mal considérée, qui peine à trouver les moyens de répondre à une demande de sécurisation croissante. Nous ne répondrons pas à ces difficultés par le seul déploiement de nouvelles technologies ou par la rénovation des équipements, aussi utiles soient-ils : il nous faut bâtir une police et une gendarmerie qui se sentent toujours davantage investies d'une mission de service public et dont l'action ne soit pas seulement tournée vers la sécurité de l'État, mais s'exerce aussi au service de la population. Aussi faut-il rassurer policiers et gendarmes sur l'utilité sociale de leurs tâches quotidiennes et recréer, en particulier pour les policiers, un lien de confiance indispensable avec la population.
L'amélioration des conditions matérielles de travail s'impose. Je pense en particulier aux équipements qui ont manqué aux gendarmes de la compagnie d'Ambert durant la terrible tragédie de Saint-Just : lunettes à vision nocturne, boucliers de protection, ou encore matériel de transmission en zone blanche. Mais les dotations en matériel, bien qu'indispensables, ne suffiront pas à garantir l'amélioration des conditions d'exercice des métiers de policier et gendarme, qui se sont dégradées au fil des réformes, sous l'effet de l'imprécision des missions, des pesanteurs hiérarchiques, d'une surcharge de travail, parfois d'un sentiment d'inutilité…