Intervention de Jean-René Cazeneuve

Séance en hémicycle du vendredi 26 novembre 2021 à 9h00
Favoriser l'implantation locale des parlementaires — Discussion générale

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaJean-René Cazeneuve :

La présente proposition de loi vise à remettre en cause l'interdiction de cumul du mandat de parlementaire avec ceux de maire d'une commune de moins de 10 000 habitants, de maire délégué, de maire adjoint, de maire d'arrondissement ou de vice-président d'intercommunalité, sans limite de seuil, et à permettre le cumul des indemnités.

Le texte propose ainsi de faire machine arrière sur des décennies de processus démocratique : la loi du 3 février 1992, qui a plafonné les indemnités en cas de cumul ; celle du 5 avril 2000, qui a limité à deux le nombre de fonctions exécutives locales ; le Comité de réflexion et de proposition sur la modernisation et le rééquilibrage des institutions de la Ve République, présidé par Édouard Balladur, en 2007 ; la Commission de rénovation et de déontologie de la vie publique, présidée par Lionel Jospin en 2012 ; la loi du 14 février 2014 qui a mis fin au cumul des mandats de député et de maire. Tout a été dit sur la question du cumul des mandats mais, comme par hasard, ce sujet est remis sur la table par l'opposition à quelques mois des élections.

Le groupe La République en marche est défavorable à ce texte pour cinq raisons principales.

La première est que le cumul est déjà possible avec un mandat local : un parlementaire peut être conseiller municipal, départemental ou régional. D'ailleurs, 56 % des députés exercent actuellement un mandat local ; si l'on y ajoute ceux qui en ont exercé un par le passé, près des deux tiers des députés ont un ancrage dans les collectivités territoriales. Nous pouvons participer aux conseils municipaux, prendre des décisions et voter au sein des assemblées locales. Je ne crois pas que représenter les collectivités territoriales implique nécessairement d'en diriger une.

Deuxièmement, le seuil de 10 000 habitants étant totalement arbitraire, il comporte un risque constitutionnel important. Ce seuil est également contre-intuitif au regard de la charge de travail des maires des petites communes et des villages. Beaucoup repose sur eux : avec peu d'agents et un conseil municipal réduit, ils sont à la disposition de leurs concitoyens sept jours sur sept et vingt-quatre heures sur vingt-quatre. Comment pourraient-ils, en plus, être députés ? A contrario, le président d'une métropole peut se reposer sur un directeur général des services (DGS) et sur de très nombreux agents qui lui permettent de consacrer deux à trois jours aux débats à Paris. Maire est un engagement à temps plein, et je veux profiter de cette tribune pour rendre hommage à tous les maires de France qui travaillent sans cesse à l'intérêt général.

Troisièmement, la charge de travail induite par un retour au cumul des mandats serait bien trop lourde. D'après le dernier baromètre AMF-Cevipof, les maires des communes de 1 000 à 3 500 habitants consacrent trente-cinq heures hebdomadaires à leur mandat de maire ; c'est même quarante-cinq heures pour les maires des communes de 3 500 à 10 000 habitants. Je ne sais pas combien d'heures nous consacrons à notre mandat de député, mais qui peut dire ici que député n'est pas un mandat à temps plein ? Comment trouver du temps pour exercer sans compromis les deux fonctions de député et de maire ? La France n'a besoin ni de demi-maires, ni de demi-députés.

Quatrièmement, certains voient dans le cumul des mandats un moyen de faire avancer les dossiers à Paris. Est-ce vraiment ce que nous voulons : un député qui pourrait privilégier telle ou telle commune au détriment des autres ? Faut-il que les 35 000 maires soient députés pour s'assurer que leurs dossiers avancent ? Évidemment que non.

Enfin, soyons réalistes : les députés, quand ils ne siègent pas, sont sur le terrain. Nous sommes au contact permanent de nos concitoyens dans nos permanences, auprès des associations, dans les marchés et sur les bords des terrains de rugby. Il est encore trop tôt pour en tirer toutes les leçons, mais la loi limitant le cumul des mandats – qui n'a pas encore connu un exercice complet – a permis un important renouvellement de la classe politique, son rajeunissement et sa féminisation. Je crois aussi que la venue massive de députés issus de la société civile, particulièrement ancrés dans la réalité vécue par nos concitoyens, a favorisé un formidable travail législatif dans de très nombreux domaines.

Cependant, cette proposition de loi effleure de vraies questions que beaucoup, ici, ont soulevées. Comment réaffirmer le rôle du parlementaire, encore trop méconnu de nos concitoyens ? Comment améliorer l'information et le travail des parlementaires avec le préfet et certains élus locaux ? Comment limiter le cumul horizontal, quand on peut être à la fois maire, président d'une intercommunalité et conseiller régional ? Comment limiter le cumul dans le temps qui conduit à la technocratisation des charges des exécutifs locaux ? Comment organiser une démocratie plus directe entre le député et les concitoyens ? Quel statut pour l'élu ? Voilà des questions fondamentales que nous serions ravis d'aborder. Mais il faut les étudier globalement, sereinement et en concertation avec les élus locaux.

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