Les fonctionnaires et les militaires originaires d'outre-mer, plus particulièrement des collectivités du Pacifique, sont parfois victimes d'inégalités de traitement par rapport à leurs compatriotes de l'Hexagone. C'est une réalité, qui trouve son origine dans plusieurs sources législatives, réglementaires ou administratives. Sans surprise, ces différences de traitement suscitent au sein de la population des incompréhensions et un légitime sentiment d'injustice.
Cette proposition de loi de notre collègue Nicole Sanquer a vocation à combattre ces injustices et à apporter des solutions pratiques à certains de ces problèmes identifiés de longue date, vous l'avez rappelé, madame la ministre, et sur lesquels nous appelons l'attention du Gouvernement depuis plusieurs années. Sur ces sujets, nous progressons pas à pas, et je ne doute pas plus que vous que nous ne parvenions à leur donner une issue positive, aujourd'hui et dans les prochaines semaines, notamment sur l'ITR.
Je rappellerai d'abord la situation des militaires originaires du Pacifique. Comme vous le savez, la place de l'armée y est puissante, son aura importante et son rôle essentiel, notamment en termes de formation et de filières d'emplois, au travers du service militaire adapté (SMA). Plus de 800 jeunes hommes et femmes originaires de la Polynésie française et de Wallis-et-Futuna s'engagent chaque année, ce qui fait du Pacifique un formidable vivier de recrutement pour l'armée ; ces militaires font preuve du même dévouement et du même engagement au service de notre pays que leurs collègues, un dévouement et un engagement que nous devons saluer, encourager et valoriser.
C'est la raison pour laquelle nous considérons qu'ils doivent bénéficier de la même prime d'installation que leurs collègues ultramarins lorsqu'ils sont affectés dans l'Hexagone, de la prise en charge des frais de voyage lorsqu'ils retournent dans leur territoire d'origine mais aussi d'un accompagnement adapté au moment de leur reconversion.
Depuis 1950, notre réglementation prévoit d'accompagner les militaires originaires d'outre-mer lorsqu'ils sont affectés en métropole, mais, pour une raison inconnue, cet accompagnement exclut expressément ceux originaires du Pacifique. À cet égard, je m'associe aux remerciements que vous avez adressés, madame la ministre, à Mme la ministre des armées, qui s'est engagée à remédier, par décret au début de l'année 2022, à une injustice vieille de soixante-onze ans. L'article 3 de la proposition de loi vise à ce que nous puissions définir ensemble les modalités de cette correction. Les obstacles d'ordre budgétaire qui ont été pointés lors de nos auditions doivent être surmontés, afin d'éviter de nouvelles incompréhensions.
Sur le sujet des congés bonifiés, nous avons progressé, puisque le dispositif a été étendu par un décret du 2 juillet 2020 aux fonctionnaires civils et militaires calédoniens et polynésiens, conformément à une demande que nous formulions de longue date. L'article 5 de la proposition de loi va un peu plus loin en alignant le régime des congés bonifiés des militaires sur celui dont bénéficient les fonctionnaires civils.
Un autre sujet essentiel est abordé par cette proposition de loi, celui du CIMM, très joli sigle qui recouvre une série de critères destinés à établir une priorité légale d'affectation dans ces territoires. Vous l'avez dit, un bilan de l'application de ces critères nous a été transmis la semaine dernière, lequel conclut, sans surprise là aussi, à une utilisation satisfaisante, encadrée et précisée par la jurisprudence. Je tiens à dire, madame la ministre, qu'il n'en est rien. Plus d'un élément en témoigne, si tant est que cela soit nécessaire. D'abord, c'est le thème sur lequel le plus grand nombre d'amendements ont été déposés, notamment par Olivier Serva, président de la délégation aux outre-mer, absent aujourd'hui mais très investi sur ce sujet, comme vous le savez. Une illustration presque caricaturale du caractère subjectif de ces critères est citée dans le rapport que notre collègue Stéphanie Atger et moi-même avons rendu : une même personne a bénéficié du dispositif du CIMM pour sa pension d'invalidité, mais n'en a pas bénéficié pour sa pension de retraite. Et ce n'est qu'un exemple parmi d'autres.
Il est important que nous puissions revenir sur l'application de ces critères, trop souvent incohérente et qui donne lieu à des décisions qui nourrissent l'incompréhension, voire la colère, des agents concernés. C'est la raison pour laquelle il est proposé de fixer les critères dans la loi afin de mettre un terme aux divergences d'interprétation.
Je terminerai en évoquant un sujet important – ils le sont tous – qui me tient particulièrement à cœur : celui de l'indemnité temporaire de retraite. Depuis 2019, que ce soit auprès du président de la délégation aux outre-mer, ou dans le rapport pour avis sur les crédits de la mission "Outre-mer" du projet de loi de finances pour 2020, ou encore dans le cadre du rapport d'information que nous avons publié sur la réforme de l'ITR et que vous avez eu la gentillesse de rappeler tout à l'heure, nous répétons que ce sujet doit faire l'objet d'une attention et d'une vigilance particulières.
Ce rapport dresse plusieurs constats : en premier lieu, la réforme de l'ITR décidée en 2008 était légitime, il faut le rappeler, car il fallait mettre un terme à des effets d'aubaine inadmissibles qui permettaient, par exemple, à des fonctionnaires n'ayant aucun lien avec les territoires d'outre-mer et n'y ayant jamais travaillé de choisir d'y passer leur retraite et de bénéficier de cette indemnité.
Toutefois, il convient également de souligner que ces effets d'aubaine ont aujourd'hui disparu. Désormais, plus aucun fonctionnaire n'est autorisé à bénéficier de l'ITR s'il ne dispose pas d'un lien direct avec nos territoires et s'il ne peut justifier d'y avoir accompli au moins quinze années de services effectifs – ce dernier critère ayant été ajouté. L'impact budgétaire attendu, c'est-à-dire la baisse du coût de la mesure, a été validé à plusieurs reprises par l'État. Dorénavant, seuls les fonctionnaires originaires des territoires ultramarins ou qui y sont installés de très longue date pourront prétendre à l'ITR, du moins jusqu'à la disparition complète du dispositif. C'est en cela que réside le deuxième effet, le plus inquiétant, souligné dans le rapport.
Nous avons pu mesurer le taux de remplacement – c'est-à-dire le montant de la retraite d'une personne lorsqu'elle quitte le monde professionnel – à la suite de la disparition progressive de l'ITR : alors qu'il est de l'ordre de 60 % à 65 % en France et en Europe, il passera de 73 % environ à 40 % dans les territoires ultramarins. Plus qu'une baisse drastique, le pouvoir d'achat des anciens fonctionnaires et nouveaux retraités vivant dans les territoires ultramarins diminuera de moitié, au point que certains d'entre eux envisagent de quitter le territoire où ils sont nés pour vivre leur retraite ailleurs, compte tenu du niveau très faible de celle-ci – ils nous l'ont dit et je veux faire état ici de leurs témoignages. Certains d'entre eux toucheront même des retraites inférieures au minimum vieillesse, bien que nous ayons des dispositifs équivalents à celui du minimum vieillesse dans nos territoires.
Le troisième point concerne celui du coût de la vie dans nos territoires : notre collègue Nicole Sanquer l'a rappelé, il est globalement plus élevé, de l'ordre de 33 % à 37 %. Les territoires ultramarins sont ceux où la vie est la plus chère : je prends, à dessein, l'exemple de l'alimentation, pour laquelle les prix des produits sont plus élevés de 73 % en Nouvelle-Calédonie qu'en métropole.
Dans ce contexte, et aussi légitimement qu'il est nécessaire d'indexer les traitements des fonctionnaires, l'indemnité temporaire de retraite, ou l'instauration d'un complément de retraite, est essentielle. Ce sujet est attendu par des milliers de nos compatriotes, vous le savez, madame la ministre. Nous avons récemment franchi – je tiens à vous en remercier – un cap important lors de la réunion que vous avez évoquée et à laquelle nous avons participé, avec Nicole Sanquer et Stéphanie Atger. Ce cap est d'autant plus essentiel que le gouvernement s'était engagé il y a treize ans à mener des discussions avec les territoires ultramarins et les organisations syndicales. Après treize ans d'oubli, nous formons l'espoir de parvenir, avec vous, à des avancées concrètes. Nous serons très attentifs à l'évolution de ce dossier.
Pour en revenir à la présente proposition de loi, je veux rappeler un point de vigilance : lorsque nous aurons instauré une cotisation complémentaire sur la totalité du traitement des fonctionnaires, nous n'aurons pas apporté une réponse à ce qu'on peut appeler la génération sacrifiée de ces fonctionnaires qui n'auront pas le temps de cotiser suffisamment pour compenser cette perte. Mais je sais que vous avez très bien identifié ce problème.
Nous devons donc progresser ensemble sur ces sujets. À cet égard, l'annonce de la création prochaine – l'objectif annoncé est le premier semestre 2022 – d'un comité consultatif, sous l'égide du ministre des outre-mer et associant les organisations syndicales, est une très bonne nouvelle.
Je conclurai en soulignant que les occasions d'évoquer les questions des militaires et des fonctionnaires des outre-mer sont assez rares dans l'hémicycle. En soumettant cette proposition de loi à votre examen, nous défendons la voix de nos compatriotes qui rencontrent un trop grand nombre de difficultés quotidiennes. Je souhaite que nos débats permettent de confronter nos idées et de répondre à leurs préoccupations légitimes.
Le groupe UDI et indépendants votera bien évidemment en faveur de cette proposition de loi.