Intervention de Jean-Michel Clément

Séance en hémicycle du lundi 13 décembre 2021 à 21h30
Accès au foncier agricole — Discussion générale

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaJean-Michel Clément :

Seulement 389 000 : c'est le nombre d'exploitations agricoles en France selon les résultats provisoires du recensement décennal organisé par votre ministère. Entre 2010 et 2020, 100 000 exploitations ont disparu, soit plus de 20 % d'entre elles, notamment sous l'effet de nombreux départs à la retraite d'agriculteurs non remplacés. Si l'on ajoute à cela que la surface dédiée à l'agriculture est toutefois restée stable sur cette période, force est de constater que l'agrandissement des exploitations continue et, avec lui, la financiarisation de l'agriculture.

Depuis les premières lois d'orientation agricole, l'installation a toujours figuré parmi les objectifs premiers, au côté de la nécessaire modernisation des exploitations. Face à la réduction continue du nombre d'exploitants, les dernières lois d'orientation ont fait de l'installation une priorité. Les instruments de régulation instaurés dès 1960, contrôle des cumuls, devenu contrôle des structures, et SAFER sont toujours présents dans notre ordonnancement juridique et économique. Ont-ils eu l'efficacité souhaitée par les législateurs successifs ? Apparemment non. Leur a-t-on donné les moyens d'agir pour atteindre ces objectifs ? Sûrement pas. Il y a un fossé grandissant entre le discours et les actes, et ce n'est pas cette proposition de loi qui le démentira.

Où en sommes-nous ? L'installation est devenue trop chère pour nombre de jeunes agriculteurs, pas forcément parce que leur rémunération est trop basse, mais souvent parce que le coût du foncier est prohibitif, sans commune mesure avec sa seule valeur économique. Dans ce contexte que peut faire la SAFER, qui fonctionne depuis longtemps sans financement public et à qui certains reprochent son caractère commercial – mais comment la blâmer ? Que peut faire le contrôle des structures face au droit de propriété ou face au phénomène sociétaire qui a envahi l'agriculture ? L'obsolescence des outils d'intervention imaginés hier est devant nous, et ce n'est pas votre proposition de loi qui va les réhabiliter.

Un consensus, pourtant, se dégageait parmi tous les acteurs concernés. Syndicats agricoles, associations d'élus, ONG environnementales, tous s'accordaient pour en appeler à plus de régulation dans une déclaration adoptée en novembre 2019 à l'Assemblée nationale, à l'issue d'un colloque qui aurait dû faire date. Ils en appelaient à une grande loi foncière ambitieuse. Seul le ministère de l'agriculture et de l'alimentation manquait à l'appel de cette ambition.

Rendre de nouveau la terre accessible à ceux qui la travaillent imposait de mettre en œuvre une ambitieuse réforme pour l'accès au foncier agricole. Ce n'est pas le choix fait avec cette proposition de loi, qui laisse de côté des questions essentielles, comme le travail agricole délégué, pour tenter de parer au plus urgent : la régulation des structures sociétaires, devenue le cheval de Troie de tous les contournements de la loi. Le format sociétaire permet en effet d'échapper à toutes les contraintes.

L'objectif affiché de votre texte est de « mettre fin à un angle mort de la régulation qui bouleverse le paysage agricole français. » Le résultat, toutefois, risque de ne pas être à la hauteur de l'ambition. Disons-le d'emblée, le texte souffrait dès l'origine de lacunes et de défaillances, auxquelles sont venus s'ajouter de nouvelles compromissions au Sénat, et des accommodements en commission mixte paritaire.

Nous arrivons à la fin de la procédure législative, et le texte laisse désormais libre cours à ceux qui désireront contourner les nouvelles obligations, tout en pérennisant une inégalité de traitement entre les exploitations agricoles sociétaires et celles individuelles, qui font l'objet d'un contrôle des structures à un seuil moindre.

Par ailleurs, comment s'assurer de toutes les transactions sur les titres sociaux, quand on sait la diversité des acteurs susceptibles d'intervenir dans ces opérations, experts-comptables, centres de gestion, notaires, avocats, agences immobilières, spécialisées ou non, sans parler des intéressés eux-mêmes ? Qui vérifiera le contenu de toutes ces transactions ? La SAFER, qui transmettra au préfet, dont les services, faute de moyens, peinent déjà à faire respecter la réglementation actuelle ? Il sera tellement facile d'anticiper ou de complexifier les montages juridiques que seuls les étourdis se feront rappeler à l'ordre.

Je regrette en outre que la proposition de loi manque d'effectivité pour contrôler les transferts de propriété effectués via des holdings situées à l'étranger. Vous prévoyez d'exempter l'ensemble des donations de ce nouveau dispositif. Comment garantir que cette disposition ne donnera pas lieu à des contournements, comme ce fut le cas lorsque toutes les donations de terre étaient hors du champ de préemption de la SAFER ? De même, je crains que les préfets de région ne soient ni en capacité, ni même enclins à retirer l'autorisation administrative octroyée à une opération lorsqu'ils constateront que les exploitants ne se seront pas conformés à leurs engagements. D'ailleurs, seront-ils simplement en mesure d'assurer le suivi de ceux-ci ?

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