Derrière l'engouement que suscite, depuis quelques années, le travail indépendant, motivé par la volonté d'être plus autonome, de trouver un meilleur équilibre entre vie professionnelle et personnelle, de retrouver du sens et de l'éthique dans le travail, se dissimule une grande variété de situations. Les indépendants regroupent en effet un grand nombre de métiers du quotidien, qui vont du commerçant à l'agriculteur, des artisans aux professions libérales, métiers qui tous se caractérisent par un déficit de protection sociale.
Le présent texte a été élaboré pour, selon le Gouvernement, offrir aux entrepreneurs un cadre plus simple et plus protecteur au moment de la création de l'entreprise, et pour les accompagner tout au long de l'exercice de leur activité. Pour y parvenir, la mesure phare consiste en la création d'un nouveau statut d'entrepreneur individuel, qui repose sur un régime légal de séparation des patrimoines afin de mieux protéger le patrimoine personnel. L'idée est excellente, mais comme trop souvent dans les textes du Gouvernement, il y a loin de la coupe aux lèvres ! En effet, comme l'ont souligné nombre de nos collègues en commission, il y a malheureusement fort à parier que les effets de cette réforme sur la protection des biens personnels des entrepreneurs individuels ne seront pas ceux espérés.
Vous souhaitez, monsieur le ministre délégué, madame la rapporteure, monsieur le rapporteur, que le droit de gage des créanciers se limite au seul patrimoine professionnel, mais vous prévoyez des exceptions qui, faute de tenir compte des rapports de force économiques, vident de son contenu votre pétition de principe. Pour garantir l'efficacité du dispositif, il vous aurait fallu supprimer la faculté laissée à l'entrepreneur de renoncer à la protection de son patrimoine personnel, interdire le cautionnement sur ses biens personnels ou garantir à tout le moins, sans renonciation possible, l'insaisissabilité de sa résidence principale. Faute de quoi, les banques pourront continuer demain d'imposer leur volonté ! Je conviens qu'un durcissement du dispositif aurait sans doute conduit les indépendants à rencontrer plus de difficultés pour obtenir un crédit, mais rien ne vous interdisait de réfléchir à un dispositif de garantie publique des crédits souscrits par les entrepreneurs concernés. Nous nous voyons confortés dans l'idée qu'il est nécessaire de doter notre pays d'une grande banque publique à même de financer les investissements publics et privés nécessaires, et de proposer des prêts à taux zéro pour accompagner les entrepreneurs.
Vous proposez par ailleurs, afin de mieux protéger les indépendants en cas de défaillance, d'assouplir les conditions d'accès à l'ATI. C'était une mesure attendue que nous aurions pu accueillir favorablement. Mais, outre le fait que vous ne réévaluez ni le montant ni la durée de la prestation, cette mesure se paye malheureusement en retour de la mise en place d'un délai de carence de cinq ans à la suite d'une défaillance.
De plus, votre texte contient des incertitudes, notamment pour les agriculteurs, qu'il soumet aux nouvelles dispositions communes applicables à tous les entrepreneurs individuels. J'ai bien noté que vous venez, monsieur le ministre, de lever les craintes que j'avais exprimées en commission : je ne doute donc pas que vous nous donnerez toutes les garanties à ce sujet. En effet, alors que le traitement des difficultés économiques des exploitants agricoles bénéficie depuis 1988 d'un cadre législatif spécifique qui permet d'adapter les procédures collectives aux caractéristiques particulières des exploitations agricoles, ce texte, en l'état, le remet en cause, plaçant les exploitants agricoles individuels sur le même plan que les professions indépendantes.
La dissociation du patrimoine professionnel du patrimoine personnel, ouvrant la possibilité d'appliquer des procédures spécifiques à l'endettement privé, méconnaît profondément la faiblesse chronique des revenus des agriculteurs qui les conduit très souvent à contracter des prêts à la consommation pour financer, en réalité, leur exploitation. Ces difficultés seraient dorénavant traitées par la procédure de surendettement des particuliers, soit sur un échéancier maximal de sept ans au lieu de quinze ans pour les procédures collectives agricoles actuelles. Votre texte prévoit aussi d'ouvrir la procédure de surendettement des particuliers aux dettes professionnelles de l'associé exploitant en société agricole en les traitant moins favorablement que les dettes professionnelles des exploitants en nom propre, ceux-ci pouvant aujourd'hui demander l'ouverture d'une procédure collective pour l'intégralité de leur patrimoine professionnel et personnel, ce qui leur permet d'obtenir un échéancier sur quinze ans n'entraînant pas la vente des biens immobiliers essentiels à la poursuite de l'activité. L'application de la procédure de surendettement des particuliers pour des dettes considérées comme professionnelles pourra désormais conduire l'agriculteur à exposer sa maison d'habitation aux saisies de créanciers professionnels. J'ai déposé plusieurs amendements pour revenir sur ces dispositions. J'espère qu'ils seront pris en compte.
Enfin, vous oubliez les travailleurs des plateformes alors qu'ils subissent les effets d'un contournement honteux des garanties du salariat. L'occasion vous était pourtant offerte d'anticiper la traduction législative de la récente décision de la Commission européenne, qui instaure une présomption de salariat pour les travailleurs du numérique.
Vous comprendrez, mes chers collègues, que nous ne nous laissions pas griser par l'enthousiasme des promoteurs du texte. C'est la raison pour laquelle, dans l'état actuel du projet de loi, le groupe de la Gauche démocrate et républicaine s'abstiendra.