« Il y a eu des générations sacrifiées » : c'est avec ces mots qu'un responsable associatif alertait sur le retard pris en matière de protection des mineurs depuis la généralisation d'internet et des réseaux sociaux. Internet est un moyen formidable de s'ouvrir sur le monde, d'apprendre et même de participer à la libération de la parole, nous l'avons vu avec #MeToo, mais c'est également devenu le terrain de jeu de prédateurs et d'autres individus aux agissements néfastes pour les enfants.
Depuis quelques années, les témoignages se multiplient et donnent un aperçu très sombre de l'envers du décor : harcèlement, accès des mineurs à la pornographie, sextorsions, pédopornographie, appel à la haine, violences, prostitution des mineurs. Ces phénomènes encore difficiles à mesurer ont bouleversé bien trop de vies. Je crois que, de façon inconsciente, on s'est trop longtemps imaginé que les infractions commises dans un cadre virtuel étaient moins graves que celles perpétrées dans le monde dit réel. Or, aujourd'hui nous savons qu'un mineur agressé dans le cadre d'internet peut subir le même psychotraumatisme qu'un enfant agressé « dans la vraie vie ». Il faut être conscient qu'un enfant seul dans sa chambre avec un smartphone peut être tout autant en danger que s'il se promenait seul dans un parc le soir.
En outre, il existe un paradoxe : les enfants qui souvent utilisent mieux les outils numériques que leurs propres parents en méconnaissent les dangers, tout simplement parce qu'ils n'ont pas la maturité suffisante pour se protéger de tous les pièges que recèle internet.
Selon une étude de la CNIL publiée en 2020, plus de 80 % des 10-14 ans utilisent internet sans leurs parents. Parfois, ces connexions autonomes débutent dès l'âge de 7 ans, avec une exposition à des images inadaptées.
Face à cela, il nous a fallu agir dans plusieurs directions.
Dès 2017, la loi Schiappa a modifié la définition du harcèlement pour faciliter la sanction des raids numériques qui affectent particulièrement les mineurs. Cette disposition a été utile dans l'affaire Mila, qui était mineure quand son calvaire a commencé et qui vit encore aujourd'hui sous protection.
En 2020, nous avons transposé la directive « services de médias audiovisuels » (SMA) qui impose aux plateformes de partage de vidéos établies en France de mettre en place des mesures pour empêcher les mineurs d'accéder aux contenus pornographiques. Dans le même esprit, la loi visant à protéger les mineurs des crimes et délits sexuels et de l'inceste a renforcé la répression des infractions sexuelles commises en ligne, notamment en créant le délit de sextorsion.
Enfin, en 2021, nous avons lancé avec les opérateurs la plateforme jeprotegemonenfant.gouv.fr., un site d'information à destination des parents.
Notre action ne doit pas s'arrêter là. En 2004, la loi pour la confiance dans l'économie numérique contraignait les fournisseurs d'accès à internet à informer leurs clients de l'existence de moyens techniques permettant de restreindre l'accès à ces services. Ce dispositif n'est pas assez utilisé, j'en veux pour preuve que plus d'un parent sur deux affirme ne pas y avoir recours, alors que son utilité est avérée. Pourquoi ? Parce que le contrôle parental est jugé trop complexe et difficile d'accès. Simplifier son usage est donc primordial.
Cette proposition de loi s'inscrit dans la continuité des textes que j'ai évoqués en systématisant le recours au contrôle parental. Ainsi, les fabricants d'appareils connectés seront désormais contraints de préinstaller un dispositif de contrôle parental sur tous les terminaux qu'ils commercialisent, obligation que nos travaux en commission ont permis d'étendre aux vendeurs de produits reconditionnés, ce qui est une bonne chose. De la même manière, nous nous félicitons qu'un amendement venant garantir la gratuité des dispositifs de contrôle parental ait été adopté. En outre, le texte prévoit d'assurer un même standard de qualité de contrôle parental pour les différents fournisseurs, tout en tenant compte des disparités techniques entre les outils.
L'objectif est de simplifier l'installation des dispositifs de contrôle parental pour que leur utilisation ne soit plus décourageante.
Même s'ils ne sont pas imparables, ceux-ci ont fait leurs preuves. Reste que de nombreux adultes ignorent encore leur utilité, voire leur existence. Cette proposition de loi a le mérite de participer à une prise de conscience tant des adultes que les enfants. Elle constitue donc une avancée significative dans la protection des enfants et des adolescents, qui doit s'accompagner d'un renforcement de la prévention.
Dans mon rapport sur l'évaluation sur la loi Schiappa, je préconisais de rendre obligatoire la mise en place de séances de prévention en milieu scolaire dédiées à l'usage du numérique et des réseaux sociaux, ce qui correspond à une demande des acteurs de terrains – policiers, enseignants et responsables associatifs.
Je ne pouvais pas terminer sans évoquer le travail de la commission d'experts des 1 000 premiers jours de l'enfant, qui rappelle que, pour les moins de 3 ans, « l'utilisation régulière de l'écran comme moyen de calmer l'enfant pourrait l'empêcher de développer sa propre régulation émotionnelle » et qui conseille une utilisation très ponctuelle des écrans.
Convaincu de l'importance et du bien-fondé de cette proposition de loi, le groupe Agir ensemble votera donc en faveur de ce texte qu'il a cosigné.