Intervention de Bérangère Abba

Séance en hémicycle du mercredi 19 janvier 2022 à 15h00
Aménagement du rhône — Présentation

Bérangère Abba, secrétaire d'État chargée de la biodiversité :

…un cours d'eau puissant qui va de la Suisse à la Méditerranée.

Le Rhône a évolué avec nous. Son exploitation va désormais de pair avec l'accélération de la transition écologique, conduite en partenariat avec les collectivités locales, et doit s'articuler autour de projets d'aménagement durable des territoires et d'un développement ambitieux des énergies renouvelables. Il est donc bien question, ici, d'un projet unique, qui associe enjeux énergétiques, de mobilité et de gestion de l'eau – des défis d'ordre à la fois économique, environnemental et social, qu'il est parfois difficile de concilier. Le texte qui nous est proposé constitue un très bel exemple d'adaptation à cette nécessaire évolution. Je remercie donc le président Mignola, ainsi que les députés de tous bords qui ont cosigné cette proposition de loi, de s'être saisis de cette question essentielle.

Le Gouvernement est naturellement très attaché à la mission, presque centenaire, confiée à la Compagnie nationale du Rhône. Cette dernière n'est pas seulement un concessionnaire chargé d'aménager et d'exploiter un des plus grands fleuves du pays. Elle incarne aussi un modèle unique en France, né en 1933 d'une idée absolument visionnaire, consistant à confier à un unique opérateur trois missions intrinsèquement liées : la production d'énergie, la navigation fluviale et l'irrigation des terres agricoles.

Dans tous ces domaines, depuis le début de la concession, nous avons dû nous adapter. Dix-neuf centrales hydroélectriques, dix-neuf barrages et quatorze écluses ont ainsi été construits, 330 kilomètres de voie navigable ont été ouverts de Lyon à la Méditerranée et de nombreux sites industriels et portuaires ont été aménagés.

Une attention particulière a toujours été portée aux impacts environnementaux de ces infrastructures. La Compagnie nationale du Rhône est une entreprise qui a su prendre le tournant du progrès en se le lançant sans hésiter dans le développement des énergies renouvelables et dans la protection des écosystèmes. Elle est aujourd'hui le premier producteur en France d'énergie exclusivement renouvelable, avec trois gigawatts de puissance installée et des énergies issues de l'eau, du vent et du soleil.

La CNR est aussi, vous l'avez dit, un maillon décisif du territoire rhodanien, un partenaire essentiel des collectivités et un acteur clé du dynamisme économique. Tous les projets menés au fil des décennies ont en commun de contribuer à des missions d'intérêt général au bénéfice des territoires, qu'il s'agisse de développer les 27 000 hectares de domaine concédé, le long du Rhône, à des fins de valorisation économique ou environnementale, ou de financer des projets territoriaux en faveur des énergies renouvelables, de la protection de la biodiversité, du tourisme ou encore de l'agriculture durable.

L'ancrage local fait également partie de l'identité de cette compagnie, unie à un territoire pour tous ces projets, y compris au niveau de sa gouvernance puisque son capital est composé notamment de 183 collectivités locales actionnaires.

Dans ce contexte, le Gouvernement soutient avec force, vous l'aurez compris, une proposition de loi qui intervient à un moment décisif puisque la concession devait prendre fin le 31 décembre 2023. Dès 2014, l'État avait engagé des démarches pour organiser l'après en concertation avec les différentes parties prenantes. Il est apparu au fil des échanges que la prolongation par voie législative était la solution la plus robuste.

Avec cette proposition de loi, j'ai la conviction, partagée par l'ensemble du Gouvernement, que nous disposons d'un texte satisfaisant et équilibré.

Tout d'abord, s'agissant des questions juridiques liées à l'application du droit européen de la concurrence, le projet de prolongation de la concession a bénéficié d'échanges nourris avec la Commission européenne. Celle-ci a indiqué au Gouvernement qu'elle n'identifiait pas, à ce stade, d'élément constitutif d'une aide d'État.

Ensuite, pour tenir compte de ses spécificités, la proposition de loi tend à inscrire cette concession toute particulière dans une disposition législative ad hoc, très haut dans notre hiérarchie des normes. Elle est le fruit d'une démarche démocratique et participative, puisque ses termes ont été soumis aux procédures de concertation et de consultation du public qui se sont tenues entre 2019 et 2021. Tous les débats ont largement pu avoir lieu, ce qui est heureux.

Enfin, cette proposition de loi nous permet de renforcer les exigences et les ambitions du cahier des charges de la concession. Je pense notamment à l'insertion de dispositions permettant aux députés et sénateurs élus des départements et des circonscriptions figurant dans le périmètre de cette concession de participer au comité de suivi.

Par ailleurs, la proposition de loi inscrit clairement dans ce cahier des charges le fait que les missions d'intérêt général au bénéfice des territoires feront l'objet d'un schéma directeur ainsi que de programmes quinquennaux sur lesquels le comité de suivi se prononcera explicitement. Ce dispositif permet l'information de la représentation nationale et favorise sa participation à la réflexion sur les différents enjeux.

La vertu essentielle de la prolongation de la concession jusqu'en 2041 est de redonner de la visibilité, à la fois aux collectivités territoriales – en particulier celles qui sont actionnaires de la CNR –, à l'entreprise concessionnaire et à ses plus de 1 400 salariés, qui sont bien sûr les premiers concernés, et enfin à notre trajectoire de décarbonation. En effet, vous le savez, les usines de la concession du Rhône jouent un rôle important dans le développement des énergies renouvelables : on leur doit près du quart de la production française d'hydroélectricité. En outre, la concession permet de développer le photovoltaïque et l'éolien dans le territoire rhodanien.

Vous connaissez notre trajectoire, ambitieuse, et notre objectif, qui est de réduire de 55 % nos émissions d'ici à 2030 et d'atteindre la neutralité carbone à l'horizon 2050. Pour y parvenir, nous devons prévoir, dans le cadre de la programmation pluriannuelle de l'énergie, de passer de seulement 25 % d'électricité produite par les énergies renouvelables à 40 % à l'horizon 2030. Si la concession du Rhône prend toute sa part dans cette démarche, un pilotage de long terme est nécessaire. La prolongation permettra aussi de consolider les actions menées dans les autres champs d'action de la concession, telles que la navigation ou l'agriculture durable.

Par ailleurs, je veillerai tout particulièrement, ce qui ne vous surprendra pas, à ce que la CNR mène à bien – et renforce –, avec le soutien de l'Agence de l'eau, son programme d'action pour la protection et la restauration des écosystèmes, par exemple à travers les obligations de travaux imposés aux concessionnaires ou les missions d'intérêt général. Même si le fleuve est largement aménagé, nous pouvons encore faire beaucoup mieux en la matière en améliorant par exemple la circulation des poissons migrateurs, le transit sédimentaire, la restauration des lônes – ces anciens bras du Rhône qui ont été court-circuités par le chenal navigable –, la gestion des zones humides connexes au fleuve ou encore la restauration des berges. On le voit, ce projet est global et se situe au cœur des enjeux de la transition.

La CNR participe aussi volontiers – on le sait moins – à des actions de communication et de médiation autour de ces enjeux, accompagne des campagnes d'information, comme celle, récente, de la fondation Tara océan sur les rejets microplastiques, et prend part à l'organisation de grands événements de sensibilisation à l'environnement. Je remercie d'ailleurs la CNR d'avoir été à nos côtés dans l'organisation du Congrès mondial de la nature de l'UICN, l'Union internationale pour la conservation de la nature.

Vous l'aurez compris, au vu de l'ensemble de ces enjeux, le Gouvernement soutient pleinement cette proposition de loi. Je remercie de nouveau ses auteurs. Le propre d'une politique écologique responsable est de fixer un horizon partagé, une trajectoire pour que chacun anticipe les changements nécessaires. Cela suppose d'agir avec et non contre ces territoires – comme en témoigne la gouvernance de la CNR. Cela consiste à partir de l'existant, en l'occurrence un fleuve, avec ses contraintes mais aussi ses formidables opportunités. Encore merci pour ce texte fédérateur et nécessaire.

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