Je souhaite, tout d'abord, comme je l'ai fait en commission, lire un extrait de la dernière lettre du docteur Zacharie Mass, interné au camp de transit de Drancy, à sa femme Élisabeth : « Je ne te décrirai pas les moments d'angoisse que j'ai passés, mais je suis heureux de ne pas t'avoir vue ici jusqu'à présent. J'espère que tu feras ce qu'il faut, je t'en supplie, pour éviter cela à tout prix. » Le 31 juillet 1943, Zacharie Mass est déporté par le convoi n° 58 au camp de concentration et d'extermination d'Auschwitz. En novembre, à bout de forces, il sera gazé et son cadavre, brûlé.
Des lettres comme celle-ci, il en existe des centaines et des centaines. Des lettres qui témoignent des arrestations, de la séparation des familles, de la détresse, de l'angoisse, de la stupeur, des doutes, de l'incompréhension et de l'espoir perdu. Des lettres qui racontent « ces heures noires [qui] souillent à jamais notre histoire » et qui « blessent [notre] mémoire », pour reprendre les mots de Jacques Chirac en 1995.
Durant ces jours funestes, « la France commettait l'irréparable ». Elle trahissait celles et ceux qui lui faisaient confiance. Elle trahissait ses propres citoyens. Je souhaite rappeler que nos valeurs universelles et fondamentales étaient alors défendues par la Résistance, par la France libre et par les Justes, qui surent, au même moment, incarner cette grandeur avec courage.
Le 16 juillet 1995, pour la première fois, un président de la République reconnaissait la responsabilité de l'État français dans la collaboration et la déportation des Juifs de France. Jacques Chirac ouvrait la voie, celle de la vérité. En 1997, s'ensuivra l'installation, à la demande du gouvernement d'Alain Juppé, d'une mission d'étude, confiée à Jean Mattéoli, sur la spoliation des Juifs de France.
En 1999, le gouvernement de Lionel Jospin créait une commission pour l'indemnisation des victimes de spoliations. Depuis, cette commission a enregistré plus de 29 000 dossiers et permis de verser plus de 540 millions d'euros d'indemnités au titre des spoliations matérielles.
Néanmoins, il est un domaine dans lequel nous devons encore avancer : c'est celui de la restitution des biens culturels. De nombreuses œuvres dont les Juifs ont été spoliés, qu'on leur a volées ou qu'ils ont été forcés de vendre durant l'Occupation se trouvent dans les collections nationales. C'est un long travail de recherche, un travail complexe que nous devons aux victimes. Nous le devons à leur mémoire et à leurs descendants : c'est une question de morale, de dignité, de respect et d'honneur. En 2018, le Gouvernement s'était engagé à poursuivre ces recherches. Le Premier ministre, Édouard Philippe, avait alors appelé la Commission pour l'indemnisation des victimes de spoliations et le ministère de la culture à accentuer leurs efforts afin d'identifier les œuvres et de les restituer.
Ce projet de loi permettra la restitution de quinze tableaux, dessins et sculptures des collections publiques françaises aux ayants droit de victimes juives spoliées avant et pendant la seconde guerre mondiale : il s'agit de Rosiers sous les arbres, le chef-d'œuvre de Klimt conservé au musée d'Orsay, de onze dessins de Jean-Louis Forain, Constantin Guys, Henry Monnier et Camille Roqueplan, d'une cire de Pierre-Jules Mène, d'un tableau de Maurice Utrillo et d'un autre de Marc Chagall.
Madame la ministre, nous soutenons votre texte avec beaucoup de conviction, tout comme nous soutenons l'engagement du Président de la République à poursuivre ce devoir moral essentiel ; c'est l'honneur de la France. Le projet de loi constitue un premier pas important sur le long chemin des restitutions. Nous sommes d'ailleurs nombreux à souhaiter une large réflexion, associant des professionnels de l'art et du droit mais aussi les associations, afin d'établir une loi-cadre sur les restitutions. Elle permettrait de simplifier et d'accélérer le processus de restitution.
Ce travail pour la justice et contre l'oubli doit tous nous rassembler, nous rassembler pour faire vivre la mémoire des femmes, des hommes et des enfants spoliés, déportés et exterminés par la folie criminelle d'autres hommes, nous rassembler afin de combattre les résurgences de l'inacceptable et toutes les tentatives de remise en cause de la vérité historique, nous rassembler, enfin, autour de la défense de nos valeurs et de nos principes universels, et d'une certaine idée de l'humanité.
Avant de voter le texte, je souhaiterais conclure en rendant hommage à Raphaël Esrail, président de l'Union des déportés d'Auschwitz, décédé le 22 janvier dernier. Résistant, il avait été arrêté à Lyon, déporté le 3 février 1944, et libéré par l'armée américaine le 1er mai 1945. Son travail exceptionnel et son engagement au service de la transmission de la mémoire de la Shoah nous oblige. Madame la ministre, madame la rapporteure, merci de votre engagement ; le groupe Agir ensemble votera le projet de loi avec beaucoup de conviction.