Mercredi dernier, le Président de la République présentait au Parlement européen la feuille de route de la présidence française du Conseil de l'Union européenne. L'un des axes consiste à bâtir un nouveau modèle européen de croissance, basé sur « de bons emplois ». Pouvons-nous dire que les travailleurs des plateformes de mobilité occupent de bons emplois ? Il est permis d'en douter. Sur ce sujet, le Président espère pourtant un accord entre États ; il a promis une convergence sociale vers le haut.
S'agissant des travailleurs des plateformes, il y a un écart – pour ne pas dire une contradiction – entre les priorités affichées à Strasbourg et le projet de loi dont nous discutons. Comparant l'approche nationale avec les récentes évolutions européennes – je pense notamment au projet de directive présentée par la Commission européenne le 9 décembre –, nous constatons que les chemins sont loin de converger. Le texte de la directive, qui doit maintenant être examiné par le Parlement et le Conseil, crée une présomption juridique de relation d'emploi entre le travailleur et la plateforme. Plus précisément, il définit cinq critères à l'aune desquels les indépendants pourraient être requalifiés en salariés, dont le niveau de la rémunération, l'imposition de règles spécifiques ou l'interdiction de travailler pour d'autres services. Selon la Commission européenne, sur les 28 millions de travailleurs des plateformes, plus de 4 millions devraient être requalifiés en salariés.
Ce n'est clairement pas l'approche du Gouvernement, qui souhaite créer un cadre de dialogue et des droits spécifiques, mais qui dessine en creux un modèle moins protecteur – ce qui n'est évidemment pas satisfaisant. En Californie, aux Pays-Bas, au Royaume-Uni et même en France, de nombreuses décisions de justice exigent une requalification en contrats de travail salarié des contrats des livreurs ou des chauffeurs VTC. Elles montrent que dans de nombreux cas, le statut d'indépendant est un salariat déguisé. Je sais bien que certains travailleurs apprécient la flexibilité de cette nouvelle forme d'emploi, mais ne fermons pas les yeux sur l'extrême précarité de ces métiers. Cette précarité, incontestable, est largement aggravée par la mise en concurrence dans laquelle ils sont placés, par les conditions de travail difficiles – prendre la route à toute heure, par tout temps –, par la tyrannie de la notation des utilisateurs et par l'opacité des algorithmes.
Ces travailleurs ne sont pas couverts contre les accidents du travail, pourtant nombreux, et ne cotisent pas à une assurance chômage. Où sont la modernité et le progrès quand les nouveaux acteurs qui régissent nos modes de consommation balaient les droits sociaux les plus élémentaires ? Le combat que ces travailleurs mènent pour le respect de leurs droits et l'amélioration de leurs conditions de travail nous oblige, nous, législateurs, à prendre nos responsabilités. Je crains qu'aujourd'hui nous ne le fassions que de façon minimale. Le groupe Libertés et territoires s'interroge en effet sur la réalité du dialogue social qui s'instaurera avec ce texte : ne va-t-on pas vers un dialogue asymétrique, qui opposera des plateformes tentaculaires à des travailleurs toujours précaires ? Quelle stabilité pouvons-nous espérer pour ce dialogue, alors même que nous savons qu'en moyenne, un livreur de repas ne reste sur une plateforme qu'une dizaine de mois ?
La commission mixte paritaire s'est rangée du côté du Sénat, qui estimait précipitée la création d'un dialogue au sein de chaque plateforme. C'est donc le dialogue sectoriel qui est privilégié. Malheureusement, même si le Sénat a tenté de préciser l'objet des négociations obligatoires – notamment s'agissant du prix des prestations –, aucun mécanisme ne permet de s'assurer que leur cadre sera soumis à des garanties minimales. Le déséquilibre entre plateformes et indépendants continuera donc d'exister, au détriment de ces derniers.
En proposant une présomption de salariat et un renversement de la charge de la preuve, la Commission européenne propose un vrai changement de paradigme. À l'inverse, le présent projet de loi maintient le statu quo et ne régule pas le secteur. Plus grave, il conforte le modèle actuel, puisque la rédaction de la nouvelle ordonnance fait le choix de limiter les motifs apparents pouvant permettre une requalification en contrat de travail, à rebours du chemin qui se dessine en Europe. Cette dérégulation des relations de travail est une pente que le groupe Libertés et territoires ne souhaite pas emprunter.