Intervention de Richard Ramos

Séance en hémicycle du jeudi 3 février 2022 à 15h00
Consommation de produits contenant des additifs nitrés — Présentation

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaRichard Ramos, rapporteur de la commission des affaires économiques :

Je souhaite rappeler que ce texte a été adopté en commission à l'unanimité des partis politiques ; il est donc coconstruit, collégial. Je tiens à remercier Michèle Crouzet et Barbara Bessot Ballot, grandes défenseures de la gastronomie française et corapporteures, avec moi, de la mission d'information sur les sels nitrités dans l'industrie agroalimentaire, qui a abouti à cette proposition de loi.

Je remercie également Cédric Villani, qui a accompagné au nom de l'Assemblée nationale la démarche scientifique, Sébastien Jumel, qui nous a grandement aidés à défendre ce projet en audition et en commission, Fabien Roussel, candidat à l'élection présidentielle qui met sur la table le camembert, le fromage et la gastronomie française, Dominique Potier pour son souci, en commission, de l'équilibre entre science et conscience, Thierry Benoit, ardent défenseur de la paysannerie française, car la France produit les meilleurs cochons du monde, et Philippe Vigier, député d'Eure-et-Loir, mais originaire de la Haute-Loire où je tue mon cochon et fais ma charcuterie depuis trente ans.

Je remercie également les administrateurs, qui nous ont tant apporté tout au long de ce travail. Enfin, je remercie mes collègues du groupe Dem qui, malgré quelques pressions, m'ont apporté leur soutien sans faille.

L'histoire de l'alimentation, c'est l'histoire de l'humanité. À l'époque des cavernes, l'homme était cueilleur nomade ; il s'est sédentarisé quand il a inventé l'agriculture. L'alimentation est partout. Chaque religion a des rites qui la concernent ; les révolutionnaires décrochèrent les tableaux de scènes bibliques, pour les remplacer par des tableaux de banquets républicains. La table fait donc partie de l'histoire de tous.

Comment sont apparus les mets qui composent la gastronomie française ? La table française est le produit d'une histoire multimillénaire, au cours de laquelle, de génération en génération, de paysan en paysan, de charcutier en charcutier, un patrimoine de produits, de tours de main et de techniques s'est constitué.

Regardez les fromages : le lait frais s'abîme en quelques jours, mais si on le transforme en fromage, on dispose d'un produit qui se conserve, que l'on peut échanger, qui permet de s'alimenter, même lorsqu'on est loin des troupeaux. Les hommes du passé ont créé la tomme de montagne, si chère à M. Mignola, afin de disposer d'une façon de conserver le lait, délicieuse source de protéines et de calcium. De la même manière, la charcuterie est de la viande fraîche que l'on a transformée pour la rendre consommable plus tard. Pour conserver la matière carnée, nos lointains ancêtres ont mis au point ce procédé génial, qui a permis de transformer une patte de cochon en jambon. Ma grand-mère disait : « C'est ben l'moyen d'passer l'hiver ! »

Alors que la viande de porc fraîche s'abîme à toute vitesse, la viande transformée en charcuterie se conserve grâce, à l'origine, à un ingrédient magique : le sel. Je ne parle pas de sel nitrité, ni de salpêtre. Pendant des millénaires, on a fabriqué des charcuteries en employant de la viande de porc et du simple sel. C'est toujours ainsi qu'on procède dans certains villages de Corse, si chers à MM. Pupponi, Acquaviva et Mattei ; chez les meilleurs fabricants de jambon de Bayonne ; chez les authentiques fabricants de charcuterie de nos régions d'Auvergne et d'Alsace. La gastronomie, quand elle est bien fondée, forte sur ses bases, est aussi l'art et le moyen de l'intégration réussie : n'en déplaise à certains, la pizza et le couscous sont les deux plats préférés des Français.

Puis vint la révolution mondialisée de la chimie triomphante. Des chimistes audacieux ont conçu des techniques pour simplifier la transformation de la viande, pour l'accélérer, pour améliorer l'aspect visuel des produits, pour standardiser les procédés. Les additifs nitrés ont été mis au point. Les vendeurs d'additifs chimiques sont apparus, la malbouffe s'est engagée sur une pente infernale. Ne nous y trompons pas : le retour au vintage est la marque d'une époque qui se cherche ; ne voyant pas de sens devant elle, la civilisation occidentale se réfugie dans un passé sublimé. Pourtant, je vous le dis, l'avenir est à la bonne alimentation, à condition d'avoir le courage de définir nos besoins réels et de renouveler la relation qui unit le consommateur au paysan qui produit. La présente proposition de loi vise à combler le gouffre que la grande distribution a creusé entre l'acheteur et le producteur.

Lorsque les additifs nitrés sont entrés dans les usages, leurs effets mortifères étaient inconnus. On les a autorisés parce qu'ils permettaient de produire, plus vite et plus facilement, des charcuteries d'aspect attrayant. On les a autorisés parce que d'autres pays les avaient autorisés, et parce que nous ne voulions pas soumettre nos productions à des exigences qui auraient diminué notre compétitivité. Autrement dit, on a autorisé les additifs nitrés parce que, de bonne foi, on les croyait inoffensifs.

Le sel nitrité n'a été autorisé en France qu'en 1964. À l'époque, personne ne se doutait qu'on découvrirait un jour qu'en réagissant avec la matière carnée, il donne naissance à un composé nitrosé dangereux pour la santé. Que faire, lorsque les scientifiques découvrent après coup qu'une substance qui a été autorisée et est passée dans l'usage a des effets délétères, qui n'avaient pas été pris en considération lors de l'autorisation ? C'est tout le drame des charcuteries nitrées.

Nous savons désormais que les charcuteries nitrées sont cancérogènes, avant tout grâce au Centre international de recherche sur le cancer, le CIRC. Il a été créé à Lyon, à l'initiative du général de Gaulle, dans les années 1960 : il est aujourd'hui l'agence spécialisée dans le cancer de l'Organisation mondiale de la santé (OMS). Son objectif est de trouver les agents qui provoquent le cancer, pour ne pas se contenter de soigner ce dernier une fois qu'il est apparu. Le CIRC a donc identifié l'effet cancérogène des composés nitrosés, et il a classé la charcuterie dans le groupe des cancérogènes avérés – je dis bien : avérés.

Au lieu d'embrasser les nouvelles connaissances scientifiques, certains industriels ont sorti les crocs et se sont blindés dans le déni, la tête dans le sel nitrité, le nez dans les comptes et la morale dans le cosmos. Le lobby de la charcuterie nitrée voudrait faire croire que les résultats du CIRC sont erronés. D'après leurs porte-parole, le CIRC s'est trompé, tout simplement ! Parfois, l'argument est plus subtil, mais tout aussi mensonger : les résultats obtenus par l'agence de l'OMS ne concernent que l'étranger, pas la France. D'après eux, le jambon nitré américain tue, mais le français, par miracle, serait inoffensif !

Aux résultats des experts du CIRC, certains industriels voudraient que nous préférions les résultats de quelques rares scientifiques, grassement rémunérés. On voit certains chercheurs français, pourtant payés avec les deniers publics, signer en parallèle des contrats de collaboration avec l'industrie des viandes nitrées. On peut agir ainsi, mais on doit le déclarer. Pour quelques millions d'euros, ces scientifiques en apparence bien sous tous rapports, mais à la déontologie suspecte, le font sans le dire. Or il est trop tard pour fabriquer de fausses connaissances.

Aux tricheurs, je dis solennellement : nous vous regardons. Ce texte pose les jalons d'une trajectoire de suppression des additifs nitrés. Au-delà, il acte l'exigence fondamentale de protéger les plus pauvres. À ceux qui ont cru pouvoir mentir devant les membres de la mission d'information et devant ceux de la commission, je dis que nous serons vigilants et ouvrirons l'œil. Le Parlement est là pour protéger les Français, notamment les plus pauvres : nous vous demanderons de rendre des comptes. Nous sommes la représentation du peuple français, nous avons le devoir d'être la vigie de sa bonne santé.

Cette proposition de loi est historique : elle marque le rendez-vous du législateur avec le progrès scientifique et avec les demandes qu'exprime la société. Les plus rétrogrades des industriels des viandes nitrées nous suggèrent de ne rien faire, d'attendre, toujours attendre, encore attendre, ou d'agir, mais alors au ralenti, en préservant leur intérêt. Pour eux, chaque mois qui passe apporte un répit financier. Nous ne pouvons pas laisser les Français démunis devant une telle catastrophe. Si d'aventure les lobbyistes et leurs relais parvenaient à influencer l'expertise, il serait de notre responsabilité de le dénoncer. La politique doit toujours l'emporter sur l'économique.

Nous dénoncerons le copinage, le pantouflage. Comment tolérer qu'après avoir travaillé dans l'administration, un haut fonctionnaire aille se remplir les poches, en monnayant son entregent et ses réseaux en faveur du lobby des viandes nitrées ? Ces petits arrangements avec la déontologie gangrènent la confiance des citoyens en leurs institutions. Ils sont le cancer de la démocratie. Si la loi protège moins vite que les entreprises citoyennes, comme Yuka, ou que les associations, comme la Ligue contre le cancer, les citoyens se détourneront des urnes et de la démocratie, au profit de la jungle des réseaux sociaux, où s'exerce le prêt à penser populiste et manipulateur.

Cette proposition de loi humaniste, défendue par le Mouvement démocrate, apporte un remède efficace contre la malbouffe, qui touche surtout les plus pauvres. Avec l'ensemble de la représentation nationale, nous ferons en sorte d'éviter qu'il y ait deux alimentations en France – une pour les riches et les bobos, qui auraient le droit de manger sans risquer de mourir, et une pour les pauvres, avec laquelle on ferait de l'argent.

Aucun commentaire n'a encore été formulé sur cette intervention.

Cette législature étant désormais achevée, les commentaires sont désactivés.
Vous pouvez commenter les travaux des nouveaux députés sur le NosDéputés.fr de la législature en cours.