La présente proposition de loi entend lutter contre les phénomènes de spéculations foncière et immobilière auxquels la Corse est confrontée depuis plusieurs années. Nous la soutiendrons car elle soulève des questions majeures qui nécessitent une réponse et qui méritent que l'expérimentation proposée soit lancée. Cette proposition pointe en effet les difficultés rencontrées pour se loger en Corse et les injustices profondes générées par le système actuel.
La question du patrimoine, des murs et de la terre soulève celle de la possibilité de se loger, de vivre et de travailler au pays ; elle est essentielle. Dans les années trente, un grand résistant corse, Jean Nicoli, assassiné en 1943 par les Chemises noires, évoquait déjà dans ses écrits ceux qu'il appelait lui-même les « spoliés de la terre » ; il avait fait de leur sort l'un de ses combats.
Comme l'indiquait à l'instant Éric Coquerel, il existe des similitudes entre la Corse et l'Île-de-France quant aux inégalités de patrimoine et de revenu, même si les deux régions n'ont rien à voir entre elles. Les disparités en matière de revenu – ce que certains ont pu appeler un apartheid social et territorial – s'y développent. Contrairement à ce que l'on pourrait penser, de tels écarts sont notamment liés à la question du patrimoine. Tous les mécanismes de défiscalisation instaurés au cours des dernières années n'ont fait qu'accroître les inégalités tant de revenu que de patrimoine. Il est donc temps de les réorienter.
Le rapporteur l'a dit : il existe des zones en Corse dans lesquelles les foyers moyens ne peuvent pas se loger et encore moins accéder à la propriété. C'est vrai notamment dans plusieurs zones littorales – qui, par définition, représentent une grande partie du territoire d'une île.
Face à ce constat inquiétant, l'article 1er de la proposition de loi propose d'instaurer, dans le cadre d'une expérimentation, un droit de préemption devant renforcer la possibilité, pour la collectivité de Corse, d'intervenir lors de la mutation d'un bien immobilier qu'il s'agisse d'une vente, d'un échange ou d'une donation. L'article 2 permettra de financer en partie ces interventions de la collectivité sous forme de préemptions, en instaurant une taxe spécifique sur les résidences secondaires. Enfin, l'article 3 vise à renforcer la possibilité donnée au PADDUC de créer des zones sans activité de grande distribution ou de location de meublés touristiques de type Airbnb.
Le groupe de la Gauche démocrate et républicaine soutient cette proposition, et je voudrais profiter de la présence de Mme la ministre pour souligner deux points. Dans notre pays, le droit de préemption est adossé à la présence d'un intérêt public, qui ne peut lui-même se justifier que par la construction d'une école, d'un équipement ou d'une route. Mais les écarts de patrimoine s'accroissent et la spéculation fait rage, dans les zones touristiques comme dans les zones en développement. En Île-de-France, quarante gares sont ainsi en cours d'aménagement dans le cadre du Grand Paris, financées par de l'argent public. Or, sans qu'on ne fasse rien, la valeur des terrains situés à proximité augmente de 10 %, 12 % voire 15 %. Peut-on laisser certains gagner autant d'argent, réaliser de telles plus-values, en dormant ? Je ne le pense pas, et je crois que la lutte contre la spéculation, en Corse comme en Île-de-France, relève de l'intérêt public. On doit ainsi faire reposer le droit de préemption sur une définition de l'intérêt public intégrant la lutte contre la spéculation. Sans cela, notre pays aura beaucoup de mal à relever le défi du logement pour tous et de la maîtrise des prix.
J'émettrai enfin une petite réserve : nous aurions souhaité qu'une proposition de loi visant à renforcer la possibilité pour les Corses de se loger chez eux à des prix raisonnables comporte un volet lié au développement du logement social, qui reste, en Corse comme dans de nombreux endroits en France, très en deçà de qu'il devrait être.