Le spectre des indépendants est large et les réalités tout aussi diverses, entre l'artisan, qui vit de sa passion mais dont les fins de mois peuvent être difficiles, le commerçant, dont les conditions d'exercice ont été plombées par la crise des gilets jaunes et une série de confinements, l'agriculteur, qui s'est endetté pour acheter son matériel, ou encore l'architecte, qui subit la baisse de la construction de logements, ou le coursier à vélo, qui collabore avec les plateformes. Tous contribuent au dynamisme économique de nos territoires et sont animés par la volonté d'entreprendre. Tous font preuve de courage, d'abnégation et d'une volonté forte de s'en sortir. Mais, dans les moments difficiles, ils sont souvent seuls. Et lorsque le vent tourne, la faillite de leur entreprise se transforme bien souvent en drame personnel.
Accompagner les indépendants dans les aléas économiques et leur permettre de rebondir une fois la crise passée a donc été une préoccupation constante des pouvoirs publics. Elle a notamment été la mienne lorsque j'étais aux responsabilités. L'une des ambitions de la loi relative à l'artisanat, au commerce et aux très petites entreprises était ainsi de mieux protéger le patrimoine personnel des indépendants.
Aujourd'hui, vous poursuivez sur cette lancée en créant un statut unique pour l'entrepreneur individuel, avec pour pendant la séparation stricte du patrimoine personnel et du patrimoine professionnel : j'y suis, évidemment, favorable, d'autant qu'avec la crise sanitaire, de plus en plus de ces travailleurs font face au risque de voir leurs dettes professionnelles recouvrées en partie sur leurs biens propres.
Toutefois, la séparation entre les deux patrimoines sera difficile à appliquer. Sans refaire les débats qui ont animé notre assemblée lors de l'examen du projet de loi en première lecture, je redoute les possibles contournements du texte. Le risque est que les créanciers les plus importants, les banques en particulier, exigent systématiquement des sûretés spéciales sur certains biens, voire une renonciation pure et simple au bénéfice de la séparation des patrimoines. L'examen au Sénat puis à l'Assemblée nationale et les compromis trouvés en commission mixte paritaire ont permis de sécuriser juridiquement le projet de loi, sans pour autant apporter de réponse à ce point clé.
Le projet de loi comporte d'autres mesures qui me semblent aller dans le bon sens. C'est le cas de l'article 9 qui élargit l'accès à l'allocation des travailleurs indépendants. La couverture de ces derniers était une promesse non tenue de la loi pour la liberté de choisir son avenir professionnel. En 2021, 1 107 ouvertures de droits seulement ont été enregistrées par Pôle emploi, en raison principalement de critères cumulatifs bien trop restrictifs. Désormais, les indépendants ayant dû cesser leur activité économique non viable pourront bénéficier d'une couverture supplémentaire. Nous veillerons à ce que cela se concrétise, enfin, par une ouverture de l'assurance chômage à tous les travailleurs qui en ont besoin.
Autre promesse du projet de loi : faciliter l'accès aux formations pour les chefs d'entreprises de moins de dix salariés. Une réforme était également attendue : en 2019, 16 % seulement des indépendants ont bénéficié d'une action de formation financée par un fonds d'assurance formation. Espérons que la simplification du circuit de financement, associée au doublement du crédit d'impôt qui y est dédié, leur permettra d'y avoir davantage recours.
Enfin, je veux dire un mot de l'article 6 qui vise à habiliter le Gouvernement à légiférer par ordonnance afin de clarifier les règles communes aux professions libérales réglementées. Initialement supprimé par le Sénat, il a été réintroduit après qu'un compromis a été trouvé en commission mixte paritaire concernant sa rédaction : l'ouverture du capital à des tiers a été exclue du champ de l'ordonnance ce qui est, disons-le, une mesure de bon sens. En effet, nous craignions que les futures dispositions ne remettent en cause le principe d'indépendance des professionnels libéraux et ne pouvions accepter qu'une pharmacie, par exemple, puisse subir des pressions financières de la part de fonds d'investissement.
Alors que l'entrepreneuriat individuel connaît un succès chaque année renouvelé et suscite un attrait de plus en plus fort, nous souhaitons une meilleure protection des 3 millions d'entrepreneurs qui font la richesse économique de nos territoires et leur diversité. C'est pourquoi le groupe Libertés et territoires votera ce texte.