Intervention de Philippe Gomès

Séance en hémicycle du mercredi 9 février 2022 à 15h00
Reconnaissance et réparation des préjudices subis par les harkis — Discussion générale

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaPhilippe Gomès :

« La Nation exprime sa reconnaissance envers les harkis […] qui ont servi la France en Algérie et qu'elle a abandonnés. Elle reconnaît sa responsabilité du fait de l'indignité des conditions d'accueil et de vie sur son territoire […] ». Ces mots de l'article 1er permettent enfin au Parlement d'inscrire, soixante ans après, dans le marbre de la loi, ce qui n'avait été qu'esquissé jusqu'alors. Il était temps.

Il était temps que soit enfin reconnue la responsabilité de la France dans le sort réservé à ces soldats qui avaient défendu leur pays avant d'être abandonnés sur leur terre d'origine à la merci de ceux-là mêmes qu'ils avaient combattus. Il était temps que soit enfin reconnue la responsabilité de la France dans l'indignité des conditions de vie réservées à ces citoyens français qui, pour une partie d'entre eux seulement, ont pu se réfugier dans l'Hexagone, parqués dans des camps comme des animaux.

Cependant, rien ne pourra faire oublier les morts, rien ne pourra effacer les souffrances, rien ne pourra éteindre les humiliations. Aucune reconnaissance, aucune indemnisation, aucune revalorisation ne peut réparer l'irréparable. La blessure mémorielle est aussi indélébile que la tache sur la République, et la dette de l'État français à l'égard des harkis est imprescriptible. Alors, oui, l'instauration d'une journée nationale d'hommage aux harkis chaque 25 septembre, ainsi que l'instauration du droit à réparation constituent de nouvelles avancées, enrichies par le Sénat, dans le processus de reconnaissance progressive de la responsabilité de la nation dans ce naufrage français. Nous les soutenons de la même manière que nous saluons le rassemblement unanime et transpartisan du Parlement de la République autour de ce projet de loi. Pour faire mémoire, il faut être ensemble : c'est le cas.

La mémoire de la guerre d'Algérie, c'est celle des harkis, mais c'est aussi celle des rapatriés d'Algérie. Autant de mémoires en souffrance du fait du non-dit assourdissant de la France sur des événements tragiques qui ont, enfin, eux aussi, été reconnus officiellement par le Président de la République lors de son discours du 26 janvier.

L'arrachement à la terre d'Algérie est un arrachement charnel, c'est l'arrachement d'un peuple mosaïque, composé de Français mais aussi d'étrangers venus d'Europe centrale, d'Allemagne, de Malte, d'Italie et d'Espagne ; un peuple d'artisans, de commerçants et d'agriculteurs mais aussi, pour la majorité, d'ouvriers et d'employés modestes, contrairement à la caricature trop souvent colportée. Un peuple qui fut trompé. Le général de Gaulle ne déclarait-il pas dès 1959 : « L'Algérie française c'est une fichaise […] ». Un peuple qui fut trompé avant d'être abandonné. Un peuple contre lequel la France tira le 26 mars 1962, rue d'Isly, alors qu'il manifestait pour dire haut et fort son attachement à son pays. Comme l'a souligné le chef de l'État, ce fut un « massacre impardonnable pour la République », « un massacre dont aucune liste définitive des victimes ne fut établie ».

Un peuple que la France oublia, le 5 juillet 1962, à Oran, là où des centaines d'Européens furent aussi massacrés, l'armée française restant dans ses casernes alors que le gouvernement de la République avait été dûment alerté. Un massacre qui doit être là aussi « regardé en face et reconnu », selon les mots d'Emmanuel Macron. Ces massacres traduisent la part d'ombre de la France.

Un peuple, enfin, que la France abandonna. Un peuple en fuite, dans un chaos indescriptible, qui s'est rué vers les ports et aéroports pour sa survie. « La valise plutôt que le cercueil », selon la formule consacrée. Un peuple qui s'est heurté à la méfiance, à l'indifférence ou au rejet lorsqu'il a pris pied dans l'Hexagone, Gaston Defferre, alors maire de Marseille, allant jusqu'à déclarer à la une du quotidien Le Méridional : « Que les pieds-noirs aillent se réadapter ailleurs ». Des pieds-noirs persona non grata sur leur terre d'origine ; des Français persona non grata dans leur pays.

Le Président de la République a trouvé les mots pour dire l'indicible, des mots attendus depuis si longtemps qu'ils ont suscité une puissante émotion chez celles et ceux qui ont vécu cet exode français. Aujourd'hui, un projet de loi sur les harkis, hier, des mots sur les rapatriés d'Algérie : voilà autant de jalons sur le chemin de l'apaisement de mémoires à l'impossible cicatrisation.

Le groupe UDI-I votera bien sûr ce texte.

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