La façon dont la France a traité les harkis après 1962 restera une tache dans notre histoire. Cette mémoire douloureuse a pendant plusieurs décennies été occultée, avant de laisser peu à peu place à une reconnaissance bien tardive. Je tiens ici à rappeler les faits : 60 000 victimes de massacres, abandonnées par leur propre patrie, et sur les 90 000 harkis qui ont eu la chance de fuir l'Algérie pour rejoindre la France, plus de 40 000 ont été envoyés dans des camps ou dans des hameaux de forestage, y vivant enfermés dans des conditions honteuses ! Dans ces lieux indignes, les familles ont connu la misère, la promiscuité, les barbelés et la violence physique ; les enfants ont été déscolarisés et n'ont pas bénéficié de l'instruction républicaine à laquelle ils avaient droit.
Le groupe Libertés et territoires a soutenu le projet de loi en première lecture et salue donc l'accord trouvé avec le Sénat. Je rappelle que ce texte n'est pas le premier à traiter de ce douloureux sujet, et que la reconnaissance de la France envers les harkis a pris corps dans de nombreux débats parlementaires au cours des dernières années. La nation n'est jamais aussi grande que lorsqu'elle se confronte à son propre passé et reconnaît ses erreurs. Quel message doit envoyer notre république à l'égard de ceux de ses anciens combattants qu'elle a abandonnés, ainsi qu'à l'égard de leurs proches ? Un message de regrets dans une logique de pardon. Elle doit dire qu'elle n'oubliera jamais et, surtout, qu'elle apportera aux harkis et à leurs descendants un soutien désormais indéfectible.
Bien entendu, le temps de la réparation doit aller de pair avec le temps de la reconnaissance. En la matière, le texte de loi contient les mots justes s'agissant de la reconnaissance des conditions d'accueil dans les camps que je viens d'évoquer. Cette inscription au niveau législatif marque la fin d'un déni et lève définitivement le voile qui dissimulait les violences physiques et morales, l'enfermement et les autres privations de liberté subis par les harkis et leurs familles.
Cependant, si les mots sont importants et même essentiels, ils ne suffisent évidemment pas. Près de soixante ans après les accords d'Évian, il appartient à l'État de réparer ses manquements passés, il n'est jamais trop tard pour le faire. En ce sens, je me réjouis de l'ouverture d'un nouveau droit à réparation. Mais je comprends aussi les réserves formulées par certaines associations : la compensation du préjudice est d'un montant réduit et ne concerne que les harkis ayant séjourné dans certaines structures d'accueil. Sont donc de facto exclus du dispositif ceux qui ont rejoint notre pays par leurs propres moyens et ont par la suite fait face, seuls, à la misère et à l'exclusion. Il nous faudra un jour aller plus loin. En tout cas, il est prévu que le montant de l'indemnité soit calculé en fonction de la durée du séjour et des indemnisations déjà perçues. Le barème, fixé par voie réglementaire, prévoit 3 000 euros pour un séjour dépassant les trois mois dans des camps ou dans des hameaux de forestage, plus 1 000 euros par année supplémentaire… 1 000 euros pour une année perdue, cela reste peu ! Et qui pourrait croire ici que quelques milliers d'euros suffiront ?
Malgré ces réserves, je reste convaincu que le volet financier du projet de loi est indispensable. Cependant, un problème de méthode se pose que nous avions déjà dénoncé en première lecture : les crédits votés à la demande du Gouvernement lors de l'examen du projet de loi de finances pour 2022 – une enveloppe de près de 50 millions d'euros avait alors été inscrite dans la mission "Anciens combattants, mémoire et liens avec la nation" – ont posé d'emblée une limite à nos débats. Fixer un tel plafond avant même que les députés ne soient saisis du projet de loi traduit tout de même un certain mépris du Gouvernement pour le travail parlementaire.
Enfin, comme beaucoup d'autres, je relève que ce texte arrive très tardivement et, par un heureux hasard, peu de temps avant les élections présidentielle et législatives.