Nous assistons, au sein de l'Union européenne et à ses frontières, à un recul du droit des femmes, à commencer par le droit à l'avortement. Depuis un an, les Polonaises défilent dans les rues pour contester la nouvelle législation de leur pays, ultra-restrictive sur l'avortement, une législation qui tue : en janvier, une femme est encore décédée à l'hôpital, après un refus d'avortement en dépit de complications médicales ; une victime de plus, une victime de trop.
De tels drames surviennent aujourd'hui dans des pays voisins et aux États-Unis, où le droit à l'avortement passait pourtant pour acquis. Ces faits obligent à une vigilance permanente en nous rappelant que partout les droits des femmes peuvent reculer à tout moment. Le Président de la République, prenant la tête de la présidence de l'Union européenne, a déclaré vouloir inscrire le droit à l'avortement dans la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne. Cette proposition restera certainement lettre morte du fait de l'unanimité requise pour amender ladite charte, mais elle est malgré tout bienvenue.
Encore faut-il déjà défendre le droit à l'avortement dans notre propre législation, encore faut-il le garantir dans notre propre pays. C'est l'objectif de cette proposition de loi, dont le parcours aura été bien difficile. Je tiens, encore une fois, à remercier Albane Gaillot et Marie-Noëlle Battistel pour leur persévérance, et à saluer le travail de la délégation aux droits des femmes, grâce à laquelle le texte initial a pu être enrichi.
Je constate que l'ordre du jour de notre assemblée devrait nous permettre d'aller au bout de l'examen de ce texte – ce qui n'était pas gagné d'avance – et je m'en réjouis. Je regrette cependant l'attitude de la majorité sénatoriale qui, depuis le début, se contente de rejeter purement et simplement la proposition de loi, même si cela ne nous empêchera pas de continuer de débattre et d'avancer, pas plus que l'obstruction d'une poignée de députés n'a réussi à le faire jusqu'ici.
Pourtant, même si je me réjouis des avancées obtenues, je veux insister sur un regret par rapport à la rédaction du texte initial. Je rappelle en effet que celui-ci comportait deux dispositions majeures : l'allongement du délai d'IVG mais aussi la suppression de la double clause de conscience. Or aujourd'hui, il m'apparaît que la première mesure a été obtenue en sacrifiant la seconde et que, comme en 1974, c'est sur le même objet que le compromis a été obtenu. Il s'agit pourtant d'une disposition symbolique qui n'enlèverait aucun droit aux professionnels de santé, lesquels demeureraient toujours libres de refuser de pratiquer un avortement, comme n'importe quel autre acte médical.
La suppression de cette double clause de conscience est une manière de dire que cet acte ne doit plus être l'objet de tant de tabous, de non-dits, voire de stigmatisation. Tant que l'on n'aura pas compris que ce sont ces tabous qui participent à la désinformation, c'est toute notre politique en matière de santé sexuelle féminine qui en pâtira ! Il ne s'agit en aucun cas de banaliser l'acte de l'IVG, mais uniquement de ne pas tomber dans un discours culpabilisant. J'espère que nos débats permettront de rétablir cette disposition.
Enfin, si je me réjouis de l'allongement du délai d'IVG et de l'extension de sa pratique aux sages-femmes, gardons-nous de penser que ces dispositions seront suffisantes. Car ce sont les plus jeunes, les plus précaires, les plus fragiles, qui pâtissent des inégalités d'accès aux soins et qui arrivent de ce fait tardivement dans les parcours d'IVG, parfois hors délai.
Allonger les délais ne résoudra pas le problème structurel du sous-investissement dans la santé sexuelle des femmes ! En dix ans, le nombre de gynécologues a chuté de 40 %, et les fermetures de maternité et de centres d'orthogénie se poursuivent ; l'acte médical de l'IVG demeure peu valorisé économiquement, et les praticiens trop peu formés ; les subventions publiques au Planning familial ont tendance à baisser dans certains départements. Quant à la prévention, elle n'est toujours pas suffisante : les séances d'éducation à la sexualité sont encore loin d'être appliquées, et les infections sexuellement transmissibles ont augmenté de 30 % depuis 2020. Investir dans ce champ conduit pourtant à faire progresser la société dans son ensemble, sachant que c'est le levier principal pour garantir le droit à l'avortement, et plus largement les droits des femmes et des hommes en matière de santé sexuelle, vous l'avez rappelé, madame la ministre.
Comme lors des précédentes lectures, les membres du groupe Libertés et territoires se prononceront en conscience. Pour ma part, comme pour une majorité d'entre nous, je voterai résolument en faveur de cette proposition de loi.