Intervention de Marietta Karamanli

Séance en hémicycle du lundi 21 février 2022 à 16h00
Choix du nom issu de la filiation — Discussion générale

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaMarietta Karamanli :

Il est des lois qui changent les choses et ouvrent des perspectives ; il est des lois qui accompagnent le changement et répondent à des besoins exprimés et non encore possibles. Assurément, ce texte ressortit à la seconde catégorie.

Contrairement à ce que certaines interventions dans notre assemblée ou au Sénat ont pu laisser entendre, l'usage du nom de famille précédé du prénom n'a pendant longtemps été ni la règle ni une évidence. Jusqu'au XIe siècle, le patronyme n'était pas héréditaire ; le principe de l'immuabilité du nom n'a été consacré que sept siècles après. Dans notre pays, l'enfant légitime portait exclusivement le nom de son père, le nom de la mère pouvait seulement être ajouté à titre d'usage, mais n'était pas transmissible. On notera de façon complémentaire que le livret de famille, qui date de 1870, a gelé définitivement la façon dont on a écrit les patronymes.

La loi du 4 mars 2002, sous le gouvernement Jospin, a supprimé la transmission automatique et exclusive du nom du père à l'enfant. Elle a permis aux parents de choisir le nom de famille de l'enfant : soit le nom du père, soit celui de la mère, soit leurs deux noms accolés dans l'ordre choisi par eux. Jusqu'à cette loi, l'enfant légitime portait obligatoirement le nom de son père seulement dans trois pays européens : la Belgique, la France et l'Italie. Par la suite, la loi du 17 mai 2013 est allée un peu plus loin en permettant à l'enfant, en cas de désaccord entre les parents, de porter leurs deux noms accolés par ordre alphabétique. Si j'insiste sur ces points d'histoire, c'est pour montrer que l'évolution a été longue, mais qu'elle ne s'arrête pas à ce qui a été hier.

L'évolution sociale passe aujourd'hui par le droit au respect de la vie privée et familiale garanti par l'article 8 de la Convention européenne des droits de l'homme et le principe de non-discrimination figurant à l'article 14. La Cour européenne des droits de l'homme a eu l'occasion d'affirmer que le nom est un élément d'identification de la personne et qu'à ce titre, il se rattache bien à sa vie privée et familiale. Que l'État soit en mesure d'en réglementer l'usage ne retire rien au fait que le nom patronymique est d'abord un élément essentiel de la relation de l'individu avec ses semblables.

Le texte dont nous discutons ne bouscule pas le cadre existant. Il lui donne une souplesse qui permettra de concilier une potentielle évolution personnelle et la stabilité que requiert l'identité des personnes. En ce sens, il modifie la donne de façon raisonnable et équilibrée.

L'article 1er donne le droit à toute personne majeure de porter, à titre d'usage, le nom de famille du parent qui ne lui a pas transmis le sien, par substitution ou adjonction à son propre nom et dans l'ordre qu'elle choisit, dans la limite – bien entendu – d'un nom de famille pour chacun des parents. L'article 2 prévoit que toute personne puisse demander à l'officier d'état civil dépositaire de son acte de naissance de changer de nom, par substitution ou adjonction à son propre nom du nom de famille du parent qui ne lui a pas transmis le sien. Quant à l'article 3, il établit les conditions dans lesquelles cette capacité peut être mobilisée pour les majeurs protégés.

Le texte permet donc d'introduire davantage de responsabilité et de liberté. Il facilitera les changements de nom des enfants qui, malheureux car victimes de violences de la part de leur père ou ayant fait l'objet d'un abandon, pourront choisir, sans difficulté majeure et en évitant un parcours qui peut être long, amer et humiliant, de faire correspondre leur identité patronymique avec celle de parents aimants. Il complète un mouvement législatif auquel les députés du groupe Socialistes et apparentés ont contribué et souscrivent.

Nos collègues du Sénat se sont majoritairement opposés à la disposition pivot de la proposition de loi, qui concerne la simplification du changement de nom de famille ; ils ont proposé une procédure spécifique, relevant du ministère de la justice. Ils ont par ailleurs repoussé la substitution de nom pour les mineurs. Enfin, ils se sont opposés à la possibilité pour un parent de décider seul d'adjoindre, à titre d'usage, son nom de famille à celui de l'enfant. Autrement dit, ils ont vidé le texte de sa substance, mus par la volonté de faire comme si le processus d'évolution était en la matière déjà achevé. Nous le constatons et pour ma part, je le regrette, car il s'agit d'un combat d'arrière-garde.

Les amendements déposés et défendus par les députés du groupe Socialistes et apparentés ont été débattus et adoptés. En l'état, le texte permet donc d'atteindre un nouveau point d'équilibre. Nous le voterons car il se conforme à une évolution sociale – certains diraient sociétale –, règle des situations personnelles et familiales difficiles et garantit mieux le droit s'appliquant au nom patronymique, qui constitue un élément majeur de la vie privée et familiale. Nous sommes heureux d'être réunis pour travailler en ce sens.

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