« Changer de nom, c'est changer de destin » a dit Marek Halter. Le nom, c'est quelque chose qui vous appartient et qui, en même temps, est offert à la société pour vous faire connaître. Sylviane Agacinski le dit d'ailleurs très bien : « L'état civil, c'est l'institution de la personne dans son identité sociale, son inscription symbolique dans une généalogie, un ordre qui ne dépend pas d'elle. » Selon elle, chacun ne peut pas décider de la loi commune.
Le « nom de famille » – quelle belle expression ! – est aujourd'hui l'objet de toute notre attention. Selon l'exposé des motifs de la proposition de loi initiale, « l'égalité entre les parents et la liberté dans le choix du nom méritent d'être encore mieux garanties tout en conservant un objectif de stabilité de l'état civil. » Dès lors, le nom devient un sujet de revendication : il s'agit de changer de modèle de société et de passer d'une société patriarcale, nous dit-on, à une société de l'égalité – égalité entre les hommes et les femmes, lesquelles, victimes du patriarcat, seraient aujourd'hui, grâce à vous, libérées une nouvelle fois par une loi de progrès…
Dans sa première version, le texte permettait à un fils ou à une fille d'abandonner le nom de son père par désir personnel : il autorisait non seulement la juxtaposition des noms de famille du père et de la mère, mais aussi la substitution du nom du père par celui de la mère. Cette possibilité a suscité de nombreuses réactions. Car s'il était permis à une personne de porter le nom de sa mère à la place du nom de son père, cela revenait in fine à lui permettre de porter le nom de son grand-père maternel. On en revenait donc au patriarcat, pourtant pris pour cible par la proposition de loi ! Vous en conviendrez, la revendication égalitariste était mal embarquée…
Cette faille dans la version initiale du texte n'était pas la seule, puisque celui-ci ouvrait également droit à une identité à la carte qui permettait l'effacement d'une partie de l'identité. Comme je l'ai souligné en commission et en séance publique, cette possibilité soulève plusieurs questions. Qu'en est-il, par exemple, des débiteurs, qui pourraient se soustraire plus facilement à leurs obligations grâce à un changement de nom, ou des délinquants, à qui une telle possibilité permettrait d'échapper à des poursuites judiciaires – nous l'avons déjà vu ? Je me suis également interrogée sur les conséquences de la proposition de loi sur l'organisation de l'État si les Français décidaient massivement de changer de nom de famille. Rappelons que celui-ci constitue un outil de police générale.
Monsieur le garde des sceaux, vous m'avez en partie répondu au sujet des délinquants en m'assurant qu'ils feront l'objet d'un suivi particulier. Quand une modification de nom est adoptée à la Chancellerie, le service du casier judiciaire national, désormais totalement informatisé, est tout de suite informé, m'avez-vous assuré en première lecture. Vous avez d'ailleurs souligné que « s'il suffisait de changer de nom pour passer sous les radars de la justice », vous n'auriez jamais défendu le texte, et je veux bien vous croire. Néanmoins, il reste quelques zones d'ombre.
Le sous-directeur des libertés publiques, auditionné par le Sénat, a expliqué, en effet, que « ni le ministère de l'intérieur ni le ministère de la justice ne disposent aujourd'hui de la possibilité de s'interconnecter avec le répertoire national d'identification des personnes physiques (RNIPP) […] alimenté par les communes qui doivent retransmettre au fil de l'eau les modifications apportées à l'état civil. » Avouez, monsieur le garde des sceaux, que cela affaiblit quelque peu votre démonstration !
Il est regrettable que la proposition de loi n'ait pas fait l'objet d'une étude d'impact, car elle est guidée par de bonnes intentions. Faciliter la vie d'une femme divorcée, qui doit prouver en permanence qu'elle est bien la mère de ses enfants, dont elle ne porte plus le nom ; permettre à une personne de ne pas porter le nom de son bourreau lorsqu'elle a été victime de violences intrafamiliales : évidemment, ces demandes sont légitimes. Mais pourquoi ne pas avoir choisi de préciser et de simplifier l'article 61 du code civil, qui impose un motif légitime pour tout changement de nom ? Cela aurait permis d'apporter des réponses rapides à ces cas particuliers.
Heureusement, le texte présenté aujourd'hui a été amélioré et il n'est plus question de substituer tel nom par un autre. Seule l'adjonction est libéralisée. De même, le caractère définitif du changement est rappelé, ainsi que le changement de nom automatique des mineurs dont les parents choisissent de modifier leur nom. Je salue ces avancées, en espérant qu'elles ne seront pas le prélude à un nouveau modèle de société dans lequel le père serait encore un peu plus écarté ou congédié…