Intervention de Françoise Dumas

Séance en hémicycle du mardi 22 février 2022 à 15h00
Déclaration du gouvernement relative à l'engagement de la france au sahel

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaFrançoise Dumas, présidente de la commission de la défense nationale et des forces armées :

Nous sommes en guerre au Sahel. Ce n'est pas une métaphore. Nous sommes en guerre au Sahel, concrètement, militairement, tragiquement. Depuis 2013, cinquante-neuf de nos militaires y sont morts pour la France ; des centaines y ont été blessés, dans leur chair, dans leur âme : ils nous obligent. Ces sacrifices, dont il faut cultiver la mémoire, comme il faut célébrer ceux qui les ont acceptés, nous en sommes solidairement responsables. Car les soldats français ne combattent pas seuls. La France tout entière combat, à commencer par les responsables politiques que vous êtes, monsieur le Premier ministre et madame la ministre des armées, que nous sommes – vous aussi mes chers collègues qui, à mes côtés, avez soutenu les décisions du Président de la République et du Gouvernement, voté les crédits nécessaires et appuyé nos forces.

Il nous revient aujourd'hui d'endosser à nouveau cette responsabilité, que nous assumons, tandis que les errements de la junte malienne, au pouvoir depuis l'été 2020, remettent en cause notre présence militaire au Mali.

Qui est notre ennemi ? Ce sont des groupes terroristes djihadistes qui cherchent en Afrique sahélienne à constituer un refuge qu'ils ont tenté de bâtir ailleurs, sans y parvenir durablement. La dynamique de ces groupes a des assises locales manifestes, mais ils puisent aussi leur force dans leur affiliation symbolique aux franchises terroristes que sont Al-Qaïda et Daech. Ils sont désormais actifs dans toute la bande sahélienne et poursuivent leur dissémination, d'une part vers le golfe de Guinée, d'autre part vers l'Afrique centrale. Ils prospèrent sur les tensions communautaires, la pauvreté, la corruption et la fragilité de nombreux États.

Sans aucune organisation centralisée, une nébuleuse terroriste court ainsi des confins du Sénégal au Mozambique, en passant par le bassin du lac Tchad et l'est de la République démocratique du Congo, où une organisation affiliée à Daech a commis son premier attentat suicide le 25 décembre.

Une partie de ces terroristes sont les héritiers de ceux qui ont ensanglanté la France en 1995, d'autres sont responsables de l'enlèvement de dizaines de ressortissants européens, d'autres encore rêvent de porter leur combat au cœur même de l'Europe. Tous sont responsables de plusieurs milliers de morts parmi la population civile, et de plus de 2,5 millions de déplacés.

Dans ce contexte, quel est le sens de notre combat ? Une partie de notre sécurité se joue dans la bande sahélo-saharienne. Serval puis Barkhane ont permis de détruire le sanctuaire que les affidés d'Al-Qaïda avaient constitué dans le nord du Mali, et à empêcher la territorialisation du groupe État islamique dans le Grand Sahara (EIGS), affilié à Daech, dans la zone des trois frontières, entre le Mali, le Niger et le Burkina Faso.

Ce combat n'est malheureusement pas terminé. Les groupes armés se fragmentent et exploitent les interstices pour disséminer la haine dans toutes les lignes de fracture des sociétés africaines et tout le long des flux logistiques de l'économie criminelle.

Par ailleurs, la difficulté des États africains à offrir des perspectives alternatives positives à une jeunesse pleine de ressentiment crée autant de recrues terroristes potentielles.

Dans ce cadre, la rupture de la junte malienne avec tous les partenaires internationaux engagés auprès du Mali depuis 2013 nous afflige, mais elle n'est finalement qu'un épiphénomène à l'aune du défi réel que nous avons à affronter.

Le sens de notre combat est finalement toujours le même : ne pas laisser le Sahel devenir une zone chaotique, où la violence débridée serait l'unique stabilisateur social. Ce serait dramatique pour l'Afrique, dont l'émergence économique doit être le grand fait géopolitique du XXIe siècle. Ce serait catastrophique pour l'Europe aussi, qui serait la seconde victime de l'effondrement de son premier partenaire naturel – j'ai envie de dire culturel.

Alors, que devons-nous faire ? Vous l'aurez compris, je soutiens pleinement la vision du Gouvernement, que le Premier ministre nous a présentée. Nous ne pouvons plus rester au Mali, et le retrait coordonné qui se dessine est la meilleure solution possible. Cette évolution ne remet aucunement en cause la nécessité militaire de poursuivre le combat contre les métastases du cancer terroriste, qui se diffusent.

Au-delà du Niger et du Burkina Faso, l'urgence est de protéger les pays du golfe de Guinée, vers lesquels les groupes terroristes lorgnent, alors qu'ils sont déjà exposés à de nombreux enjeux sécuritaires, liés à la piraterie et à la hausse des trafics illicites.

Ces actions n'atteindront leur plénitude qu'inscrites dans une vision plus large. Celle que précisément, sous l'impulsion du Président de la République, l'Union européenne et l'Union africaine viennent de dessiner à Bruxelles. L'avenir de l'Europe et de l'Afrique repose sur un partenariat renouvelé où paix et sécurité se rencontrent, où transition écologique et développement économique se confortent. Telle est la tâche des militaires et des diplomates ; ils nous obligent.

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