Intervention de Jean-Pierre Pont

Réunion du jeudi 8 février 2018 à 10h05
Commission des affaires européennes

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaJean-Pierre Pont, rapporteur :

J'ai l'honneur de présenter aujourd'hui mon rapport sur la proposition de résolution européenne déposée par le groupe La République En Marche et le groupe Mouvement Démocrate et Apparentés sur l'interdiction de la pêche électrique. Ce type de pêche est largement interdit dans le monde, notamment en Chine, aux États-Unis, au Brésil, au Vietnam, dans de nombreux pays africains et sud-américains.

La présente proposition de résolution demande au Gouvernement de s'opposer à tout maintien de l'autorisation de cette technique, même dans le cadre d'une prorogation des dérogations actuelles. J'ai participé fin décembre avec trois autres collègues, Erwan Balanant, Paul Christophe et Joachim Son-Forget, à la rédaction d'une tribune appelant les parlementaires français « à interdire définitivement la pêche électrique. » et demandant à l'Europe « d'assumer un rôle de leadership dans la préservation des écosystèmes marins et des ressources halieutiques. ». Cette tribune, publiée dans le journal « Le Monde » le 13 janvier dernier, a été cosignée par 250 de nos collègues - toutes tendances confondues - dont certains d'entre vous. Je vous en remercie.

Nul doute que cette initiative a joué son rôle dans le vote intervenu le 16 janvier 2018 au Parlement européen, à une très large majorité – 402 voix contre 232 – et aboutissant à la stricte interdiction de la pêche électrique.

Ce type de pêche est interdit en Europe depuis 1998 par l'article 31 du Règlement du Conseil (n° 85098) au même titre que d'autres pêches dites destructrices « comprenant l'utilisation d'explosifs, de poisons, de substances soporifiques ». En 2006, la Commission et le Conseil de l'Union autorisent l'octroi d'une dérogation en Mer du Nord permettant aux États membres d'équiper au maximum 5 % de leur flotte de chaluts dotés de perches électriques à des fins d'expérimentation.

Cette pêche, principalement développée depuis 10 ans par les Néerlandais, a bénéficié d'aides publiques du fait de sa qualification de « pêche innovante ». On estime à près de 6 millions d'euros les subventions versées à la flotte néerlandaise, dont les deux tiers proviennent de fonds européens.

Ce système de pêche électrique soulève des problèmes majeurs que je souhaite vous présenter, aujourd'hui chers collègues, de manière synthétique.

Premièrement, les Néerlandais ont outrepassé les dérogations. Selon le registre des flottes européennes, 28 % de la flotte néerlandaise est équipée à l'électrique au lieu des 5 % autorisés, soit en 2017, 84 bateaux équipés au lieu des 15 autorisés. Les Pays-Bas arguent pour justifier un tel développement d'accords avec la Commission, accords dont on n'a aucune trace.

Deuxièmement, je veux rappeler ici que l'octroi de dérogations en 2006 s'est fait contre l'avis du Comité scientifique, technique et économique des pêches. Le comité attaché à l'Union européenne indiquait « qu'il y avait un certain nombre de questions qui devaient être résolues avant que la moindre dérogation ne puisse être accordée », compte tenu de « l'effet inconnu de la pêche électrique sur les espèces non ciblées et ses impacts potentiels sur les vertébrés et invertébrés ». Dans le même sens, en 2016, le Conseil international pour l'exploration de la mer indique clairement que l'extension de l'utilisation de la technique de la pêche électrique - sans évaluation préalable - ne serait pas compatible avec le principe de précaution. En conséquence, à mon avis, la pêche électrique doit être interdite, y compris à titre expérimental, tant que l'innocuité de son impact sur l'environnement marin n'aura pas été démontrée. À l'heure actuelle, on ne connaît absolument pas les conséquences de l'usage du courant électrique sur le poisson - les oeufs, les alevins, les poissons pubères - et sur les écosystèmes - algues, fonds marins, PH de l'eau.

En 2016, un programme d'études lancé et mené par les Néerlandais pour une période de 4 ans sur les effets du chalut à impulsion électrique doit permettre d'étudier dans quelle mesure le chalut électrique contribue à la diminution de la pêche accessoire et quels sont ses effets sur l'écosystème. Ce rapport devrait être publié fin 2019. En attendant, les poissons pêchés sur les chalutiers électriques sont bien souvent brisés et écorchés au point que 250 grands chefs ont signé en Europe la pétition demandant l'interdiction totale de la pêche électrique. Par exemple, le chef parisien triplement étoilé du restaurant déclare : « les poissons sont de si mauvaise qualité qu'on ne peut rien en faire ». De la même façon, de grands distributeurs refusent la vente de poissons issus de la pêche électrique.

Troisièmement, les risques de surpêche et les risques socio-économiques pour nos pêcheurs sont réels. Les pêcheurs français des Hauts de France, ainsi que leurs homologues belges, hollandais et britanniques constatent un effondrement de la ressource dans la zone concernée, en particulier des stocks de soles et de plies. Cette pêche est malheureusement hyper efficace… Elle nettoie complètement les fonds marins ! Les pêcheurs des Hauts-de-France sont contraints de descendre plus au sud en Manche pour sauver leur activité. Les pêcheurs observent également une raréfaction inquiétante des crevettes sur les côtes belges et françaises.

Cette pêche s'est développée de manière rapide en raison de son caractère redoutablement rentable dans la mesure où l'économie de gasoil est d'environ 50 %. Ainsi, aujourd'hui plus de 100 chalutiers à pêche électrique opèrent en Mer du Nord : 84 aux Pays-Bas, 10 au Royaume-Uni, 10 en Allemagne et 2 en Belgique. La quasi-totalité de ces chalutiers sont sous capitaux néerlandais. Les armements à Boulogne-sur-Mer sont majoritairement à capitaux étrangers, surtout néerlandais. Le risque de surpêche est d'autant plus aigu que cette pêche est non sélective. Selon des études très récentes, cette pratique impliquerait 41 % de taux de rejet contre 8 % avec la pêche traditionnelle.

Quatrièmement, et ce sera mon dernier point, le développement de la pêche électrique et son financement public sont contraires aux objectifs réglementaires européens. Le règlement de base de la Politique commune de la pêche adopté en 2013 fixe à l'Union l'objectif de restaurer les stocks halieutiques et de mettre fin à la surpêche d'ici 2020 au plus tard. La Directive cadre « Stratégie pour le milieu marin » dicte de « préserver les écosystèmes marins » et précise que « cette approche doit prendre en compte les zones protégées ». En outre, dans le cadre des objectifs de développement durable adoptés par l'Assemblée générale des Nations unies en 2015, l'Europe s'est engagée, d'ici 2020, à « mettre un terme à la surpêche » et « aux pratiques de pêche destructrices ».

En conclusion, mes chers collègues, étant très impliqué dans la défense des pêcheurs français victimes d'une pêche électrique qu'ils rejettent, je tiens à vous faire part - avec votre permission - d'une analyse personnelle. La Commission européenne non seulement propose le maintien du statut dérogatoire actuellement en vigueur mais encore - un comble ! - envisage maintenant son extension ! Comment expliquer cet acharnement de la Commission ? La réponse à mon humble avis, semble malheureusement évidente : la commission cherche à entériner le non-respect par les Néerlandais de cette règle des 5 % maximum autorisés - qu'elle a pourtant elle-même édictée - pour la pêche électrique. Un non-respect dont elle s'est rendue manifestement complice en la tolérant et, de ce fait, en refusant de la sanctionner comme c'était pourtant son devoir. Je tiens également à rappeler que le Parlement européen, le 16 janvier, a rejeté par son vote diverses dérogations techniques dommageables aux pêches françaises, notamment en matière de maillage, ce qui correspondrait à une dépense de 30 000 euros par bateau pour changer les filets. Une dépense impensable et irréalisable pour nos pêcheurs. La position du Gouvernement français se trouve confortée par le vote du Parlement européen du 16 janvier. La proposition de résolution européenne examinée aujourd'hui vient donc à point nommé pour soutenir les autorités françaises dans la procédure législative européenne qui suit son cours. Vous comprenez bien que la discussion avec Bruxelles ne sera pas facile. Il faudra toute la ténacité et la volonté de Stéphane Travert, notre Ministre de l'Agriculture et de l'Alimentation, pour obtenir gain de cause. Il doit pouvoir compter sur le soutien de la commission des affaires européennes de l'Assemblée nationale sur cette question.

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