Monsieur le président, madame la garde des sceaux, madame la rapporteure de la commission des lois, mesdames et messieurs les députés, le Gouvernement a déposé ce projet de loi en procédure accélérée : cela devient sa signature. De fait, comme à son habitude, il souhaite faire adopter un texte qu'il ajustera ensuite par ordonnances. Cette pratique dénote une vision de la démocratie très différente de la nôtre, puisqu'elle évite la tenue d'un grand débat de société sur un sujet aussi sensible que celui de nos données personnelles. Or nous sommes toutes et tous concernés par cette question.
On parle ici de toutes les informations qui permettent de nous identifier en tant qu'individu – adresse, genre, état de santé, orientation sexuelle, données biométriques, bancaires ou encore médicales – mais également de données qui paraissent plus anodines et qui ont trait à nos actions – les sites internet que nous visitons, la marque de pâtes que nous achetons le plus souvent, nos voyages en train ou la consommation électrique de notre foyer. Beaucoup de ces données sont récupérées via des services dits gratuits, pour lesquels nous consentons à livrer un peu de nous-mêmes, parfois sans nous en rendre compte. Or, sur le net, c'est bien connu, si c'est gratuit, c'est que vous êtes le produit.
C'est notre vie privée, intime, et la manière dont nous décidons de la mener qui est achetée. Nous ne parlons pas ici d'un domaine technique et anodin, mais de matière humaine – que votre idéologie et vos partenaires rêvent de voir transformée en données, mise en équation. Pour cette raison, il n'est pas raisonnable de légiférer en procédure accélérée, et encore moins de recourir aux ordonnances – car une habilitation à légiférer par ordonnances est bel et bien intégrée à ce projet de loi, à l'article 20. Or celui-ci ne porte pas sur un point de détail, puisqu'il consiste à réécrire l'ensemble de la loi de 1978.
Nous déplorons que la plus grande révision du droit relatif aux fichiers et aux libertés informatiques depuis treize ans ait été faite sans préparation et sans concertation réelle en amont. Nous avons besoin d'un grand débat national sur ces questions, puisque l'approche qui sera choisie conditionnera la société du futur, bienveillante ou intrusive. Nous ne sommes pas les seuls à dénoncer votre empressement, puisque la Commission nationale de l'informatique et des libertés – CNIL – l'a fait dans son avis du 30 novembre 2017, avec une analyse que le Conseil d'État a confirmée dans son avis du 11 décembre.
Ce texte a pour but de mettre en conformité la législation française avec deux règles européennes qui seront, dans leur quasi-totalité, applicables dès le mois de mai. Si une grande partie de cette loi relève donc de l'adaptation au droit communautaire, le Gouvernement disposait néanmoins de marges de manoeuvre et il a fait des choix délibérés. En outre, les deux textes européens prévoyaient la reconnaissance du droit à l'oubli et du droit à un consentement clair et explicite, qui n'ont pas fait l'objet de transposition. Nous avions déposé des amendements en ce sens, qui ont été rejetés.