Intervention de Paul Christophe

Séance en hémicycle du jeudi 8 mars 2018 à 15h00
Liste française des paradis fiscaux — Discussion générale

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaPaul Christophe :

Monsieur le président, madame la secrétaire d'État, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, nous examinons aujourd'hui une proposition de loi visant à créer une nouvelle liste française des paradis fiscaux, proposition présentée par nos collègues du groupe de la Gauche démocrate et républicaine, sans doute, comme l'a déjà noté Mme Louwagie, dans l'idée de faire mentir Georges Pompidou, qui disait : « La fraude est à l'impôt ce que l'ombre est à l'homme. ».

Les nombreux et récents scandales d'évasion fiscale – Luxleaks, Panama papers ou Paradise papers, pour ne citer qu'eux – ont démontré combien les paradis fiscaux restaient d'une actualité brûlante. Malgré d'indéniables avancées, les efforts conduits aux niveaux international, européen et français butent toujours sur les pratiques dommageables et non coopératives de certains pays. Sous le mandat du président Nicolas Sarkozy, on nous annonçait déjà la fin des pratiques fiscales dommageables – la suite des événements a montré qu'une telle affirmation était quelque peu anticipée.

La présente proposition de loi intervient dans un contexte où l'évasion fiscale atteint un niveau record. On estime que l'évasion et l'optimisation fiscales priveraient chaque année l'Union européenne de 1 000 milliards d'euros et la France de 60 à 80 milliards d'euros. Hier, mercredi 7 mars, Pierre Moscovici, commissaire européen à la fiscalité, a présenté au nom de la Commission l'analyse annuelle de la situation économique et sociale dans les États membres. Cette analyse n'étrille pas moins de sept pays de l'Union européenne pour leur législation fiscale dite « agressive » : la Belgique, Chypre, la Hongrie, l'Irlande, le Luxembourg, Malte et les Pays-Bas.

La nouvelle liste nationale des paradis fiscaux que souhaitent créer les auteurs de la proposition de loi viendrait compléter un ensemble de dispositifs, déjà existants, qui répertorient les paradis fiscaux. Cependant, il faut rappeler que la plupart de ces listes émanent d'organismes divers, qu'elles ne sont pas harmonisées et qu'elles présentent des résultats différents.

L'Organisation de coopération et de développement économiques, généralement considérée comme l'organisation référente pour répertorier les paradis fiscaux, est la première à avoir donné une définition mondiale de ce concept. Elle définit des critères pour la classification des pays. Pourtant, étrangement, la liste noire de l'OCDE ne contient à ce jour qu'un seul pays : Trinité-et-Tobago. À titre d'observation, il est étonnant, même si des efforts ont été consentis par ce pays, que le Panama, au coeur d'un vaste scandale fiscal, figure parmi les pays qui respectent « largement » les critères internationaux en la matière. Certains observateurs regrettent qu'en marge de la rédaction de la liste, établie en juillet 2017, les pays menacés aient multiplié les contacts avec l'OCDE pour éviter d'entrer dans cette catégorie.

Au niveau européen, la classification est jugée imparfaite. En effet, dans la continuité logique du scandale des Paradise papers, l'Union européenne, par l'intermédiaire du conseil pour les affaires économiques et financières, a établi en fin d'année 2017 une liste visant à identifier les paradis fiscaux. Cette annonce a été accompagnée de vifs débats, notamment du fait des Britanniques, qui abritent sous leur pavillon de nombreux centres financiers offshore : l'île de Man, les îles Caïmans, voire les Bermudes. Bruxelles a surtout cherché à cibler les pays qui autorisent les « boîtes aux lettres », c'est-à-dire des structures qui ne possèdent aucune activité réelle. Il a toutefois été décidé que les pays de l'Union européenne ne feraient pas partie de cette liste, malgré des pratiques douteuses de la part de Malte, des Pays-Bas ou de l'Irlande.

Les critères retenus pour l'établissement de la liste sont le refus de l'échange d'informations, l'existence de mesures fiscales préférentielles dommageables et la non-mise en oeuvre des mesures de l'OCDE contre l'optimisation fiscale agressive. Le 23 janvier 2018, cette liste a été ramenée à neuf États ou territoires : Bahreïn, Guam, les îles Marshall, la Namibie, les Palaos, les Samoa, les Samoa américaines, Sainte-Lucie et Trinité-et-Tobago. Les autres États auraient tous fourni des engagements suffisants – à noter que le Maroc a échappé de justesse à l'inscription de son nom sur la liste.

En parallèle, on a pu parler d'une « liste grise », qui recense cinquante-cinq juridictions dont les pratiques fiscales seraient dommageables, mais qui avanceraient des engagements jugés sérieux. On y trouve notamment les dépendances britanniques. Toutefois, la liste n'est assortie d'aucune sanction particulière.

Certaines organisations non gouvernementales établissent leur propre classification, à l'instar d'Oxfam, qui regrette ainsi que certains États européens ne figurent pas sur la liste noire européenne – à commencer par les pays du Benelux, Malte et l'Irlande. Pour établir sa liste noire, Oxfam a repris les critères de l'Union européenne ; au moins trente-cinq pays non-membres devraient figurer dessus.

Et puis, il y a la liste française, qui date de 2016 et comporte sept États : Brunei, Nauru, Niue, le Panama, les îles Marshall, le Guatemala et le Botswana. Toutefois, les critères retenus sont très faibles : la France ne considère que la transparence ; l'Union européenne a des critères plus stricts et plus exigeants. En revanche, l'arsenal juridique français contre les paradis fiscaux et ceux qui y transfèrent leurs bénéfices est dissuasif. Nous avons donc une bonne législation de ce point de vue mais, en raison de critères qui manquent de pertinence, elle s'applique à une liste bien trop courte.

L'article 1er de la présente proposition de loi introduit de nouveaux critères de définition, dans la lignée des travaux de l'OCDE, en matière d'échanges d'informations et de lutte contre l'érosion des bases fiscales et il cible les pratiques fiscales nocives à la coopération, comme l'opacité ou la création de structures juridiques sans réelle activité. L'article 2 introduit un dispositif contraignant, en interdisant aux établissements de crédit français d'exercer dans les pays identifiés à des paradis fiscaux.

Cette proposition de loi du groupe de la Gauche démocrate et républicaine nous paraît équilibrée. Je salue le travail attentif et sérieux de nos collègues, en particulier celui de mon collègue du Nord, Fabien Roussel. Néanmoins, le problème ne peut se résoudre par l'élaboration d'une liste nationale des paradis fiscaux. Selon nous, ce n'est pas la bonne approche : le problème ne peut être résolu dans un cadre national, tout le monde en est conscient. Une telle proposition de loi ne peut être qu'inopérante.

J'appelle donc mes collègues du groupe de la Gauche démocrate et républicaine, même si leur texte est de qualité, à changer d'échelle de réflexion et défendre cette initiative à l'échelon international ou, au moins, européen – même si, dans ce domaine, le cadre européen ou celui de l'OCDE risque d'être trop étroit.

Chers collègues, je me permets de vous suggérer de rédiger une proposition de résolution européenne, qui sera sans doute plus efficace pour amplifier et soutenir l'action du Gouvernement, dans l'esprit de ce que nous avons voté mardi dernier, avec une belle unanimité, au sujet de l'interdiction de la pêche électrique. Dans cette attente, et pour l'ensemble des raisons que je viens d'évoquer, le groupe UDI, Agir et indépendants ne soutiendra pas votre proposition de loi.

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