En d'autres termes, s'il n'est pas question de rejeter un tel texte, dans la mesure où il porte sur un sujet que nous considérons tous comme fondamental et où il va dans la bonne direction, nous ne pourrions nous satisfaire de l'adopter en l'état.
En tout premier lieu, comme l'ont relevé Laurent Saint-Martin ou Daniel Labaronne, si nous examinons ce texte dans le détail de sa rédaction, les critères qui sont proposés dans l'article 1er de la proposition de loi pour définir le caractère non coopératif d'un État ou d'un territoire sont alternatifs, très larges voire ambigus et pourraient concerner de nombreux États. Il serait donc très difficile, en l'état, d'appliquer les dispositions de cette proposition de loi, car celles-ci conduiraient à ajouter de très nombreux pays – y compris nombre nos partenaires européens – à la liste française des paradis fiscaux, au risque d'annuler l'effet de dissuasion que doit entraîner, pour un État, le fait de figurer dans une telle liste. Ces imperfections nous laissent croire qu'il faudrait en revoir la rédaction. Un renvoi en commission permettrait sans aucun doute de parfaire le texte.
Par ailleurs, une telle démarche ne peut être menée qu'en lien avec les initiatives communautaires. Nous entendons très bien votre remarque selon laquelle la Commission et les États tendent à se renvoyer la balle. Il ne s'agit pas de prétendre que tout ressort de la Commission européenne, mais de constater que nous ne pouvons pas travailler sur la fraude fiscale, qui est par définition internationalisée, sans tenir compte des initiatives communautaires, à moins de faire preuve d'autisme – ce qui n'est pas notre cas, j'en suis sûr. Les États membres viennent d'adopter avec la Commission une liste européenne des paradis fiscaux. Certes, elle est perfectible. Certes, il nous faudra faire évoluer le droit national pour la rendre pleinement opérante et, en un mot, plus efficace. Cependant, il serait dommage d'avancer sans tenir compte des efforts conjoints menés en faveur d'une action concertée au niveau européen.
Au-delà de la question de la rédaction de ce texte et de son contexte européen, il importe à nos yeux de l'inscrire dans un plan plus global et plus stratégique de lutte contre la fraude fiscale. Comme le constatent les praticiens, les efforts entrepris dans la lutte contre la fraude fiscale ont produit des effets ; mais aujourd'hui il nous faut changer de braquet en adoptant une démarche bien plus systémique et ambitieuse que ce qui est entrepris depuis quelques années. En matière de répression de la fraude fiscale, nous ne pouvons plus nous contenter d'adapter notre droit à la marge ; il faut le revoir et l'améliorer dans tous ses aspects. Il nous faut indéniablement parler de liste, mais aussi de police fiscale et de sanctions.