Madame la présidente, monsieur le ministre, monsieur le président de la commission, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, la proposition de loi présentée par nos collègues centristes vise à simplifier et à mieux encadrer le régime d'ouverture des établissements scolaires privés hors contrat. Adoptée par le Sénat en première lecture, elle a été profondément modifiée à l'initiative du Gouvernement.
Aujourd'hui, l'enseignement privé est organisé selon deux modalités : certains établissements signent un contrat avec l'État, qui prend alors en charge certaines dépenses, en particulier de personnel.
À ce propos, monsieur le ministre, je me permets une brève digression, pour vous poser deux questions. Premièrement, puisque l'école maternelle va devenir obligatoire, les communes auront-elles l'obligation de financer les élèves des classes de maternelle des écoles privées sous contrat ? Deuxièmement, qu'adviendra-t-il des agents territoriaux spécialisés des écoles maternelles, les ATSEM, qui interviennent à l'heure actuelle dans les écoles publiques : seront-elles rattachées à l'éducation nationale ou resteront-elles du ressort des collectivités locales ?
D'autres établissements, moins nombreux mais dont les effectifs progressent, sont dits « hors contrat » ; ils ne bénéficient pas d'aides de l'État et relèvent d'un régime moins contrôlé. Dans ces établissements, les libertés pédagogiques, intellectuelles, religieuses et philosophiques sont fortes et revendiquées.
Il existe environ 1 300 établissements scolaires hors contrat pour un peu moins de 8 000 établissements sous contrat. Certes, ils n'accueillent que 70 000 enfants sur un total de 1,2 million d'enfants scolarisés en France. Toutefois, et cela est très inquiétant, le rythme d'ouverture d'établissements hors contrat, de l'ordre de quelques dizaines par an, est en forte augmentation : cela a déjà été dit, mais il est important de le rappeler. Leur nombre est ainsi passé de 803 en 2010 à 1 300 en 2017, soit une croissance de plus de 60 %.
Les données du ministère de l'éducation nationale montrent que l'augmentation du nombre d'élèves concerne notamment les écoles non rattachées à un réseau particulier, qui sont souvent des écoles alternatives laïques. Parmi les établissements confessionnels, cette hausse concerne surtout les écoles musulmanes, qui enregistrent une augmentation globale de 28 % et de 36 % pour le seul primaire, et les écoles protestantes évangéliques, pour lesquelles l'augmentation est de 25 %.
Cette proposition de loi part d'un constat que nous partageons : face aux phénomènes de radicalisation religieuse, de sectarisme, d'amateurisme, voire d'insuffisance pédagogique, les dispositions applicables à l'ouverture de ces écoles privées hors contrat sont obsolètes et inadéquates. Vos services, monsieur le ministre, reçoivent de plus en plus de signalements d'établissements qui ne dispenseraient qu'une instruction d'un niveau très faible ou dont l'enseignement ne correspondrait pas aux valeurs de la République.
Un rapport d'inspection réalisé pour l'académie de Versailles en 2016, dont la presse s'est fait l'écho, a montré d'inquiétantes dérives : dans une dizaine d'écoles, sur une trentaine d'établissements contrôlés, « les dimensions pédagogiques sont détournées de leurs enjeux et amputées de ce qui les fonde théoriquement ». Pire, aucune des écoles contrôlées ne respectait le socle commun.
Le rapport conclut que « la vigilance s'impose sur les effets d'une éducation qui impose des croyances ou des convictions et occulte des pans entiers du savoir au profit d'une idéologie ». Monsieur le rapporteur, le président de votre groupe au Sénat a récemment affirmé, reprenant une phrase qui commence à devenir célèbre, qu'il était plus compliqué d'ouvrir un café qu'une école. Alors que nous proposez-vous ?
Tout d'abord, cette proposition de loi préconise une unification des régimes d'ouverture de tous les établissements hors contrat : pour parvenir à un régime plus simple, les trois régimes actuels seraient remplacés par un régime unique de droit commun – nous pouvons l'entendre. La simplification passerait, ensuite, par une unification et une modernisation des motifs d'opposition à l'ouverture d'un établissement : la notion d'ordre public, utilisée aujourd'hui pour le seul enseignement technique, serait généralisée à tous les degrés de l'enseignement, les notions les plus anciennes étant actualisées par la référence à la protection de l'enfance et de la jeunesse. Par ailleurs, les motifs permettant d'ores et déjà de demander la fermeture d'un établissement – absence de diplôme du directeur, condamnation pour crime ou délit contraire aux bonnes moeurs – pourraient désormais être opposés à l'ouverture des établissements. Ces mesures, mes chers collègues, ne sont ni à la hauteur des enjeux auxquels nous sommes confrontés ni à l'ambition affichée par le titre de cette proposition de loi.
Monsieur le ministre, le Gouvernement a récemment présenté un plan national de prévention de la radicalisation, dont l'un des volets s'intitule : « Prémunir les esprits contre la radicalisation : investir l'école ». La mesure numéro 5 de ce plan propose de « faire évoluer le régime juridique encadrant l'ouverture des établissements d'enseignement privés hors contrat [… ] ». Nous sommes d'accord, mais vous ajoutez : « [… ] en unifiant les trois régimes déclaratifs actuels et en renforçant leur efficience ». Et là, nous ne sommes plus d'accord. Alors que vous êtes censés apporter une réponse efficace pour mobiliser l'école pour les valeurs de la République, vous faites le choix du statu quo en procédant à quelques ajustements des dispositions aujourd'hui applicables à l'ouverture des établissements privés hors contrat, ajustements dont cette proposition de loi est la traduction législative. Nous regrettons ce choix.
Le code de l'éducation dispose en son article L. 111-1 : « Outre la transmission des connaissances, la nation fixe comme mission première à l'école de faire partager aux élèves les valeurs de la République. Le service public de l'éducation fait acquérir à tous les élèves le respect de l'égale dignité des êtres humains, de la liberté de conscience et de la laïcité. » Le plein respect du droit à l'éducation de tous les enfants de France, et ce quel que soit le mode d'instruction choisi librement par la famille, rend donc indispensable un choix certes courageux mais qui s'impose : celui consistant à substituer, pour les établissements hors contrat, un régime d'autorisation d'ouverture au régime de déclaration d'ouverture. En procédant à un tel changement, vous pourriez prétendre mettre fin aux dérives que nous constatons sur nos territoires. Certes, c'est un sujet sensible et complexe, soumis à des influences opposées, mais l'urgence est là. Un tel régime permettrait d'accompagner les créateurs de l'établissement en les invitant à réfléchir en amont à la compatibilité de leur projet pédagogique avec les exigences du socle commun de connaissances, de compétences et de culture. Je veux rappeler ici, mais certains collègues le savent, que cette solution ne serait pas nouvelle : elle est en vigueur en Alsace-Moselle depuis 1873 !
Lors de l'examen du projet de loi relatif à l'égalité et à la citoyenneté de 2016, la précédente majorité avait adopté un amendement – auquel je ne suis pas étranger – qui habilitait le Gouvernement à légiférer par ordonnances pour revoir le régime déclaratif d'ouverture des établissements privés hors contrat afin de l'aligner sur le régime d'autorisation préalable actuellement en vigueur en Alsace-Moselle. Malheureusement, comme le souligne M. Zumkeller dans son rapport et contrairement à ce qui vient d'être dit, cet amendement a été censuré par le Conseil constitutionnel au motif que l'habilitation donnée au Gouvernement n'était pas suffisamment précise. La liberté de l'enseignement constitue certes l'un des principes fondamentaux reconnus par les lois de la République, réaffirmés par le préambule de la Constitution de 1946 auquel se réfère le préambule de la Constitution de 1958. Cependant, et de manière croissante, cette liberté est détournée par des réseaux ou des groupuscules qui souhaitent dispenser des enseignements manifestement incompatibles avec les valeurs de la République et susceptibles d'être contraires à l'ordre public. Les services de l'État sont ainsi amenés, de plus en plus, à fermer des écoles de fait, le plus souvent non recensées et dispensant des enseignements religieux rigoristes, et où sont scolarisés des enfants déclarés comme bénéficiant d'un enseignement à domicile.
En commission des affaires culturelles et de l'éducation, nous avons défendu plusieurs amendements visant à passer d'un régime déclaratif à un régime d'autorisation. Je dois dire que l'absence d'auditions organisées par le rapporteur sur un sujet aussi majeur et sensible ne nous a pas permis de bien développer nos arguments – peut-être par volonté d'aller vite, comme visiblement encore ce soir puisqu'on nous demanderait de terminer l'examen du texte dès cette première séance, alors que nous pensions disposer d'un peu de temps pour expliquer nos amendements et défendre nos positions, y compris à la séance prochaine.