La séance est ouverte.
La séance est ouverte à vingt et une heures trente.
La parole est à M. Michel Zumkeller, rapporteur de la commission des affaires culturelles et de l'éducation.
Madame la présidente, monsieur le ministre de l'éducation nationale, monsieur le président de la commission des affaires culturelles et de l'éducation, mes chers collègues, nous examinons aujourd'hui une proposition de loi adoptée par le Sénat voilà un peu plus d'un mois, le 21 février dernier, à l'initiative de Mme Françoise Gatel du groupe UDI, et qui vise à simplifier et encadrer le régime d'ouverture et de contrôle des établissements d'enseignement privés hors contrat.
Cette initiative parlementaire répond à un réel besoin de réformer le régime de déclaration des établissements d'enseignement privé. Le constat est en effet unanime : issu de lois datant de plus d'un siècle, ce régime, aujourd'hui obsolète et complexe, se caractérise par son manque de cohérence. Pour chaque catégorie d'établissement – premier degré, second degré et enseignement technique – , les conditions de déclaration, les pièces demandées et les procédures d'opposition des autorités ne sont pas les mêmes, sans que ces différences apparaissent vraiment justifiées.
Ainsi, les délais d'opposition dont disposent le maire, l'autorité académique, le préfet et le procureur à l'ouverture d'un établissement varient entre huit jours et deux mois, selon les cas, ce qui est court, en tout état de cause, et ne permet pas d'exercer un contrôle véritablement efficace. De plus, les motifs pouvant justifier une opposition sont restreints et étonnamment désuets : peut être invoqué le seul intérêt des bonnes moeurs ou de l'hygiène, voire l'ordre public pour les établissements d'enseignement technique.
Les conditions requises de la part des chefs d'établissement et des enseignants, au regard de l'âge, des diplômes et de l'expérience professionnelle, sont disparates, ce qui peut aboutir à des situations étonnantes : aucune condition, ni d'âge, ni de diplôme, ni de nationalité, n'est fixée pour les enseignants des établissements secondaires, à la différence des maternelles et des écoles ou des établissements d'enseignement technique. Aucune expérience professionnelle n'est non plus demandée pour ouvrir un établissement d'enseignement primaire. Le régime déclaratif actuel manque donc de lisibilité et de pertinence, à la fois pour les personnes porteuses de projets d'établissements et les administrations destinataires des déclarations.
Par ailleurs, le caractère restreint des motifs d'opposition à l'ouverture aboutit à ce paradoxe qu'un maire ou un préfet ne peut pas s'opposer à l'ouverture d'un établissement, quand bien même son directeur ne remplirait pas les conditions requises par la loi, par exemple parce qu'il aurait été frappé d'une interdiction définitive d'enseigner. C'est seulement une fois l'établissement ouvert que le procureur de la République peut être saisi et que le tribunal correctionnel peut prononcer la fermeture de l'établissement. Les maires et les autorités de l'État se trouvent donc désarmés et mis devant le fait accompli.
Les incohérences du dispositif actuel apparaissent avec d'autant plus d'acuité que la création d'établissements privés hors contrat est en pleine expansion depuis plusieurs années. Je rappelle, au passage, qu'un nouvel établissement privé est nécessairement hors contrat dans un premier temps, puisque, en principe, il ne peut passer contrat avec l'État qu'au bout de cinq années. Alors que l'on comptait environ 800 établissements hors contrat à la rentrée 2010, leur nombre a atteint 1 300 à la rentrée 2017, et celui des élèves qui y sont scolarisés 73 000. C'est un chiffre important, qu'il faut toutefois relativiser, puisqu'il représente environ 0,5 % de la totalité des élèves scolarisés.
Le secteur hors contrat se caractérise par sa diversité, comprenant aussi bien des établissements confessionnels, qui accueillent entre 40 % et 45 % des élèves, que des établissements proposant des pédagogies alternatives, telles Montessori ou Freinet, ou des enseignements en langue régionale.
Face au double constat du manque de lisibilité et de l'inadaptation du régime de déclaration et du dynamisme des établissements hors contrat, il faut apporter des réponses. C'est l'ambition de la présente proposition de loi.
En premier lieu, ce texte conserve le principe d'un régime de déclaration qu'il harmonise et simplifie. Les distinctions entre catégories d'établissements sont effacées et une même procédure s'applique. L'autorité académique constitue l'interlocuteur unique des porteurs de projets, et c'est elle qui transmet le dossier de déclaration aux autres autorités, soit le maire, le préfet et le procureur. La liste des pièces à fournir est, elle aussi, unifiée, mais également précisée et complétée, pour assurer que les autorités disposent de tous les éléments nécessaires pour exercer un contrôle efficace.
Toujours pour permettre un contrôle efficace, le délai d'opposition est allongé à trois mois dans tous les cas, tandis que les motifs d'opposition sont modernisés et étoffés. La notion d'ordre public est introduite, ainsi que le respect des conditions requises de la part de la personne qui déclare l'ouverture et aussi, si ce n'est pas la même, de la personne qui dirigera l'établissement. La notion de protection de l'enfance et de la jeunesse vient remplacer celle de l'hygiène et des bonnes moeurs.
Le Sénat a prévu l'obligation d'informer l'autorité académique en cas de changement d'identité du directeur d'établissement, pour éviter notamment les pratiques de prête-nom à l'ouverture des établissements. Nous avons, par ailleurs, adopté en commission un amendement déposé par Mme Kuster, qui vise à interdire à une personne figurant sur le fichier des personnes recherchées d'ouvrir un établissement. Si je partage, bien évidemment, l'objectif poursuivi par notre collègue d'assurer la meilleure protection pour nos enfants, cette disposition ne doit pas, à mon sens, être conservée. C'est pourquoi je vous proposerai d'adopter l'amendement déposé sur ce sujet par le Gouvernement.
D'un point de vue technique, l'amendement adopté fait référence au fichier des personnes recherchées, qui est très large et couvre bien plus que les seules personnes figurant sur ce que l'on appelle le « fichier S », qui était visé. Plus fondamentalement, son objet est satisfait par l'ajout, parmi les motifs d'opposition à l'ouverture d'un établissement, de l'intérêt de l'ordre public : cela permettra aux autorités, notamment au procureur, qui peut accéder à ce fichier, d'identifier les personnes concernées et, le cas échéant, de s'opposer à l'ouverture d'un établissement qui serait déclarée par une personne représentant une menace grave pour la sécurité publique ou la sûreté de l'État. D'autres amendements portant sur ce même sujet ont d'ailleurs été déposés en séance. Mon avis sera le même : il ne me semble pas utile d'aller au-delà du dispositif proposé, au risque de l'affaiblir, du fait d'incertitudes constitutionnelles.
En deuxième lieu, les conditions exigées des directeurs d'établissement et des enseignants sont harmonisées, sachant que les conditions de diplômes, de pratiques professionnelles et d'âge seront définies par décret en Conseil d'État et que des possibilités de dérogations seront ouvertes.
Enfin, au-delà du contrôle qui peut être exercé au moment de l'ouverture sur pièces, il importe d'assurer que les établissements d'enseignement puissent être efficacement inspectés lorsqu'ils sont en activité et accueillent leurs élèves. Comme le montrent les travaux de notre collègue sénatrice Annick Billon, ces contrôles sont aujourd'hui insuffisants, du fait des contraintes pesant sur les moyens d'inspection et parce que le contrôle des établissements hors contrat n'avait pas été identifié comme une priorité jusqu'à récemment. Le texte qui nous est proposé pose le principe d'un contrôle dès la première année d'exercice de l'établissement. M. le ministre s'est engagé à ce que les moyens nécessaires soient mobilisés pour atteindre cet objectif. Le texte prévoit aussi que les noms et les titres des enseignants seront transmis chaque année à l'autorité académique, pour procéder aux vérifications nécessaires. Il multiplie également par quatre l'amende applicable lorsqu'un chef d'établissement s'oppose à une inspection, et il supprime la condition de récidive pour prononcer la fermeture de l'établissement dans un tel cas.
Voilà, rapidement dessinées, les grandes lignes de la proposition de loi qui nous est proposée et que je vous invite, évidemment, à adopter. Ce texte aboutit, à notre sens, à un bon équilibre, en ce qu'il améliore et simplifie le régime actuel de déclaration – ce qui est souhaitable tant pour les porteurs de projets que pour les administrations – , tout en renforçant la portée des contrôles. Il est très attendu par les services concernés, notamment par les services académiques. Il importe qu'il puisse s'appliquer dès la rentrée 2018-2019, afin de leur donner les outils adaptés pour exercer un contrôle efficace sur les établissements d'enseignement hors contrat, à leur ouverture mais aussi en cours d'activité.
J'ai reçu de M. Jean-Luc Mélenchon et des membres du groupe La France insoumise une motion de rejet préalable déposée en application de l'article 91, alinéa 5, du règlement.
La parole est à Mme Sabine Rubin.
Madame la présidente, monsieur le ministre, monsieur le président de la commission, monsieur le rapporteur, chers collègues, cette loi, qui se préoccupe d'assurer un meilleur contrôle des écoles privées hors contrat n'a d'intérêt, à mes yeux, que de mettre en évidence le silencieux mais bien réel désengagement de l'État dans ce qui construit les fondements communs d'une société : l'éducation ou plus précisément l'instruction commune.
Il n'est pas inutile de rappeler que la finalité de l'école de Jules Ferry était de former des patriotes républicains, soit de créer un attachement commun aux valeurs de la République. Presque cent cinquante ans plus tard, Emmanuel Macron lui-même réaffirme cette pensée. Hier, lors de son intervention aux assises de la maternelle, il l'a ainsi réactualisée en disant que : « Il en va de notre capacité comme République à préserver la cohésion sociale en faisant de l'école le lieu [d'une] égalité réelle, celle qui efface ce déterminisme social [… ]. »
Notre école à tous est donc bien celle de la République : ce creuset où se forme l'âme d'une nation, où se forge en commun un peuple de citoyens, où s'affirme peu à peu une communauté d'esprit et de sentiments. Nous en sommes tous d'accord. Pour revenir à la déclaration présidentielle, je dirais qu'elle est révélatrice des dysfonctionnements de notre système scolaire. D'une part, on alerte sur la nécessité de préserver une cohésion sociale, sous-entendant qu'elle s'émiette ; d'autre part, on reconnaît l'échec de l'école à effacer les déterminismes sociaux. Nous ne pouvons que souscrire à ce double constat.
Mais cette situation a bien une cause. On parle parfois du laxisme à l'école, mais le premier laxisme en matière d'éducation n'est-il pas l'abandon par l'État de ses missions essentielles ? Cette loi nous apprend, en effet, qu'il est plus facile d'ouvrir une école que d'installer une véranda. Nous verrons plus loin qu'elle ne modifie qu'à la marge les exigences requises. Quelles sont-elles ? Un acte de naissance, les diplômes et un extrait du casier judiciaire du porteur de projet ; et, si celui-ci est le futur directeur, son CV, c'est-à-dire les professions exercées les dix dernières années, avec une exigence de cinq ans d'expérience en matière d'éducation. À cela s'ajoute le plan des locaux, le plan de financement et le projet d'établissement, soit l'âge des élèves et les diplômes préparés.
Il est d'ailleurs important de rappeler que les écoles hors contrat ne sont pas obligées d'appliquer les programmes de l'enseignement, mais simplement d'assurer un socle commun, un minimum syndical plutôt imprécis : maîtriser la langue ; les principes élémentaires des maths ; la culture humaniste et scientifique ; la langue vivante.
Dans le rapport préalable à cette proposition de loi, on apprend que le contrôle de l'État ne touche que la moitié des établissements créés la première année et un quart après cinq ans d'exercice. On y lit aussi qu'un quart des contrôles effectués révèlent des manquements comme l'occultation ou l'interprétation de certains pans du savoir en histoire, en géographie, en sciences et en art, ou encore l'absence de preuve d'enseignement scolaire ou de développement de certaines compétences. Pour illustrer mon propos, je citerai le reportage « À l'extrême droite du père », que nul ne peut ignorer. À l'école Saint-Projet rattachée à l'église Saint-Éloi, on voit de chères têtes blondes apprendre que Charles de Gaulle était un déserteur et les SS, une troupe d'élite. Nous sommes ici bien loin de l'école de la bienveillance, aujourd'hui proclamée par M. Macron !
Mais ce travail nous rappelle aussi et surtout une terrible et dangereuse réalité : la sensible augmentation – 60 % en sept ans – des écoles privées hors contrat, avec une croissance exponentielle ces trois dernières années. Entre 2014 et 2017, leur nombre a en effet augmenté de 344, contre 163 entre 2010 et 2014. De plus en plus de familles désertent l'école publique, les unes ayant perdu confiance dans sa capacité à instruire et éduquer leurs enfants correctement, les autres recherchant des pédagogies alternatives, soucieuses du développement harmonieux de ces derniers, les autres encore souhaitant transmettre leur culture religieuse.
À ce stade, je voudrais à nouveau faire miens les propos d'Emmanuel Macron lors des fameuses assises de l'école maternelle : « Le destin de notre pays s'est toujours forgé, gravé dans son système éducatif, qui en est [… ] le miroir ». Je souscris à ces propos : notre système éducatif est véritablement à l'image de la société d'aujourd'hui, une société non pas diverse dans ses approches, mais fragmentée. Fragmentée sur des critères religieux : 45 % des 73 000 élèves en écoles hors contrat sont dans un établissement confessionnel. Fragmentée culturellement et socialement, les familles disposant d'un bagage culturel ou d'argent orientant leurs enfants dans des écoles pouvant coûter entre 5 000 et 10 000 euros par an. Et même fragmentée en fonction du genre, certaines écoles proposant des contenus pédagogiques ayant des fondements clairement sexistes.
Certes, ces écoles ne concernent que 0,5 % des effectifs d'élèves scolarisés, mais comment parler encore de cohésion et de mixité sociale dans le système éducatif quand, par ailleurs, la dernière réforme – celle du lycée public – enfonce plus encore le clou de l'autonomie des établissements, remet en cause le caractère national du bac et organise des parcours individualisés de connaissances, réduisant au minimum le socle commun ?
Du constat partagé à la solution concrète, il y a bien du chemin, et en politique, comme en amour, seules les preuves comptent. Je comprends d'autant mieux l'intérêt du Président pour le service national : il s'agit de créer une mixité et une cohésion nationale autour des valeurs de la République quand le système éducatif échoue à le faire.
Malgré la contradiction que je pointe entre les réformes en cours et les beaux discours présidentiels, je m'y réfère une dernière fois : « Il y a toujours quelque chose d'éminemment politique [… ] lorsqu'on parle [… ] de l'éducation ». En effet, mais de quelle politique parle-t-on ? C'est une politique libérale qui n'a de vision pour l'école que celle dictée par la Commission européenne et son obsession « austéritaire ». Cette vision libérale se traduit dans les faits par moins de service public, ou un service public délaissé y compris en matière d'éducation, et donc un soutien tacite aux écoles privés, au nom de la liberté d'enseignement, sans garantie de contrôle de l'État pour harmoniser ce patchwork d'établissements et d'enseignements. Et cette loi n'y fera pas grand-chose.
Au-delà de ces considérations politiques, trop souvent oubliées, voilà le contexte dans lequel s'inscrit cette proposition de loi. Malheureusement je n'invente rien : les rapports parlementaires, les documentaires, les articles de presse sont suffisamment éloquents sur les dérives de l'école hors contrat. La rapporteure au Sénat a d'ailleurs décrit la situation ainsi : « Face à des phénomènes de radicalisation religieuse, de sectarisme, d'amateurisme ou d'insuffisance pédagogique, l'inadéquation et la dangerosité des dispositions actuelles sont patentes ».
J'en viens maintenant au coeur du sujet. Monsieur le ministre, monsieur le rapporteur, au vu de cette situation, je m'interroge sur ce qu'apporte votre texte pour résoudre de manière concrète la crise structurelle que traverse notre école, qui se manifeste dans toute son ampleur dans les écoles privées hors contrat. Cette crise, vous la regardez passer de loin mais il ne me semble pas que vous ayez pour ambition d'y répondre réellement. Véritable pis-aller, ce texte dont se contente la majorité nous fait penser, nous, à un pansement sur une fracture ouverte. On me répondra qu'il va dans le bon sens, que c'est un pied dans la porte, qu'il est le fruit d'un équilibre subtil entre liberté d'enseignement et contrôle de l'État.
Pendant ce temps, des générations d'enfants ne seront pas armées du même savoir que les autres, rompant ainsi ouvertement le principe constitutionnel d'égal accès à l'instruction inscrit dans le préambule de la Constitution de 1946. Car sans contrôle a priori, nous n'avons aucune garantie que 100 % des établissements feront l'objet d'un suivi et seront à l'abri de pratiques pédagogiques dangereuses. À moins que vous ne considériez que nous pouvons nous permettre quelques erreurs en matière d'éducation de nos enfants !
Mes chers collègues, vous le savez, nous sommes opposés par principe aux écoles privées hors contrat. Pourtant nous savons nous aussi être constructifs et nous vous proposons aujourd'hui des amendements qui vous aideraient à mettre réellement en oeuvre les avancées que vous prônez. Premièrement, nous vous proposons un régime d'autorisation préalable et non plus un régime déclaratif. Dans ce régime, c'est à l'établissement de transmettre le nom des enseignants qui interviennent dans leur établissement.
Si vos craintes sont d'ordre juridique, ne vous inquiétez pas ! Quand, en 2017, le Conseil constitutionnel a retoqué cette disposition, ce n'était que pour une raison de forme et non de fond, le Parlement ayant alors donné une trop grande latitude au Gouvernement pour légiférer par ordonnance. Mais aujourd'hui, nous pouvons, nous parlementaires, légiférer directement sur cette autorisation préalable. Sous cette forme, cette disposition passera, à n'en pas douter, le contrôle des neufs sages.
Si vos craintes sont d'ordre financier, oubliez-les ! Le contrôle a priori réduit de façon considérable les contrôles de l'inspection académique. Cela permettra d'empêcher la prolifération de situations dangereuses que le personnel académique ne peut empêcher faute d'être suffisamment nombreux face au foisonnement d'écoles – le nombre d'élèves a ainsi augmenté de 6 000 en quatre ans dans la seule académie de Versailles. La présente proposition de loi prend elle-même acte de la prétendue impossibilité d'augmenter considérablement les contrôles académiques, ce qui nous surprend au moment où le Gouvernement annonce renforcer le contrôle des chômeurs…
Si vous n'êtes toujours pas d'accord avec ce régime d'autorisation préalable, nous vous proposons un moyen de droit efficace pour s'assurer du contrôle de toutes les écoles : il suffit d'engager la responsabilité de l'État en cas de manquement aux obligations de contrôle prévues dans cette proposition de loi. Ainsi, vous pouvez être certains que le Gouvernement fera les bons choix budgétaires en augmentant le nombre d'inspecteurs académiques.
Vous le voyez, nous n'avons peut-être pas le monopole du coeur, mais vous n'avez pas le monopole du pragmatisme.
Sourires sur les bancs du groupe LaREM.
Et parce que nous avons la triste habitude que nos amendements connaissent la sempiternelle sentence du rejet, nous ne pouvons que défendre le rejet d'un texte qui ne se donne pas les moyens de sa propre ambition.
La commission dont je suis membre aura très bientôt à examiner le projet de loi sur les fausses nouvelles. Mais ces écoles hors contrat ne contribueraient-elles pas à en augmenter le nombre de destinataires ? Ne serait-il pas plus efficace de traiter le problème à la racine ?
Personne ne peut certes affirmer que tout est parfait dans l'école publique. C'est pourquoi certains parents sont séduits par les écoles privées hors contrat qui proposent d'autres formes de pédagogie. Nous ne remettons pas celles-ci en cause. Au contraire, la démocratisation de l'école et l'augmentation du nombre d'élèves ne permettent plus une pédagogie uniformisée. Nous pensons même que l'éducation nationale doit intégrer ces nouvelles façons d'enseigner à la palette pédagogique classique de nos enseignants. Nous pensons qu'il ne faut pas confiner les pédagogies nouvelles, source d'épanouissement individuel et d'émancipation collective, dans l'ombre des seuls établissements privés, de surcroît hors contrat. C'est dans la pleine lumière de la République, répandue dans toutes les écoles de la nation, que ces méthodes innovantes doivent trouver leurs débouchés naturels, en renouvelant partout et pour tous l'esprit civique et critique.
Sur ce point, permettez-moi de citer Émile Durkheim, grand sociologue et grand républicain. Dans son livre Éducation et sociologie, il réfutait fermement l'opinion répandue selon laquelle « l'éducation est [… ] conçue comme une chose essentiellement privée et domestique ». Pour Durkheim, « l'éducation a, avant tout, une fonction collective » et « il est impossible que la société se désintéresse d'une telle opération ». Il en appelle à la plus grande vigilance pour « obliger l'action pédagogique à s'exercer dans un sens social », pour ne pas modeler une société où « une multitude incohérente de petites âmes fragmentaires [sont] en conflit les unes avec les autres ».
Il est du devoir du législateur de toujours garder en mémoire que l'enseignement ne se réduit pas à un ensemble de connaissances et de compétences tout juste bonnes à être mobilisées demain sur le marché du travail. Ainsi, je me désole de voir que les élèves des filières professionnelles n'ont toujours pas accès à une formation en philosophie, comme s'ils étaient de futures machines à travailler et non des citoyens éclairés devant comprendre le monde qui les entoure.
L'enseignement n'est pas un service comme un autre : c'est un droit pour chaque enfant, mais c'est aussi un devoir social qui intéresse tout particulièrement la représentation nationale. Car tout projet éducatif porte en son fond un projet de société : dis-moi dans quelle école tu grandis, je te dirai dans quelle société tu t'apprêtes à vivre. C'est pourquoi l'école doit être soustraite à l'appétit des marchés, au hasard des trajectoires individuelles et des différences de classe qui minent notre lien social. C'est pourquoi nous proposons d'étendre le principe constitutionnel de gratuité afin de le rendre effectif : gratuité des transports, gratuité de la cantine, gratuité des activités périscolaires.
On me rétorquera que rien n'est gratuit, que c'est toujours le contribuable qui paie. Non, c'est le citoyen qui accomplit son devoir de solidarité nationale, pour faire vivre ces services publics qui sont le bien de ceux qui n'ont rien.
À rebours des écoles hors contrat, qui disséminent à tous les vents l'esprit de la nation, il faut réaffirmer la nécessité d'un cadrage national des diplômes, programmes, statuts et horaires. Il faut que cessent les subventions tous azimuts aux établissements privés, alors que de profonds besoins se font sentir dans un système public délabré, tant au regard des embauches que de la formation ou de la titularisation du personnel précaire.
Il faut allonger la durée de l'enseignement obligatoire, de trois à dix-huit ans, et nous nous félicitons sur ce point des récentes déclarations du Président de la République. Dès trois ans, car c'est dès la petite enfance que se forment et se creusent les inégalités qui détermineront ensuite tout un parcours de vie. Jusqu'à dix-huit ans, car nous devons avoir pour objectif de constituer un socle commun suffisant pour rendre le futur citoyen capable de se déterminer librement. Il faut enfin impérativement réduire le nombre d'enfants par classe, non seulement en CP, mais de l'école primaire jusqu'au lycée.
Mes chers collègues, liberté et égalité ne sont pas des principes si opposés qu'il puisse paraître à première vue. À l'équilibre du funambule qui sans cesse vacille, je préfère la dialectique qui réalise une synthèse vivante des contraires pour les dépasser. L'égalité requise par l'école publique permet, grâce à un enseignement laïc, gratuit et obligatoire, de former la première des libertés : celle de la conscience. La liberté qu'on insuffle par une pédagogie bienveillante et inclusive permet de surmonter peu à peu les terribles inégalités et discriminations qui nous divisent jusque dans nos têtes. Donnons-nous les moyens d'y parvenir !
J'ai profité de cette proposition de loi pour mettre en évidence les grands problèmes que rencontre aujourd'hui notre système éducatif et évoquer des pistes de solution. Mais de tout cela, votre majorité ne dit jamais mot, ou plutôt elle constate, prêche, mais fait le contraire de ce qu'elle proclame : la mixité sociale, la bienveillance, l'égalité d'accès à une éducation de qualité sont présentes dans les discours, pas dans les actes. La proposition de loi sur laquelle la représentation nationale doit se prononcer aujourd'hui, qui ne garantit même pas le nécessaire regard de l'État sur les écoles hors contrat, offre un exemple de cette duplicité. C'est la raison pour laquelle nous proposons cette motion de rejet.
Applaudissements sur les bancs du groupe FI.
Madame Rubin, votre intervention avait tout d'une déclaration générale sur l'éducation. J'y répondrai dans le même esprit mais plus brièvement. Je ne peux pas vous laisser dire que la politique actuelle serait une politique de désengagement : ce n'est vrai ni sur le fond, ni sur la forme, ni sur le plan budgétaire.
Sur le fond, l'honnêteté intellectuelle aurait dû vous conduire à reconnaître qu'une stratégie complète de renforcement du service public de l'éducation est en train de se développer. Sans la décrire ici, je rappellerai simplement qu'elle se traduit par la priorité donnée à l'école primaire – vous avez d'ailleurs salué certaines dimensions de cette politique, et je vous en remercie – , et par d'autres mesures relatives au collège et au lycée. La réforme du baccalauréat, qui se déploiera au cours des trois prochaines années, correspond aussi à certaines nécessités que vous avez évoquées. L'enseignement professionnel, dont vous avez également parlé, fait aussi l'objet d'une forme de réinvestissement qualitatif et budgétaire. Les données budgétaires corroborent ce que je viens de dire : le budget de l'éducation nationale est en augmentation, et nous avons créé des postes dans le premier degré.
Il est contre-productif de caricaturer la politique que nous menons, alors qu'elle vise clairement à renforcer l'école de la République. Nous la menons dans la transparence, et nous pouvons démontrer, prouver, chacun des éléments que nous avançons. Certes, l'un ou l'autre de ces éléments peut être discuté, mais la direction d'ensemble, elle, me semble difficilement contestable sans être de mauvaise foi.
Si la présente proposition de loi peut vous sembler insatisfaisante, elle ne peut pas vous déplaire complètement. Comme vous l'avez noté, elle procède d'une démarche républicaine qui veille à préserver la liberté d'enseignement – qui fait partie des grands principes de la République – , mais aussi à ce que cet enseignement ne soit pas dispensé n'importe comment à nos enfants. Je crois qu'il y a consensus sur ce point dans cette assemblée.
Par ce texte, nous commençons à jeter les bases juridiques pour empêcher les dérives. Elles sont absolument nécessaires, même si je suis d'accord avec vous pour dire qu'elles ne sont pas suffisantes. Il faudra ensuite qu'elles soient appliquées. Je m'engage devant la représentation nationale à organiser les rectorats de façon à mener les contrôles dans le respect de la loi, dans sa lettre comme dans son esprit. Son esprit, je tiens à le redire, et c'est pourquoi nous sommes là ce soir, c'est bien d'éviter que les élèves soient embrigadés dans des extrémités incompatibles avec les principes de notre République, a fortiori dans le contexte que nous connaissons.
Applaudissements sur les bancs des groupes LaREM et MODEM.
Dans les explications de vote sur la motion de rejet préalable, la parole est à M. François Pupponi, pour le groupe Nouvelle Gauche.
Nous voterons contre cette motion de rejet préalable, car je pense que nous devons débattre de ce texte, afin d'avancer. Il importe de légiférer très rapidement, car tout le monde constate qu'il y a un vide juridique en raison de l'ancienneté et de l'inadaptation des textes.
La parole est à M. Alexis Corbière, pour le groupe La France insoumise.
Ce texte nous est apparu tellement faible au regard des enjeux, qu'il méritait cette motion de rejet préalable défendue par Sabine Rubin. Il nous semble, en effet, que tout est à reprendre à la base sur ce sujet si important – nous en avons parlé tous les deux, monsieur le ministre. Franchement, notre déception est grande !
J'ai bien peur de connaître le sort qui attend notre motion de rejet préalable, dont vous devez comprendre que c'est notre déception qui l'a motivée. La suite du débat nous permettra de développer nos arguments et de confronter nos opinions sur ce qu'il y aurait lieu de faire.
La parole est à Mme Marie-George Buffet, pour le groupe de la Gauche démocrate et républicaine.
Je partage bien des constats faits par Sabine Rubin, notamment l'urgence d'exercer un contrôle renforcé sur les établissements d'enseignement privé hors contrat. Mais c'est justement parce qu'il y a urgence que nous devons légiférer ce soir. Bien sûr, cette proposition de loi n'est pas totalement satisfaisante, et c'est pourquoi nous présenterons des amendements pour l'améliorer. C'est précisément pour cette raison qu'il ne faut pas mettre fin aux débats. Le groupe GDR ne votera pas cette motion de rejet préalable.
La parole est à M. Gabriel Attal, pour le groupe La République en marche.
M. le ministre a dit l'essentiel. Les propos tenus en défense de cette motion de rejet préalable renfermaient beaucoup de paradoxes, beaucoup d'incohérences. Vous parlez de désengagement de l'État, mais précisément, avec cette proposition de loi, l'État reprend la main, en matière de contrôle et d'encadrement, sur l'enseignement hors contrat. Vous vous qualifiez de « pragmatiques » et de « constructifs », mais vous voulez balayer d'un revers de main un texte dont chacun s'accorde à dire qu'il est important pour renforcer l'encadrement d'un secteur qui a vu une explosion des créations d'écoles hors contrat.
Les écoles hors contrat se sont développées parce que des familles ont considéré que le système scolaire n'était pas en mesure de prendre en charge les besoins particuliers de leurs enfants. Nous pensons qu'il faut tout faire, précisément, pour qu'il ait les moyens de les prendre en charge : c'est le sens de notre action.
Vous avez dit que l'école doit pouvoir enseigner selon des pédagogies diverses, afin de prendre en charge la diversité des élèves : c'est exactement ce que nous faisons. Sophie Cluzel et Jean-Michel Blanquer travaillent à une école inclusive, et font un tour d'Europe pour s'inspirer des bonnes pratiques. Le ministre de l'éducation nationale insiste sur le rôle des neurosciences, et assume – enfin ! – l'idée que l'école de la République peut s'inspirer des méthodes alternatives développées dans certains établissements hors contrat que nous avons en tête.
Il faut remettre de l'ordre dans la maison, et c'est l'objet de ce texte. Nous connaissons le contexte dans lequel il a été présenté par le Premier ministre, dans le cadre du plan de lutte contre la radicalisation. Nous savons pourquoi il est important d'être en mesure d'encadrer l'ouverture de ces établissements, de les contrôler pour savoir ce qui s'y passe, ce qui y est dit. Vous avez rappelé, madame Rubin, la manière dont les choses se déroulent dans certains établissements : il faut y mettre un terme, et pour cela, il faut pouvoir les contrôler. Tel est l'objet de ce texte, et c'est pourquoi nous ne voterons pas cette motion de rejet préalable.
Applaudissements sur les bancs du groupe LaREM.
Nous avons déjà débattu, lors de la précédente législature, de questions assez proches de celles que nous allons aborder ce soir, en particulier à l'occasion du texte relatif à l'égalité et la citoyenneté. Or je tiens à rappeler solennellement que certaines de ses dispositions ont été censurées par le Conseil constitutionnel en raison de leur non-conformité au principe constitutionnel de liberté de l'enseignement.
Comment concilier la liberté de l'enseignement avec la protection de notre jeunesse, de nos enfants ? Comment concilier contrôles et liberté ? Telles sont les questions qui se posent à nous. L'important, ce soir, est de trouver un équilibre, forcément fragile, entre la nécessité de contrôler ces établissements et l'obligation de respecter la liberté de l'enseignement.
La proposition de loi telle qu'adoptée par le Sénat permet d'atteindre cet équilibre, même si elle reste perfectible – c'est bien pour faire évoluer la loi que nous siégeons dans cet hémicycle. J'ai donc du mal à comprendre l'intérêt de cette motion de rejet préalable, qui ferait table rase de ce texte et mettrait fin au débat, ce qui ne serait pas une bonne chose.
Je pense, au contraire, qu'il est urgent de répondre, avec sagesse, pondération et responsabilité, à cette question. Nous voterons donc contre cette motion de rejet préalable.
Applaudissements sur les bancs du groupe LR.
La parole est à Mme Géraldine Bannier, pour le groupe du Mouvement démocrate et apparentés.
Le groupe du Mouvement démocrate et apparentés votera, bien évidemment, contre la motion de rejet préalable présentée par le groupe La France insoumise. La proposition de loi répond parfaitement à la nécessité, pour les autorités, de disposer d'outils supplémentaires visant à mieux contrôler l'ouverture des écoles hors contrat. Nous rappelons aussi, comme notre collègue Patrick Hetzel, que la liberté de l'enseignement est un principe à valeur constitutionnelle qu'il importe de respecter.
Diverses dispositions du texte permettront de renforcer notre cadre juridique, de le rendre plus lisible. Les pouvoirs des autorités compétentes seront étendus, ce qui nous satisfait pleinement. Nous ne pouvons donc être favorables à la motion de rejet préalable présentée par Mme Rubin, dont l'intervention, au surplus, nous a paru un tantinet trop générale.
La parole est à M. Christophe Naegelen, pour le groupe UDI, Agir et indépendants.
Nous voterons, bien entendu, contre cette motion de rejet préalable, pour plusieurs raisons. La première a été développée par plusieurs de nos collègues : elle tient à la liberté de l'enseignement, de rang constitutionnel. La deuxième raison est que la proposition de loi comprend des mesures visant à mieux encadrer certaines écoles hors contrat. Or il nous paraît nécessaire d'agir rapidement, concrètement et fermement afin d'améliorer cet encadrement. Troisième raison, enfin, certaines de ces écoles hors contrat offrent à nos enfants un enseignement différent, innovant, et enrichissant.
La motion de rejet préalable, mise aux voix, n'est pas adoptée.
J'ai reçu de M. Olivier Faure et des membres du groupe Nouvelle Gauche une motion de renvoi en commission déposée en application de l'article 91, alinéa 6, du règlement.
La parole est à M. François Pupponi.
Madame la présidente, monsieur le ministre, monsieur le président de la commission, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, la proposition de loi présentée par nos collègues centristes vise à simplifier et à mieux encadrer le régime d'ouverture des établissements scolaires privés hors contrat. Adoptée par le Sénat en première lecture, elle a été profondément modifiée à l'initiative du Gouvernement.
Aujourd'hui, l'enseignement privé est organisé selon deux modalités : certains établissements signent un contrat avec l'État, qui prend alors en charge certaines dépenses, en particulier de personnel.
À ce propos, monsieur le ministre, je me permets une brève digression, pour vous poser deux questions. Premièrement, puisque l'école maternelle va devenir obligatoire, les communes auront-elles l'obligation de financer les élèves des classes de maternelle des écoles privées sous contrat ? Deuxièmement, qu'adviendra-t-il des agents territoriaux spécialisés des écoles maternelles, les ATSEM, qui interviennent à l'heure actuelle dans les écoles publiques : seront-elles rattachées à l'éducation nationale ou resteront-elles du ressort des collectivités locales ?
D'autres établissements, moins nombreux mais dont les effectifs progressent, sont dits « hors contrat » ; ils ne bénéficient pas d'aides de l'État et relèvent d'un régime moins contrôlé. Dans ces établissements, les libertés pédagogiques, intellectuelles, religieuses et philosophiques sont fortes et revendiquées.
Il existe environ 1 300 établissements scolaires hors contrat pour un peu moins de 8 000 établissements sous contrat. Certes, ils n'accueillent que 70 000 enfants sur un total de 1,2 million d'enfants scolarisés en France. Toutefois, et cela est très inquiétant, le rythme d'ouverture d'établissements hors contrat, de l'ordre de quelques dizaines par an, est en forte augmentation : cela a déjà été dit, mais il est important de le rappeler. Leur nombre est ainsi passé de 803 en 2010 à 1 300 en 2017, soit une croissance de plus de 60 %.
Les données du ministère de l'éducation nationale montrent que l'augmentation du nombre d'élèves concerne notamment les écoles non rattachées à un réseau particulier, qui sont souvent des écoles alternatives laïques. Parmi les établissements confessionnels, cette hausse concerne surtout les écoles musulmanes, qui enregistrent une augmentation globale de 28 % et de 36 % pour le seul primaire, et les écoles protestantes évangéliques, pour lesquelles l'augmentation est de 25 %.
Cette proposition de loi part d'un constat que nous partageons : face aux phénomènes de radicalisation religieuse, de sectarisme, d'amateurisme, voire d'insuffisance pédagogique, les dispositions applicables à l'ouverture de ces écoles privées hors contrat sont obsolètes et inadéquates. Vos services, monsieur le ministre, reçoivent de plus en plus de signalements d'établissements qui ne dispenseraient qu'une instruction d'un niveau très faible ou dont l'enseignement ne correspondrait pas aux valeurs de la République.
Un rapport d'inspection réalisé pour l'académie de Versailles en 2016, dont la presse s'est fait l'écho, a montré d'inquiétantes dérives : dans une dizaine d'écoles, sur une trentaine d'établissements contrôlés, « les dimensions pédagogiques sont détournées de leurs enjeux et amputées de ce qui les fonde théoriquement ». Pire, aucune des écoles contrôlées ne respectait le socle commun.
Le rapport conclut que « la vigilance s'impose sur les effets d'une éducation qui impose des croyances ou des convictions et occulte des pans entiers du savoir au profit d'une idéologie ». Monsieur le rapporteur, le président de votre groupe au Sénat a récemment affirmé, reprenant une phrase qui commence à devenir célèbre, qu'il était plus compliqué d'ouvrir un café qu'une école. Alors que nous proposez-vous ?
Tout d'abord, cette proposition de loi préconise une unification des régimes d'ouverture de tous les établissements hors contrat : pour parvenir à un régime plus simple, les trois régimes actuels seraient remplacés par un régime unique de droit commun – nous pouvons l'entendre. La simplification passerait, ensuite, par une unification et une modernisation des motifs d'opposition à l'ouverture d'un établissement : la notion d'ordre public, utilisée aujourd'hui pour le seul enseignement technique, serait généralisée à tous les degrés de l'enseignement, les notions les plus anciennes étant actualisées par la référence à la protection de l'enfance et de la jeunesse. Par ailleurs, les motifs permettant d'ores et déjà de demander la fermeture d'un établissement – absence de diplôme du directeur, condamnation pour crime ou délit contraire aux bonnes moeurs – pourraient désormais être opposés à l'ouverture des établissements. Ces mesures, mes chers collègues, ne sont ni à la hauteur des enjeux auxquels nous sommes confrontés ni à l'ambition affichée par le titre de cette proposition de loi.
Monsieur le ministre, le Gouvernement a récemment présenté un plan national de prévention de la radicalisation, dont l'un des volets s'intitule : « Prémunir les esprits contre la radicalisation : investir l'école ». La mesure numéro 5 de ce plan propose de « faire évoluer le régime juridique encadrant l'ouverture des établissements d'enseignement privés hors contrat [… ] ». Nous sommes d'accord, mais vous ajoutez : « [… ] en unifiant les trois régimes déclaratifs actuels et en renforçant leur efficience ». Et là, nous ne sommes plus d'accord. Alors que vous êtes censés apporter une réponse efficace pour mobiliser l'école pour les valeurs de la République, vous faites le choix du statu quo en procédant à quelques ajustements des dispositions aujourd'hui applicables à l'ouverture des établissements privés hors contrat, ajustements dont cette proposition de loi est la traduction législative. Nous regrettons ce choix.
Le code de l'éducation dispose en son article L. 111-1 : « Outre la transmission des connaissances, la nation fixe comme mission première à l'école de faire partager aux élèves les valeurs de la République. Le service public de l'éducation fait acquérir à tous les élèves le respect de l'égale dignité des êtres humains, de la liberté de conscience et de la laïcité. » Le plein respect du droit à l'éducation de tous les enfants de France, et ce quel que soit le mode d'instruction choisi librement par la famille, rend donc indispensable un choix certes courageux mais qui s'impose : celui consistant à substituer, pour les établissements hors contrat, un régime d'autorisation d'ouverture au régime de déclaration d'ouverture. En procédant à un tel changement, vous pourriez prétendre mettre fin aux dérives que nous constatons sur nos territoires. Certes, c'est un sujet sensible et complexe, soumis à des influences opposées, mais l'urgence est là. Un tel régime permettrait d'accompagner les créateurs de l'établissement en les invitant à réfléchir en amont à la compatibilité de leur projet pédagogique avec les exigences du socle commun de connaissances, de compétences et de culture. Je veux rappeler ici, mais certains collègues le savent, que cette solution ne serait pas nouvelle : elle est en vigueur en Alsace-Moselle depuis 1873 !
Lors de l'examen du projet de loi relatif à l'égalité et à la citoyenneté de 2016, la précédente majorité avait adopté un amendement – auquel je ne suis pas étranger – qui habilitait le Gouvernement à légiférer par ordonnances pour revoir le régime déclaratif d'ouverture des établissements privés hors contrat afin de l'aligner sur le régime d'autorisation préalable actuellement en vigueur en Alsace-Moselle. Malheureusement, comme le souligne M. Zumkeller dans son rapport et contrairement à ce qui vient d'être dit, cet amendement a été censuré par le Conseil constitutionnel au motif que l'habilitation donnée au Gouvernement n'était pas suffisamment précise. La liberté de l'enseignement constitue certes l'un des principes fondamentaux reconnus par les lois de la République, réaffirmés par le préambule de la Constitution de 1946 auquel se réfère le préambule de la Constitution de 1958. Cependant, et de manière croissante, cette liberté est détournée par des réseaux ou des groupuscules qui souhaitent dispenser des enseignements manifestement incompatibles avec les valeurs de la République et susceptibles d'être contraires à l'ordre public. Les services de l'État sont ainsi amenés, de plus en plus, à fermer des écoles de fait, le plus souvent non recensées et dispensant des enseignements religieux rigoristes, et où sont scolarisés des enfants déclarés comme bénéficiant d'un enseignement à domicile.
En commission des affaires culturelles et de l'éducation, nous avons défendu plusieurs amendements visant à passer d'un régime déclaratif à un régime d'autorisation. Je dois dire que l'absence d'auditions organisées par le rapporteur sur un sujet aussi majeur et sensible ne nous a pas permis de bien développer nos arguments – peut-être par volonté d'aller vite, comme visiblement encore ce soir puisqu'on nous demanderait de terminer l'examen du texte dès cette première séance, alors que nous pensions disposer d'un peu de temps pour expliquer nos amendements et défendre nos positions, y compris à la séance prochaine.
Je dois même ajouter que la difficulté du rapporteur à lever nos doutes quant à la possibilité laissée par le texte à des personnes fichées S d'exercer des fonctions dans ces établissements ne nous a pas rassurés. L'adoption par notre commission d'un amendement de l'opposition, contre l'avis du rapporteur, a d'ailleurs montré que la majorité n'était pas sûre d'elle-même sur ce sujet – je note qu'il a visiblement disparu après le réexamen au titre de l'article 88, et que nous en revenons au texte initial.
Le rapporteur et le président de la commission nous avaient invités à retravailler sur cette question d'ici à la séance publique. Mais confrontés à l'absence de débat, nous avons déposé un certain nombre d'amendements visant à assurer que l'État contrôle que les personnes exerçant des fonctions dans ces établissements n'ont pas été condamnées, même de manière non définitive, pour une ou plusieurs des infractions mentionnées au II de l'article 11-2 du code de procédure pénale et qu'elles ne sont inscrites ni au fichier judiciaire automatisé des auteurs d'infractions sexuelles – ce qui paraît la moindre des choses pour des personnes qui s'occupent d'enfants ou d'adolescents – ni au fichier des personnes recherchées en vue de prévenir des menaces graves pour la sécurité publique ou la sûreté de l'État – les fichés S en particulier – , dès lors que des informations ou des indices réels ont été recueillis à leur égard.
Mes chers collègues, nous sommes tous convaincus qu'il est nécessaire d'agir. Mais l'heure n'est plus au simple constat, elle est à l'efficacité des mesures que nous adoptons. Au regard de l'agenda surchargé de notre assemblée, nous ne pouvons pas nous offrir le luxe de ne parcourir qu'une partie du chemin. Monsieur le ministre, vous indiquiez récemment, sur un plateau de télévision, qu'une fois adopté, ce texte offrirait un outil juridique pour aller dans le bon sens. Mais il ne s'agit pas seulement d'aller dans le bon sens ; il s'agit de répondre efficacement à un phénomène grandissant, dangereux pour notre République et ses valeurs.
Je ne défends pas cette motion de renvoi en commission, au nom de mon groupe, pour allonger nos débats vainement ; je la défends, car nous savons que les dispositions proposées aujourd'hui ne seront pas suffisamment efficaces. Nous aurions l'occasion de retravailler en profondeur ce texte en le renvoyant en commission. C'est pourquoi je vous propose, mes chers collègues, de voter cette motion de procédure.
Applaudissements sur les bancs du groupe NG.
Monsieur Pupponi, je partage nombre de vos tenants et peu de vos aboutissants. Vous écoutant avec beaucoup d'attention, j'ai pensé à plusieurs fables de la Fontaine – Le lièvre et la tortue, par exemple – , me demandant pourquoi, vous qui connaissez les réalités que nous visons au travers de ce texte, estimez que celui-ci ne va pas assez loin alors que, pendant toutes ces dernières années, rien n'a été fait dans la bonne direction.
Applaudissements sur les bancs du groupe LaREM.
C'est pour ça qu'il faut tout reprendre ! Et puis prenez garde de ne pas finir comme nous !
Sourires.
J'observe que, lièvre, vous voulez devenir tortue. Pour ma part, je considère que nous devons continuer de marcher dans les pas des sénateurs, et, arrivés devant l'Assemblée, accomplir ce que nous avons commencé et qui a tout de même déjà fait l'objet de débats. Comme vous le savez, il n'y a pas lieu d'éluder parce que l'objectif, c'est aussi d'être efficace dans un proche avenir. Sur le fond, je suis convaincu que vous et moi poursuivons les mêmes objectifs et je ne voudrais pas que, pour des raisons de forme, voire pour des soupçons infondés, on en arrive à ralentir le rythme ou même à empêcher que se solidifie le socle juridique dont nous reconnaissons avoir besoin.
Dans les explications de vote, la parole est à M. David Habib, pour le groupe Nouvelle Gauche.
Monsieur le ministre, je vais d'abord me permettre de répondre à votre argument, très politicien, selon lequel nous n'aurions rien fait. La diffusion des idées extrémistes a connu une croissance dans le pays à partir de 2014, et c'est alors un gouvernement socialiste qui a pris ses responsabilités, multipliant les initiatives législatives pour lutter contre cette diffusion. C'est un ministre de l'intérieur socialiste qui a eu le courage de pointer la responsabilité collective de la nation face à un humoriste qui considérait que l'antisémitisme pouvait être un objet théâtral pour ses spectacles. Face au risque politique que prenait ce ministre en s'exprimant ainsi, peu lui sont venus en soutien dans les rangs de la droite et parmi les autres forces non socialistes. Vous n'étiez pas en politique, je ne sais pas ce que vous en pensiez à l'époque, mais j'ai, comme beaucoup de députés socialistes, ressenti du respect pour ce que Manuel Valls faisait alors en notre nom, pointant l'antisémitisme qui gagnait le pays. Ne faites donc pas le procès à l'Assemblée de la législature passée et au gouvernement socialiste de n'avoir pas pris leurs responsabilités face à ces questions.
Oui, François Pupponi vient de justifier avec talent une demande qui peut être partagée par l'ensemble des députés ici présents. Nous avons besoin de revenir en commission pour identifier les aspects juridiques de l'interdiction de gérer ou de participer à la vie d'une école pour des responsables salafistes ou des individus suspectés de connexion avec les idées salafistes. Ce serait à la hauteur des événements, à la hauteur des préoccupations, à la hauteur de ce que nous devons aux enfants et aux parents qui attendent de l'école, qu'elle soit sous contrat ou hors contrat, une vision laïque, une vision responsable et républicaine en la matière.
Nous voterons la motion de renvoi en commission.
La parole est à M. Alexis Corbière, pour le groupe La France insoumise.
Nous voterons cette motion de renvoi en commission pour les raisons que j'ai expliquées précédemment. Il nous semble que ce texte, comme l'a dit notre collègue François Pupponi, n'est pas à la hauteur des enjeux. De grâce, je m'adresse à vous, monsieur le ministre, et à tous mes collègues de La République en marche : évitons l'autocongratulation et l'autosatisfaction permanentes ! Vous êtes un homme de sang-froid, mais vous bénéficiez souvent, de la part de nombre d'hebdomadaires et de la presse en général, de félicitations qui ne nous semblent pas correspondre à ce que nous voyons dans les écoles. Vous avez cité La Fontaine, je vous renverrai à la morale d'une autre fable : « Tout flatteur vit aux dépens de celui qui l'écoute. »
La parole est à Mme Marie-George Buffet, pour le groupe de la Gauche démocrate et républicaine.
J'espère que le groupe majoritaire, après avoir vécu l'expérience de deux motions de procédure consécutives, n'imposera pas systématiquement aux groupes de l'opposition une motion de rejet préalable suivie d'une motion de renvoi en commission, dans le cadre de leur niche parlementaire.
Pour ma part, j'ai envie qu'on débatte ; j'ai envie que le Gouvernement et la majorité débattent réellement des différents amendements qui ont été déposés sur des questions-clefs – régime de l'autorisation préalable ou de la déclaration, contrôle, etc. Je vais, au nom de mon groupe, m'opposer à cette motion de renvoi en commission, mais c'est en espérant un vrai débat sur les amendements. Qu'on ne nous impose pas, une fois de plus, la nécessité de voter conforme le texte du Sénat ! De toute façon, une erreur de rédaction dans cette proposition de loi va certainement amener à l'amender tout de même.
La parole est à Mme Anne Brugnera, pour le groupe La République en marche.
Monsieur Pupponi, nous connaissons votre attachement à ce sujet. Vous l'avez exprimé en commission et vous venez de nous le rappeler. Vous devriez donc vous réjouir de ce texte.
Oui, nous avons le devoir de moderniser le cadre juridique actuel, de permettre la liberté d'enseignement tout en faisant face aux nouvelles menaces auxquelles notre pays est confronté. Nous partageons, je le crois, ce sentiment d'urgence.
Le précédent gouvernement, que vous souteniez, a attendu la fin de la législature pour légiférer, proposant alors de procéder par voie d'habilitation – habilitation qui a été censurée par le Conseil constitutionnel. Nous, dès le début de la législature, nous nous saisissons de la question, nous débattons d'une première loi qui traite de l'école.
Et cette proposition de loi, adoptée par le Sénat et travaillée avec le Gouvernement, concerne les écoles hors contrat. Nous sommes conscients de la nécessité de mieux encadrer le régime d'ouverture et de contrôle des écoles privées hors contrat, dans l'intérêt des enfants qui y sont scolarisés, mais nous sommes également attachés à la loi Debré qui définit les rapports contractuels entre l'État et les établissements d'enseignement privé et traite du libre exercice de l'enseignement encadré par l'État.
Nous souhaitons harmoniser, améliorer et moderniser le code de l'éducation, pour faire émerger une école hors contrat du XXIe siècle qui favorise le bien-être de nos enfants, la sérénité des parents, et la confiance des acteurs, dirigeants ou enseignants, des écoles privées.
Comme souvent, certains voudront moins, d'autres voudront plus. L'on nous conseillera alors de temporiser. À vouloir trop, à vouloir plus, on ne fait rien et on n'obtient rien. Quant à nous, nous sommes convaincus qu'il est important de légiférer, d'avancer et nous voterons, par conséquent, contre cette motion de renvoi en commission.
Applaudissements sur les bancs du groupe LaREM.
De cette motion de renvoi en commission, présentée par M. Pupponi, nous pouvons partager le constat, sans doute unanime : l'insuffisance du contrôle exercé sur le régime des établissements hors contrat, l'inquiétante progression des écoles confessionnelles, l'inadéquation entre la réglementation et la radicalisation, le détournement des enjeux pédagogiques.
Notre collègue François Pupponi considère que les propositions de ce texte, qui peuvent se résumer en l'instauration d'un régime unique et simplifié permettant de fermer les établissements problématiques, ne seraient pas à la hauteur des enjeux en ce qu'elles reviendraient à maintenir le statu quo, moyennant quelques ajustements.
Je suis sensible à l'authenticité des positions défendues par François Pupponi et David Habib, et je ne doute pas de leur sincérité. Je les sais déterminés à lutter contre un phénomène qui nous préoccupe tous, aujourd'hui particulièrement où nous avons vécu des moments si intenses, ce matin aux Invalides, cet après-midi en participant à la marche blanche. Dieu sait que nous avons conscience de l'impérieuse nécessité de lutter contre la progression stupéfiante, extrêmement préoccupante pour les responsables politiques que nous sommes, de la radicalisation.
Pour autant, votre proposition, cher collègue, est cohérente avec celle que vous avez émise sous la précédente législature : passer d'un régime déclaratif à un régime d'autorisation. Là se situe précisément le point nodal sur lequel nous ne pouvons être d'accord, ce qui explique que nous ne votions pas cette motion de renvoi en commission, dont la motivation est de rétablir un régime contre lequel nous nous sommes vigoureusement élevés, y préférant, comme cela a été dit par notre collègue Patrick Hetzel, une savante combinaison entre la liberté et le contrôle.
C'est pourquoi nous ne voterons pas cette motion de renvoi en commission.
Applaudissements sur les bancs du groupe LR.
La parole est à Mme Sophie Mette, pour le groupe du Mouvement démocrate et apparentés.
Nous comprenons très bien les arguments soulevés par M. Pupponi, qui sont légitimes, mais les propositions avancées, si elles répondent a priorià l'impératif de contrôle, complexifient outre mesure les démarches des écoles qui souhaiteraient ouvrir. L'objectif de ce texte est de trouver un point d'équilibre entre la nécessité de mieux contrôler, et donc de conférer aux autorités les moyens d'exercer cette prérogative, et l'impératif de préserver l'enseignement libre dans notre pays.
L'enseignement libre signifie également qu'il ne doit pas être soumis à des obligations administratives démesurées, surtout lorsqu'il s'agit d'institutions et d'associations – je pense particulièrement aux établissements enseignant les langues régionales, bien connues des élus et des centres académiques.
Pour les autres établissements, nous considérons que le texte apporte les garanties nécessaires. C'est pourquoi le groupe du Mouvement démocrate et apparentés votera contre la motion de renvoi en commission.
La parole est à M. Christophe Naegelen, pour le groupe UDI, Agir et indépendants.
Ce texte a déjà fait l'objet de débats nourris au Sénat, qui ont permis de faire émerger un équilibre. Il simplifie notre droit, harmonise les procédures et permet de répondre rapidement et concrètement au problème de ces écoles qui défient les valeurs de la République.
Nos enfants seront, demain, mieux protégés, et le droit à l'instruction, mieux garanti.
Il nous paraît inutile de renvoyer ce texte en commission, d'autant plus que le principe d'autorisation préalable que vous défendez représente un vrai désaccord philosophique.
Notre groupe UDI, Agir et indépendants considère qu'il faut agir rapidement pour que ce texte entre en application le plus vite possible, avant la rentrée prochaine. Aussi voterons-nous contre cette motion de renvoi en commission.
La motion de renvoi en commission, mise aux voix, n'est pas adoptée.
Suspension et reprise de la séance
La séance, suspendue à vingt-deux heures trente-cinq, est reprise à vingt-deux heures quarante.
Madame la présidente, monsieur le ministre, chers collègues, lorsque j'ai accepté, après quelque hésitation, d'être co-rapporteure avec ma collègue Sandrine Mörch d'une mission flash sur la radicalisation à l'école il y a un mois, nous avions déjà conscience de son caractère particulièrement sensible. Aujourd'hui, nous voyons tous à quel point ce sujet mérite que nos réflexions et les pistes que nous proposerons soient à la hauteur des enjeux particulièrement graves auxquels nous sommes confrontés.
Or la proposition de loi que nous examinons aujourd'hui part d'un constat : nos réponses ne sont plus en adéquation avec les interrogations et les craintes que nous avons face aux phénomènes de radicalisation qui empoisonnent nos démocraties. Le caractère désuet des dispositions applicables à l'ouverture des écoles privées hors contrat et leur inadéquation face à l'augmentation du nombre de ces écoles ne peut nous échapper. Il existe actuellement environ 1 300 établissements scolaires hors contrat pour un peu moins de 8 000 établissements sous contrat. Certes, ils n'accueillent que 70 000 enfants sur les 1,2 million scolarisés en France.
Toutefois, et cela est inquiétant, le rythme d'ouverture d'établissements hors contrat, de quelques dizaines par an, est en forte augmentation : 60 % d'écoles hors contrat supplémentaires entre 2010 et 2017 et 25 % d'élèves supplémentaires entre 2012 et 2017.
Certes, les écoles hors contrat revêtent des formes multiples. Dans ces établissements, les libertés pédagogiques, intellectuelles, religieuses et philosophiques sont fortes. Certaines proposent des pédagogies alternatives, qui attirent de plus en plus de parents, en quête d'autres manières d'apprendre. Ce ne sont pas les écoles Freinet ou les petites écoles catholiques de nos campagnes qui nous inquiètent aujourd'hui.
Les données du ministère montrent que l'augmentation du nombre d'élèves concerne en particulier les établissements confessionnels, notamment les écoles musulmanes, coraniques ou salafistes – on peut choisir les termes.
M. Pupponi le rappelait à l'instant, les services de l'État reçoivent des signalements de plus en plus nombreux d'établissements dans lesquels le contenu de l'instruction serait très faible ou d'établissements dont l'enseignement ne correspondrait pas aux valeurs de la République.
De surcroît, des associations culturelles sont souvent adossées à ces écoles hors contrat. En proposant des activités variées sur le temps périscolaire, ces associations offrent aux parents une réponse pratique à des difficultés du quotidien et peuvent, dans cet espace beaucoup moins visible et contrôlé, réussir à avoir une emprise forte sur les enfants et les jeunes qu'elles reçoivent – elles vont même parfois les chercher à la sortie des écoles. Ce texte, si nous n'y apportons pas de sensibles modifications, ne permettra pas de nous prémunir contre les déviances extrémistes et sectaires.
En effet, cette proposition ne semble pas être tout à fait à la hauteur de l'urgence de la situation. Elle ne sera pas, nous le pensons, de nature à enrayer les phénomènes de radicalisation que nous constatons, non seulement dans certaines écoles hors contrat, mais aussi dans les situations, de plus en plus nombreuses, de scolarisation à la maison, phénomène, là aussi, dont l'augmentation révèle la tendance de ces familles à s'exclure du système pour revendiquer une différence et défier l'institution et ce qu'elle représente : la séparation entre la sphère privée et la sphère publique dans un esprit de laïcité, qui garantit la possibilité de parler des religions dans un esprit d'ouverture apaisé.
Contrairement à notre organisation historique où le spirituel est dissocié du temporel, ce qui permet à chacun de confronter ses croyances au fonctionnement des institutions et de faire sa propre critique de cette dialectique, le monde de la radicalisation englobe, dans un même système, une même vision du monde où le concret se mêle à l'abstrait et où le temporel rejoint le spirituel dans toutes les activités du quotidien. C'est souvent ce continuum idéologique qui est construit dans certaines de ces écoles hors contrat et qui finit par absorber totalement tout esprit critique et toute possibilité d'échapper à un environnement destructeur.
La seule réponse efficace, si nous voulons réellement espérer contrôler le devenir des enfants de la République, serait de passer, pour l'ouverture des établissements scolaires privés hors contrat, d'un régime déclaratif à un régime d'autorisation préalable. Une procédure d'autorisation préalable à toute ouverture paraît nécessaire, car, après l'ouverture d'une école, si celle-ci pose des problèmes, les possibilités d'action de l'État et des élus sont réduites dans le cadre du système de la déclaration. Chacun est mis devant le fait accompli ; il est souvent trop tard, le mal est déjà fait.
Les démarches et les procédures de recours sont en effet particulièrement longues et il faut souvent plusieurs années pour arriver à fermer une école hors contrat quand sa fermeture se révèle nécessaire. De plus, les cinq ans requis pour passer du hors contrat au sous contrat fonctionnent avec un automatisme qui permet à certains d'utiliser le système pour le détourner.
Notre école fait partie de notre patrimoine commun ; c'est pourquoi les attentes à son endroit sont considérables en matière d'éducation à la citoyenneté. L'ambition de l'école républicaine, que vous portez, monsieur le ministre, dans tous vos discours, ne peut être mise en péril par un texte qui ne répond pas complètement au problème posé et ne nous donne pas les outils et surtout les moyens humains et logistiques permettant de déceler les situations à risque.
Excusez-moi, madame la présidente, d'avoir légèrement dépassé mon temps de parole.
La majorité a opposé à nos amendements en commission la liberté d'enseignement. Si la liberté de l'enseignement constitue l'un des principes fondamentaux reconnus par les lois de la République, toutefois, la liberté qui est revendiquée par tous ne saurait être détournée par des réseaux sectaires ou groupusculaires qui souhaitent dispenser des enseignements manifestement incompatibles avec les valeurs de la République. C'est bien cela que nous entendons combattre.
Il est question, non pas d'entraver la liberté d'enseigner, mais de mettre en cohérence nos actes et nos valeurs, et de donner à nos institutions les moyens de nos ambitions pour la jeunesse, …
Je conclus, madame la présidente.
… et pour les lendemains que notre démocratie entend offrir à ses enfants. C'est pourquoi notre groupe a déposé des amendements en ce sens, comme nous l'avons déjà fait au Sénat.
Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, nous voici face à un de ces débats qui, historiquement, ont souvent déchaîné les passions dans cet hémicycle. L'histoire de France, notamment l'histoire de la République, est pleine de débats autour de notre conception de l'école publique, et c'est tant mieux.
Chaque fois, deux visions s'opposent, parfois de manière virulente. Il faut savoir raison garder et revenir à ce qui nous rassemble : la République. Défendre la République, affirmer ses valeurs et garantir sa prééminence sont les premiers de nos devoirs en tant que parlementaires. Parler de l'école, de surcroît de l'école publique, c'est parler de la République.
Avant toute chose, je veux rappeler que je suis, ainsi que mes collègues du groupe La France insoumise, tout à fait attaché à cette liberté fondamentale qu'est la liberté d'enseignement. Toutefois, comme vous le savez, seule la liberté de conscience est totale et n'admet aucune limite. Toutes les autres libertés sont bornées en raison de leur interdépendance. Ainsi, la liberté de croire est encadrée par des lois qui garantissent également la liberté de ne pas croire, et la liberté d'expression est encadrée par des lois qui empêchent que cette liberté accordée à l'un n'accable l'autre.
De la même manière, la liberté d'enseignement est, elle aussi, encadrée par des valeurs qui lui sont supérieures et s'imposent à elle. Le code de l'éducation en recueille les dispositions législatives et réglementaires. Il fixe en ces termes l'objectif de l'instruction dans notre pays : garantir à l'enfant l'acquisition des instruments fondamentaux du savoir et l'éducation lui permettant de développer sa personnalité, son sens moral et son esprit critique. Il affirme également que l'école a pour mission de lui faire « partager les valeurs de la République ».
Pourtant, l'école privée gagne du terrain sur l'école publique. Je donnerai quelques chiffres. Sous les quinquennats de MM. Sarkozy et Hollande, 3 611 écoles publiques ont été fermées – une par jour – , alors que le nombre des élèves a augmenté de 250 000, la baisse du nombre des écoles publiques accompagnant la hausse du nombre des écoles privées. Cette année, l'école publique a perdu 30 000 élèves par rapport à la rentrée précédente, tandis que l'école privée augmentait de 7 000 élèves.
De plus, comme cela a déjà été souligné, au sein de l'école privée, c'est l'école privée hors contrat qui progresse le plus. Sur les 7 000 élèves supplémentaires qui sont allés dans le privé cette année, 5 000 ont été inscrits dans le privé hors contrat, qui a bénéficié ces dernières années d'une augmentation annuelle de ses effectifs de 15 %.
Vous-même, monsieur le ministre, avez rappelé devant le Sénat, le 21 février dernier : « En 2010, on comptait environ 800 établissements hors contrat. Aujourd'hui ce chiffre dépasse les 1 300. »
Dans ce contexte, le constat, pour le moins étonnant, qui est partagé par la majorité, ainsi que par nos collègues de droite et d'extrême droite, est celui d'une trop grande complexité des règles d'ouverture des établissements privés hors contrat. Le nôtre, au contraire, est celui d'une trop grande complaisance vis-à-vis de ces structures. Nous proposons donc de lutter contre le développement des établissements privés hors contrat en redonnant à l'école publique les moyens d'attirer les familles et de reconquérir les parents qui font le choix, parfois malgré eux, d'inscrire leurs enfants dans le privé.
C'est ainsi que dans ma circonscription, je peux en témoigner, l'école publique n'est pas offensive pour reconquérir des parents qui pratiquent le contournement de la carte scolaire et qui vont dans le privé. J'ai vu les services du recteur, monsieur le ministre, dans une académie que vous connaissez bien, entériner la fuite des élèves vers le privé à la rentrée prochaine. Aucun moyen supplémentaire n'est donné aux établissements publics pour faire revenir les parents. Dans ma circonscription de Bagnolet, il serait possible d'ouvrir un collège public supplémentaire avec tous les enfants qui devraient y être inscrits. Or vos services anticipent la diminution des effectifs à la rentrée prochaine.
Je rappelle ce qui caractérise l'école privée hors contrat : une gestion totalement autonome des établissements, aucune condition de diplôme pour y enseigner et aucune obligation de suivre les programmes officiels.
Le problème que pose le privé hors contrat est d'abord l'abandon de l'école publique. Après avoir cité ces chiffres sur le développement exponentiel des établissements privés hors contrat, vous avez ajouté, monsieur le ministre – vous me pardonnerez ma franchise, mais je vous reproche ces propos – : « Nous pouvons-nous féliciter [… ] de la croissance de ces nouvelles initiatives, car elles peuvent correspondre à une dynamique pédagogique ». Je ne suis pas d'accord.
Ces propos, dans la bouche d'un ministre de l'éducation nationale, sont décalés, pour ne pas dire choquants. C'est comme si la ministre de la santé se félicitait du développement des mutuelles, des cliniques et des EHPAD privés.
Je sais bien que vous êtes d'accord.
C'est comme si le ministre de l'intérieur se félicitait du développement des sociétés de sécurité privée pour progressivement remplacer nos forces de police et de gendarmerie. C'est comme si le ministre de l'action et des comptes publics se félicitait d'une réduction du périmètre des services publics et du nombre des fonctionnaires. C'est comme si, enfin, le ministre de la transition écologique et solidaire se félicitait de la privatisation de notre transport ferroviaire ou de nos barrages hydrauliques. J'arrête là les clins d'oeil, parce qu'en énonçant cette liste choquante je me demande si, finalement, le paradoxe que vous avez énoncé, monsieur le ministre de l'éducation nationale, n'est pas partagé par tous les autres ministres du Gouvernement.
Applaudissements sur les bancs du groupe FI.
Vous vous réjouissez de l'ouverture d'établissements privés hors contrat. Il y a deux ans, avant de devenir ministre, vous avez souhaité enregistrer une vidéo pour apporter votre soutien au réseau d'écoles privées hors contrat Espérance Banlieue, qui tenait un colloque auquel vous ne pouviez pas participer à votre grand regret. Je regrette de n'avoir pas eu le temps de vous le rappeler les yeux dans les yeux au cours du débat auquel nous avons participé sur France 2 : le temps est passé trop vite. Vous déclariez à l'occasion de ce colloque : « Ce que fait Espérance banlieues correspond aux types d'initiatives que nous devons prendre dans le secteur public [… ] pour contribuer à l'intérêt général, c'est-à-dire la réussite de tous les élèves de notre pays ».
Je n'ai pas le temps de revenir en détail sur ce que sont ces écoles du réseau Espérance Banlieue et sur les nombreuses polémiques qu'elles ont suscitées. Des enseignants ont donné l'alerte sur leurs pratiques et plusieurs familles ont retiré leurs enfants de ces établissements en soulevant des dysfonctionnements graves qui interrogent sur le bon respect des valeurs républicaines.
Exclamations sur quelques bancs du groupe LR.
Ne vous inquiétez pas, ce qui suit est pour vous.
En région Rhône-Alpes-Auvergne, le numéro deux du conseil régional – un élu Les Républicains – a pourtant tenu à assister à une cérémonie de lever de drapeau dans l'une des écoles Espérance Banlieue. Certains élus locaux ont, quant à eux, décidé d'apporter des financements publics à ces établissements. La région Île-de-France, dirigée par Mme Pécresse, l'a fait à hauteur de plus de 30 000 euros. La région Auvergne-Rhône-Alpes, dirigée par M. Wauquiez, l'a fait à hauteur de 250 000 euros d'argent public. Et, comme un symbole de l'abandon du public au profit d'un privé douteux, le maire Les Républicains de la commune de Pierre-Bénite a permis l'installation d'une école Espérance Banlieue dans les bâtiments de l'ancien conseil municipal de la jeunesse.
Tous ces faits prouvent concrètement l'affection que portent certains de nos collègues au développement des écoles privées hors contrat. Nous nous désolidarisons totalement de ces actes. Force est de constater qu'en 2018, à l'heure où il est à la mode de se réclamer de la lutte contre l'obscurantisme et pour la laïcité, valeurs que nous partageons tous verbalement, des deniers publics vont encore, directement ou non, à l'instruction privée hors contrat, qu'elle soit confessionnelle ou non.
Ce texte qui nous vient du Sénat aurait pu être l'occasion d'interdire tout financement, direct ou indirect, des écoles privées hors contrat : il n'en est rien. C'est pourquoi nous avons évidemment présenté des amendements visant cette interdiction. Ce texte aurait pu être l'occasion de revenir sur le régime d'ouverture de ces établissements : il n'en est rien. Soyons concrets : si ce texte est adopté, il suffira toujours, demain, de déposer une simple déclaration. Il ne sera pas nécessaire d'obtenir une autorisation, comme cela a été demandé par de nombreux groupes, notamment le groupe communiste du Sénat. Ce texte aurait pu être l'occasion d'interdire toute discrimination fondée sur le sexe pour l'inscription d'un enfant dans une école privée : il n'en est rien. Là encore, nous souhaitons que le texte soit amendé pour garantir l'égalité de toutes et tous.
Ce texte aurait pu être aussi l'occasion de discuter des moyens réels mis à la disposition du contrôle des établissements privés et des enseignements qui y sont dispensés : il n'en est rien. Je veux, du reste, alerter sur l'inadéquation entre le nombre d'inspecteurs chargés du contrôle des écoles et le besoin qu'il y a de s'assurer de l'égal accès à l'instruction de tous nos enfants, tel que le stipule l'article 13 du préambule de la Constitution de 1946.
Un rapport édité l'an dernier par l'académie de Versailles – vous le connaissez, monsieur le ministre – , fait état d'une situation alarmante : sur la centaine d'établissements privés hors contrat recensés sur ce territoire, seule une trentaine a été contrôlée ces trois dernières années, et ces contrôles, peu nombreux mais déjà très inquiétants, montrent que les élèves de ces écoles ne maîtrisent pas le socle commun des connaissances et que certains enseignements fondamentaux sont peu et mal enseignés. Je reprends le cas des écoles Espérance Banlieue : dans l'établissement de Montfermeil en Seine-Saint-Denis, le taux de réussite au brevet n'est que de 60 %, contre 83 % dans le reste du département.
Enfin, ce texte aurait pu être l'occasion d'un vrai durcissement des sanctions à l'encontre des établissements qui ne respectent pas les valeurs républicaines : il n'en est rien. Beaucoup ici se réclament de la lutte contre les fake news. L'objet de ce texte porté par la majorité aurait pu être l'occasion de lutter contre les fake schools. Ce n'est pas le cas.
Deux piliers de l'enseignement se rejoignent pourtant ici : le droit à l'instruction, d'une part, qui permet à chacun de se construire un esprit critique et d'acquérir les bases de la connaissance, et le droit à l'information, d'autre part. Ce n'est pas le cas. Ces deux piliers sont complémentaires : voilà pourquoi nous luttons à la fois pour le renforcement de l'école publique et pour un Conseil de déontologie du journalisme, par exemple. Ni fake news, ni fake schools, voilà qui permettrait l'émancipation de notre société et des individus qui la composent.
Chers collègues, pour conclure, je souhaite revenir sur le concordat qui subsiste en Alsace-Moselle.
Exclamations sur les bancs du groupe LR.
Oui, mes chers collègues, il devrait être supprimé. La laïcité doit être réelle sur l'ensemble du territoire. J'espère que nous serons tous d'accord sur ce point, d'autant que le concordat coûte chaque année près de 58 millions d'euros au contribuable. Lorsqu'on parle de laïcité et de défense de l'école publique, il faut les étendre à tout le territoire, sans quoi ce ne sont que mots.
Oui, vous le savez, mes chers collègues, cette dérogation à la loi de séparation des églises et de l'État n'est pas compatible avec la République.
Exclamations sur les bancs du groupe LR.
Pour toutes ces raisons, nous demandons la suppression pure et simple des écoles privées hors contrat auxquelles, vous l'aurez compris, notre opposition est totale. Rappeler quelques valeurs républicaines valait bien que je dépasse mon temps de parole de huit secondes : laïcité pour tous sur tout le territoire !
Applaudissements sur les bancs du groupe FI.
Madame la présidente, monsieur le ministre, monsieur le président de la commission, monsieur le rapporteur, chers collègues, les conditions d'ouverture et d'exercice des établissements privés hors contrat sont d'une très grande importance pour notre pays. Elles nécessitent toujours un travail concerté, sérieux et équilibré, tant les questions d'éducation intéressent à la fois le coeur même de notre République et le choix intime que les familles font pour leurs enfants, tout en devant garantir à ces derniers – c'est primordial – une éducation et une instruction de qualité et émancipatrice.
Aussi, ce qui doit nous guider, c'est cette ligne de crête entre, d'un côté, la liberté reconnue aux parents de scolariser leurs enfants dans le type d'établissement de leur choix – dans un établissement public, évidemment, mais aussi pour certains dans un établissement privé, confessionnel ou non – et, de l'autre côté, le fait de garantir à chaque enfant l'accès à une instruction de qualité, respectueuse des individus et des valeurs portées par notre République. La liberté d'enseignement ne peut donc être garantie que si elle s'inscrit dans le respect du droit à l'instruction et si chaque enfant a l'assurance de pouvoir bénéficier du socle commun de connaissances.
Pour ce faire, l'État et ses services doivent pouvoir contrôler régulièrement ce qui se passe dans ces établissements hors contrat. Ils doivent leur demander des comptes, tant sur les conditions matérielles des enseignements que sur le contenu enseigné.
Or, en l'état actuel de la loi, dans le cadre du système déclaratif, les autorités ont très peu de marges de manoeuvre pour s'opposer à l'ouverture d'un établissement. Une fois ouvert, les contrôles exercés par les services de l'État sont si peu nombreux et si lacunaires qu'ils ne permettent pas de garantir le droit à l'éducation et le respect de nos valeurs. Ainsi, nous savons que nous laissons dériver des enfants dans des établissements qui sont tout sauf des écoles – ce sont plutôt des outils de propagande diffusant des idéologies hostiles à la République et utilisant des méthodes pédagogiques contraires à la dignité des enfants. Même si ces établissements sont une minorité, même s'il n'y en avait que dix en France, ils suffiraient pour justifier cette proposition de loi et le durcissement des modalités de contrôle.
L'école est le pilier de notre République. C'est à l'école que se transmettent le savoir, le savoir-être et les valeurs qui sont le ciment de notre pays. Même si l'image des hussards noirs de la République n'est plus d'actualité, je crois encore profondément à l'école publique et au fait que, parmi tous les maux qui traversent notre société, il n'y en a pas un dont une partie du remède ne se situe pas à l'école.
Je salue au passage la décision du Président de la République d'ouvrir l'obligation d'instruction dès l'âge de trois ans. C'est une revendication que nous étions nombreux à porter et que j'ai d'ailleurs moi-même défendue dans cet hémicycle. Elle devrait permettre, si les écoles sont suffisamment dotées en moyens, de lutter contre les inégalités sociales.
De manière plus générale, tout ce qui permettra de renforcer l'école publique est utile pour lutter, de fait, contre les dérives de certains établissements privés hors contrat.
Force est de constater que, depuis quelques années, nous faisons face à une augmentation sensible des ouvertures d'établissements privés hors contrat. En France, environ 65 000 enfants sont scolarisés dans ces établissements. Ce nombre, qui croît régulièrement, peut être vu comme le symptôme d'un problème de confiance vis-à-vis de l'école publique, qu'il est facile d'incriminer, mais il reflète aussi et surtout les blessures portées à notre société avec la montée des sectarismes, de tous les intégrismes et de tous les replis identitaires ou individualistes.
Après avoir analysé ces dérives et constaté la vacuité des contrôles engagés ainsi que les difficultés des maires pour s'opposer à l'ouverture de ces établissements dans leur commune, nous devons agir rapidement et efficacement.
Il faut, en premier lieu, rendre les contrôles plus stricts et donner aux autorités de l'État et aux maires le temps de procéder à la vérification des divers éléments constituant le dossier d'ouverture. C'est ce que fait en partie cette proposition de loi du Sénat.
Dans le domaine de l'éducation, le moteur de notre action, notre seule boussole pour savoir si nous allons ou non dans le bon sens, c'est l'intérêt des enfants. Pour chaque établissement scolaire ouvert, l'État doit être capable de garantir qu'en son sein, les enfants ne courent aucun danger physique ni moral et que leur droit à une instruction de qualité, respectant le socle commun de connaissances, est garanti.
Il s'agit de mettre les enfants et les adolescents au centre de nos préoccupations. Si la liberté d'enseignement est effectivement inscrite et garantie par notre Constitution, le droit à l'instruction l'est aussi et, j'ai envie de dire, l'est surtout. Par extension, la liberté d'enseignement ne peut être encadrée que par le respect du droit à l'instruction. Aussi, nous ne pouvons en aucun cas nous réfugier derrière l'argument de la liberté d'enseignement pour justifier l'inaction en la matière.
Ce texte, même s'il est incomplet et même s'il eût été préférable d'instaurer un système d'autorisation préalable, a le mérite de donner dès à présent aux autorités et aux maires des outils pour s'opposer au maintien en activité d'établissements en dérive. Combien d'élus locaux se sont retrouvés à batailler, au coeur de l'été, disposant d'à peine huit jours pour empêcher l'ouverture d'un établissement qu'ils savaient potentiellement dangereux pour les enfants ? Ainsi, même si cette proposition de loi ne va pas aussi loin que nous le voudrions, elle permet certaines avancées tout en se gardant d'être frappée d'inconstitutionnalité.
Mes chers collègues, nous devons agir contre les faillites pédagogiques et programmatiques – faillites pédagogiques quand les seules méthodes employées consistent à faire rabâcher les élèves pendant des heures, faillites programmatiques quand la physique ou les sciences de la vie ne sont plus abordées ou quand des pans de notre histoire sont censurés. Les enfants doivent être protégés de cette non-éducation. Au-delà du choix des parents, chaque enfant scolarisé sur notre territoire doit pouvoir bénéficier d'un enseignement respectant sa dignité, tant dans les méthodes que dans les contenus. Ce droit, la loi doit le garantir ; pour ce faire, il n'y a pas d'autre choix que de contrôler strictement ce qui se passe dans ces établissements et de procéder aux fermetures nécessaires.
Tel est le sens des amendements déposés par le groupe GDR : renforcer encore le texte pour permettre des contrôles de qualité et garantir la plus grande vigilance sur le contenu pédagogique proposé par les établissements.
Nous souhaitons ainsi réintégrer le projet pédagogique dans le dossier de constitution de l'établissement, comme le prévoyait la première version de la proposition de loi, afin que les autorités puissent s'assurer que soient garantis le droit à l'instruction et le respect d'un socle minimum de connaissances.
Nous voulons aussi nous assurer qu'un contrôle sera effectué chaque année. Comme vous, monsieur le ministre, j'insiste sur la nécessité de donner aux directions académiques des services de l'éducation nationale – DASEN – les moyens suffisants pour que les agents de ces administrations puissent procéder aux contrôles. Nous réaffirmons également que tous les enseignants et directeurs d'établissement doivent offrir suffisamment de garanties d'expérience pédagogique avant de prétendre ouvrir une structure scolaire.
Ce texte est au milieu du gué. La représentation nationale pouvait aller plus loin en instaurant un régime d'autorisation préalable et en mettant les obligations pédagogiques au coeur des critères de contrôle. Bien que limité, ce texte va cependant dans le bon sens et offre de nouveaux outils pour prévenir les dérives constatées dans l'enseignement privé hors contrat. C'est pourquoi le groupe GDR, à la lumière de notre débat et des améliorations espérées, votera en faveur de cette proposition de loi.
Madame la présidente, monsieur le ministre, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, légiférer sur des structures n'accueillant que 0,5 % des 12 millions d'élèves actuellement scolarisés pourrait être considéré par certains comme une perte de temps, voire comme une proposition anodine. Cependant, en sept ans, le nombre d'écoles privées hors contrat a progressé de 60 %. Il me paraît important de préciser d'ores et déjà que seuls 45 % des élèves scolarisés dans le privé hors contrat le sont dans des écoles confessionnelles et que plus de 50 % des écoles hors contrat créées cette année étaient des écoles alternatives de type Montessori ou écoles démocratiques.
Cette nette progression peut être interprétée de plusieurs manières : tout d'abord, sous l'angle d'une créativité pédagogique très dynamique en France, qui témoigne de la réalité de la liberté d'enseignement ; ou alors par le fait que de nombreux parents ont des doutes quant à la qualité de l'enseignement dispensé dans nos écoles publiques, qu'ils sont entrés dans une logique de défiance du système scolaire ; ou encore par le fait que certaines communautés, qu'elles soient confessionnelles ou culturelles, souhaitent que soient enseignées à leurs enfants des matières spécifiques et des méthodes que l'école publique ne propose pas ; ou enfin par le fait que l'éducation nationale ne trouve pas de réponse suffisante à des problématiques bien spécifiques telles que celles que posent, par exemple, les très grands décrocheurs ou les enfants souffrant de troubles importants de l'apprentissage.
Même si la majorité des écoles inspectées montrent une réelle qualité pédagogique, on ne peut ignorer que certaines peuvent présenter une opposition frontale aux valeurs de la République, que d'autres occultent certains pans du savoir au profit d'une idéologie et que d'autres encore se caractérisent par une absence totale de preuve d'enseignement scolaire.
Aujourd'hui, le droit peine à cadrer des écoles hors contrat qui ouvrent de manière exponentielle. La présente proposition de loi vise donc à clarifier, simplifier, harmoniser et préciser le régime d'ouverture et de contrôle des établissements privés d'enseignement hors contrat. En effet, ce régime est très complexe pour les quatre administrations chargées de suivre l'ouverture des écoles, avec des moyens d'action très différents entre les services municipaux, les services académiques, les services de la préfecture et ceux du procureur de la République ; il est tout aussi complexe pour ceux qui veulent ouvrir une école.
Qu'on ne s'y méprenne pas, ce texte n'est pas liberticide. Il vise à trouver le juste équilibre entre les principes constitutionnels que sont la liberté de l'enseignement et le droit des enfants à l'éducation.
La liberté est indissociable de la responsabilité : l'État doit veiller à protéger les enfants contre l'insuffisance pédagogique, les phénomènes sectaires et la radicalisation. Contrôler, c'est aussi accompagner et valoriser tout en respectant la liberté. Nous devons offrir davantage de garanties aux parents en élargissant les points de vigilance. L'hygiène et les bonnes moeurs ne suffisent plus, il faut aussi s'intéresser à l'ordre public, à la protection de l'enfance et à l'acquisition du socle commun de connaissances et de compétences.
Je tiens, tout d'abord, à saluer l'important travail réalisé par les sénateurs, plus particulièrement par Mmes Gatel et Billon, qui a permis de faire progresser ce texte dans le sens d'une plus grande pertinence des contrôles.
Concernant l'ouverture de ces établissements, le travail législatif a permis, entre autres, d'affirmer clairement la distinction entre la personne qui souhaite ouvrir l'établissement et son directeur, de simplifier la procédure en créant un guichet unique auprès des services de l'État, d'unifier les motifs et les délais d'opposition, notamment en allongeant ce délai pour le maire, et d'actualiser les motifs d'opposition.
S'agissant des contrôles après ouverture, cette proposition de loi impose aux services de l'éducation nationale de contrôler ces établissements hors contrat dès leur première année d'exercice. Elle prévoit l'information des autorités compétentes en cas de changement d'identité du directeur ou du représentant légal de l'établissement. Elle renforce et rend plus efficace le contrôle a posteriori des établissements hors contrat – par exemple, par la communication annuelle des noms et titres des enseignants – et de leur moralité. Elle permet, enfin, de prononcer la fermeture d'un établissement en cas d'obstruction aux contrôles réalisés par les services de l'éducation nationale.
Je tiens aussi à souligner la qualité et la diversité des échanges que nous avons eus en commission.
À présent, mes chers collègues, nous allons pouvoir poursuivre nos débats autour de ce texte. Je nous fais confiance pour trouver ensemble une solution qui sécurise autant qu'elle protège, une solution qui garantira aussi la liberté d'enseigner.
Le groupe La République en marche se félicite que ce texte ait été inscrit aussi rapidement à l'ordre du jour de notre assemblée, car il est un instrument majeur permettant de renforcer la lutte contre les phénomènes de radicalisation voulue par le Gouvernement. Cependant, il ne faut pas réduire cette proposition de loi à un outil anti-radicalisation.
Nous pensons que ce texte a trouvé un juste équilibre qui permet de maintenir une liberté d'enseignement tout en protégeant les enfants pour qui les familles auraient fait le choix de ce type de structure.
Vous l'aurez compris, c'est avec responsabilité et en conscience que le groupe La République en marche votera en faveur de ce texte.
Applaudissements sur les bancs des groupes LaREM et MODEM.
Madame la présidente, monsieur le ministre, monsieur le président de la commission, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, la présente proposition de loi a pour objectif de renforcer l'encadrement du régime déclaratif d'ouverture des établissements scolaires privés, sans pour autant aller vers un régime d'autorisation qui serait attentatoire à la liberté d'enseignement, qui est un principe de valeur constitutionnelle. En effet, il convient de rappeler ici que les dispositions concernant l'ouverture des établissements contenues dans la loi relative à l'égalité et à la citoyenneté avaient finalement été censurées par le Conseil constitutionnel, qui les avait jugées contraires à la liberté d'enseignement.
Nous avons la conviction que, pour défendre la liberté d'enseignement, il faut évidemment la protéger contre ses dévoiements et lutter notamment contre toute instrumentalisation radicale de l'école. Dans le contexte que nous connaissons – cette journée est assez évocatrice – , ne pas prendre les dispositions nécessaires à la protection de nos libertés, en les sécurisant, c'est courir le risque de leur affaiblissement.
Or nous reconnaissons que le droit existant est perfectible : le code de l'éducation ne donne pas à la puissance publique assez de moyens pour faire obstacle à l'instrumentalisation de l'école par des officines de radicalisation, notamment salafistes, il faut bien le dire.
Pour autant, la recherche d'un meilleur équilibre entre défense de la liberté d'enseignement et sécurité publique ne doit en aucun cas remettre en cause le régime déclaratif. Un régime d'autorisation serait contraire à la liberté d'enseignement et donc, à notre sens, anticonstitutionnel. Telle qu'elle nous est arrivée du Sénat, la proposition de loi ne s'aventure pas sur ce terrain : nous ne sommes donc pas opposés à ce texte, car il préserve les équilibres tout en restant protecteur de la liberté d'enseignement.
Ainsi, sur un sujet qui concerne une liberté fondamentale protégée par notre Constitution – nous l'avons dit – , le législateur doit avoir, encore plus que sur tout autre, et selon la formule de Montesquieu, « la main tremblante ».
La réécriture du texte, telle qu'opérée par le Sénat, est très positive et permet de clarifier le droit existant tout en le rendant plus opérant, plus opérationnel, avec l'actualisation notamment des motifs d'opposition et le renforcement du contrôle a posteriori.
L'article 1er détaille la procédure déclarative de création d'un nouvel établissement scolaire. Celui-ci est ouvert dans un délai de trois mois s'il n'y a pas eu d'opposition de l'administration pour des motifs d'ordre public ou de protection de l'enfance et de la jeunesse.
C'était là un point majeur de vigilance de notre groupe parlementaire car en matière de liberté d'enseignement, on ne saurait – pardon, monsieur le ministre – confier l'essentiel au pouvoir réglementaire. Le texte a strictement et précisément défini les motifs de l'exercice par l'État du droit d'opposition à l'ouverture d'une école, et cela nous paraît être une bonne chose.
La finalité de la proposition de loi est bien de renforcer les moyens de l'ordre public et de protéger les enfants contre des dérives radicales, mais pas de s'immiscer dans les choix pédagogiques ou, moins encore, d'administrer pédagogiquement les établissements privés sur la base d'un modèle unique qui aurait été défini rue de Grenelle. Je sais, monsieur le ministre, que vous n'avez pas cette tentation et les propos tenus à cette tribune par d'autres intervenants montrent bien que nous sommes attachés comme vous à la diversité, qui est une chose importante.
Il y a un lien très fort entre liberté de l'enseignement et liberté pédagogique, et l'on ne saurait contraindre la seconde sans porter atteinte à la première. Aussi les membres du groupe Les Républicains du Sénat ont-ils souhaité – et nous partageons bien évidemment cette orientation ici, à l'Assemblée nationale – que soit impérativement écartée des motifs d'opposition toute référence à la pédagogie. Les contributions d'un réseau tel qu'Espérance banlieues sont à cet égard très pertinentes, car c'est bien la liberté qui lui a permis d'innover et de montrer que les choses pouvaient évoluer dans le bon sens.
Parmi les motifs d'opposition, la formule retenue par le Sénat est donc la bonne : « s'il ressort du projet de l'établissement que celui-ci n'a pas le caractère d'un établissement scolaire ». En effet, avoir le caractère d'un établissement scolaire, c'est assurer les objectifs et les missions de l'enseignement scolaire, principalement l'acquisition d'un socle commun que doit garantir la scolarité obligatoire, quelle que soit la pédagogie choisie pour y parvenir – je vous renvoie à ce propos à l'article L. 122-1-1 du code de l'éducation, auquel se réfère la proposition de loi pour ce qui concerne le contrôle. C'est aussi dispenser un enseignement conforme au droit de l'enfant à l'instruction.
Pour une plus grande sécurité juridique du dispositif, le Sénat est ainsi allé jusqu'à définir les modalités du contrôle, et donc les pièces constitutives du dossier d'ouverture, tout en rappelant son attachement au respect de la liberté pédagogique. C'est, comme nous l'avons déjà dit, un point capital. Il est donc prévu que la déclaration précisera « l'objet de l'enseignement conformément à l'article L. 122-1-1 dans le respect de la liberté pédagogique, précisant l'âge des élèves ainsi que, le cas échéant, les diplômes ou les emplois auxquels l'établissement les préparera ».
Par ailleurs, la procédure administrative a été simplifiée par la création d'un guichet unique auprès des services de l'État, autre avancée qui mérite, elle aussi, d'être saluée. Les délais de délivrance de l'accusé de réception du dossier – il est immédiat, et fait courir le délai de réponse – et le délai de constatation de pièces manquante – quinze jours – sont définis dans le texte aux alinéas 22 et 23, ce qui empêche toute obstruction de telle ou telle administration. Nous avons en effet constaté qu'il pouvait y avoir là une difficulté : il ne faut pas la négliger.
Une distinction peut désormais être faite entre la personne qui souhaite ouvrir l'établissement et son directeur. C'est là aussi une clarification majeure, car les conditions pour fonder ou ouvrir sont assouplies, ce qui ouvre la porte à des profils novateurs, et donc à une diversification de l'offre éducative. Enfin, les sanctions en cas de manquement ont été alourdies, ce qui montre bien l'attachement à l'équilibre précité.
La nouvelle rédaction de l'article 2 visant à renforcer le contrôle a posteriori des établissements hors contrat est intéressante et répond directement à l'objectif de sécurité publique. En effet, c'est une fois l'école ouverte et après au moins une année d'existence que les services de l'État seront le plus à même de se rendre compte de l'existence d'un éventuel risque pour l'ordre public. Le texte prévoit que le contrôle est mis en oeuvre sous l'autorité conjointe du préfet et des services de l'éducation nationale, et non plus des seuls services de l'éducation nationale, orientation qui permet d'éviter certaines dérives qui ont pu être constatées.
Ce texte ne doit en aucun cas être le cheval de Troie de ceux qui considèrent que l'école devrait être unique et uniforme. Les propos tenus par M. Corbière m'ont, à cet égard, quelque peu choqué. Notre groupe veillera donc à ce que cette vigilance accrue de l'administration ne se transforme pas en tracasseries administratives inutiles pour les établissements et que, s'agissant de l'enseignement à proprement parler, le regard porté sur la pédagogie mise en oeuvre le soit dans les limites prévues.
Quant à l'article 3, il détaille les conditions de diplômes et d'expérience exigibles des personnes qui dirigeront un établissement scolaire privé, puis celles exigibles pour enseigner dans ces établissements. Le texte opère une simplification aussi importante que salutaire en unifiant totalement les conditions applicables aux fonctions de direction pour le premier et le second degrés. En matière de conditions de diplômes et d'expérience, les exigences ne peuvent pas excéder celles qui s'appliquent aux contractuels du public sans être contraires à la liberté d'enseignement. La licence et cinq années d'expérience dans l'enseignement sont proposées ici, conditions qui nous semblent être acceptables, d'autant que des dérogations sont explicitement prévues pour ne pas fermer à la porte à des profils intéressants.
Je ne m'étendrai pas sur l'article 4, qui est avant tout un article de coordination.
Comme vous l'aurez compris, pour toutes ces raisons, le groupe Les Républicains est favorable à l'adoption du texte dans sa version initiale telle qu'issue du Sénat, qui permet un juste et légitime équilibre. C'est donc dans ce sens que nous interviendrons au cours de cette soirée.
Applaudissements sur les bancs du groupe LR.
Madame la présidente, monsieur le rapporteur, monsieur le président de la commission des affaires culturelles et de l'éducation, monsieur le ministre, mes chers collègues, nous discutons ce soir de la proposition de loi, adoptée par le Sénat, visant à simplifier et mieux encadrer le régime d'ouverture et de contrôle des établissements privés hors contrat.
Le contexte est bien connu de tous : alors que le nombre d'établissements hors contrat augmente de façon importante, en même temps que celui des élèves concernés – ils sont aujourd'hui de l'ordre de 60 000 – , la loi ne permettait pas, jusqu'à présent, aux autorités compétentes de s'opposer à temps à l'ouverture d'un établissement ne respectant pas les conditions requises, en raison de délais trop courts – huit jours pour les maires – ou de motifs d'opposition peu opérants – l'hygiène ou les bonnes moeurs. Dès lors, la proposition de loi qui nous est soumise se révèle pleinement nécessaire.
Elle est également indispensable pour répondre à certaines dérives. Certes, ces écoles ne perçoivent pas d'argent public, mais un meilleur encadrement se justifie si nous voulons éviter les cas, rares mais graves, d'indigence pédagogique ou de détournement communautariste ou révisionniste. À cet égard, l'actualité donne évidemment une résonance toute particulière à ce texte, même si elle ne doit pas donner lieu à surenchère.
La proposition de loi présentée par la sénatrice de l'Union centriste Françoise Gatel est un texte d'équilibre, qui garantit à la fois la liberté d'enseignement et le nécessaire contrôle que l'État doit exercer en matière d'éducation de nos enfants. Elle a d'ailleurs reçu un accueil favorable de la part d'une large majorité de sénateurs et du Gouvernement. Ce texte améliore et renforce le système déclaratif ; allonge les délais d'opposition et en étend les motifs, harmonise les trois régimes d'ouverture existants et accentue les sanctions en cas de manquement à ces principes.
Ainsi, l'article 1er étend les motifs d'opposition à des considérations d'ordre public ou de protection de l'enfance et de la jeunesse et précise les pièces que le dossier de déclaration d'ouverture devra comporter, notamment à propos de l'établissement et des modalités de son financement.
L'article 2 institue, entre autres, un contrôle des établissements privés au cours de la première année de leur ouverture, puis de manière aléatoire les années suivantes. Sur ce point, il y a eu débat au Sénat et en commission pour définir la fréquence de ces contrôles. Nous avons été sensibles aux arguments de certains de nos collègues qui souhaitaient les systématiser chaque année mais, par souci de réalisme et d'efficacité, nous nous sommes rangés à la méthode retenue et à l'engagement que vous avez pris, monsieur le ministre, auprès du Sénat de renforcer les contrôles touchant les établissements privés hors contrat.
De plus, nous notons le contrôle annuel des noms et titres des chefs d'établissement instauré par ce texte. L'ensemble de ces mesures nous semble ainsi pleinement répondre aux enjeux.
L'article 3, quant à lui, fixe les conditions sans lesquelles un dirigeant ou un enseignant ne peut être désigné : conditions d'âge, de nationalité ou d'ancienneté à un poste similaire.
Comme cela a été rappelé, la liberté de l'enseignement est un droit fondamental inscrit dans la constitution de notre république. La nécessité de protéger nos enfants de certaines dérives observées dans ces enseignements hors contrat n'en est pas moins importante. La liberté est un bien fragile qu'il nous faut parfois protéger d'elle-même, contre ceux qui seraient tentés d'en abuser au détriment de l'intérêt général et pour l'intérêt de quelques-uns.
Les débats tenus en commission la semaine dernière ont été l'occasion d'échanges intéressants et d'apports pertinents sur tous les bancs de notre assemblée. Les groupes politiques ont pu exprimer leurs inquiétudes, qu'il nous faut prendre en compte, car elles découlent d'attentes légitimes.
Nous pensons néanmoins que le système déclaratif est suffisant. Un régime d'autorisation préalable, outre qu'il n'apporterait rien de nouveau, n'aurait pour effet que de rendre plus complexes les démarches effectuées par les écoles qui ne posent pas problème.
Dans le même temps, le texte donne aux autorités compétentes les moyens de réagir à temps si un doute subsistait. C'est pourquoi nous ne souhaitons pas aller plus loin sur ce point. Par ailleurs, sur le régime des interdictions faites aux personnels de direction et d'enseignement, il faudra que le Gouvernement et le rapporteur expliquent clairement à la représentation nationale quelles garanties ces dispositifs apportent, afin de ne pas laisser passer d'individus qui n'auraient pas toutes les qualités que nous sommes en droit d'attendre dès lors qu'on leur confie la responsabilité d'enfants – nous avons vu, du reste, qu'il fallait rassurer ce soir.
Si donc tout cela vise à mieux encadrer les écoles hors contrat et constitue, de notre point de vue, un progrès, nous attendons toutefois du débat en séance, monsieur le ministre, quelques précisions sur deux points : l'extension du régime d'interdiction à des personnes qui seraient fichées, et l'étendue du régime dérogatoire prévu, notamment pour ce qui concerne les cinq ans d'expérience dans des fonctions de direction ou d'enseignement requis pour diriger un établissement hors contrat.
Enfin, nous ne devons pas négliger les questions venues de toutes ces écoles hors contrats qui ne se font remarquer que par leurs remarquables innovations pédagogiques et qui sont parfois des sources d'inspiration pour notre propre école républicaine. Il faut les rassurer car ce texte de loi ne porte en aucun cas atteinte à leur liberté. La liberté d'enseignement, principe à valeur constitutionnelle, est préservée et il ne doit pas être question de la remettre en cause. C'est aussi pourquoi le contrôle de la pédagogie choisie ne doit pas être prévu dans la loi.
Le groupe du Mouvement démocrate et apparentés soutiendra le texte qui nous est présenté et qui, sous cette forme, établit un plein équilibre entre le droit à l'enseignement libre et l'impératif, pour la République, de se prémunir de certaines dérives. C'est la condition pour ne pas faire de l'école un lieu d'instrumentalisation des consciences, mais bien de plein épanouissement.
Toutes les écoles françaises, qu'elles soient publiques, privées ou hors contrat, sont animées du même et formidable espoir, porté par les Lumières, de l'émancipation de tous par le savoir. Avec cette loi, nous renforçons les conditions pour voir s'accomplir ce rêve.
Applaudissements sur les bancs des groupes MODEM et LaREM.
Madame la présidente, monsieur le rapporteur, monsieur le ministre, mes chers collègues, la représentation nationale est appelée aujourd'hui à se prononcer sur une proposition de loi adoptée par nos collègues sénateurs et visant à simplifier et mieux encadrer le régime d'ouverture et de contrôle des établissements privés hors contrat. En matière d'éducation, nous sommes convaincus que la liberté doit être à la fois la valeur cardinale et le principe qui doit guider notre action.
Au nom de mon groupe, je tiens d'abord à réaffirmer notre profond attachement à la liberté d'enseignement, principe à valeur constitutionnelle qui consacre le droit des parents de choisir librement l'instruction qu'ils désirent donner à leurs enfants. Il s'agit d'un principe fondamental reconnu par les lois de la République, sur lequel nous ne saurions revenir.
Aux côtés du service public de l'éducation, l'enseignement privé doit en effet conserver toute la place qui est légitimement la sienne. Notre intention n'est donc pas de faire le procès de l'école libre, ni de rejouer la guerre des deux écoles, entre public et privé. Nous croyons que, dans le cadre d'une société démocratique, attachée au pluralisme idéologique et au respect des minorités, il n'est pas possible d'imposer un modèle éducatif unique.
Il faut au contraire souligner et saluer la diversité et la grande richesse de l'enseignement privé, notamment hors contrat. Je pense ainsi aux établissements de type Montessori, tels qu'on peut en trouver dans les Vosges, à Vecoux ou au Girmont-Val-d'Ajol, qui offrent des pédagogies alternatives à nos enfants. Nous pouvons également citer l'action des établissements privés Espérance Banlieues dans les quartiers défavorisés, où chaque début de journée commence par le lever des couleurs et par notre Marseillaise.
Dans le même temps, nous sommes également très attachés au principe à valeur constitutionnelle du droit à l'éducation, tel qu'affirmé dans la Constitution et réaffirmé par la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l'homme, ainsi qu'à la réalité des contrôles de ces établissements, pour le bien de nos enfants.
La présente proposition de loi vise à inscrire dans la loi des garde-fous pour permettre la sauvegarde du droit à l'instruction, tout en conservant et en préservant la liberté d'enseignement. Elle est née d'un constat indéniable, celui de l'inadéquation du cadre juridique applicable aux établissements privés au regard des enjeux actuels.
Le régime actuel d'autorisation des écoles privées est fondé sur trois procédures distinctes, en fonction de la nature de l'enseignement dispensé par l'établissement – premier degré, second degré ou enseignement technique. Ces procédures ont été définies respectivement par les lois Goblet de 1886, Falloux en 1850 et Astier en 1919, soit des lois qui ont – ou auront l'année prochaine, pour la dernière citée – plus d'un siècle.
La coexistence de ces trois procédures, qui font intervenir, à chaque fois et de manière différente, le maire, l'autorité académique, le préfet et le procureur de la République, est un facteur de grande complexité, tant pour le demandeur que pour les administrations qui les mettent en oeuvre.
Par ailleurs, l'effectivité du contrôle à l'ouverture des projets d'établissement est limitée par la brièveté des délais d'opposition, qui sont de huit jours pour le maire, d'un mois pour les services de l'État dans l'enseignement général et de deux mois dans l'enseignement technique.
Le maintien de ce dispositif multiguichet a pour conséquence de placer nos maires, et particulièrement ceux des petites communes, dans des situations difficiles, voire inextricables. Face à des demandes d'ouvertures d'établissement prônant des idées contraires aux valeurs républicaines, ou susceptibles de dérives sectaires, ils sont souvent démunis, d'autant plus qu'ils ne disposent que de huit jours pour s'opposer à une éventuelle ouverture et que les déclarations ont souvent lieu en plein été, période peu propice à un contrôle efficace.
D'autre part, les autorités administratives ne peuvent aujourd'hui fonder leur refus que sur des motifs d'hygiène et de bonnes moeurs pour l'enseignement primaire et secondaire, la possibilité de faire référence à l'ordre public ne s'appliquant qu'au seul enseignement technique. En conséquence, l'absence de moyens juridiques suffisants rend impossible le refus d'ouverture d'une école.
L'exemple de l'établissement Al-Badr est éloquent en ce sens : alors qu'il avait été fermé en décembre 2016 par le tribunal correctionnel à la suite de quatre inspections, l'opposition des autorités académiques à l'ouverture, dans les mêmes locaux et avec les mêmes enseignants, d'une école et d'un collège a été annulée par le tribunal administratif de Toulouse en raison de l'impossibilité d'invoquer le motif de trouble à l'ordre public.
Le rapport de Mme Annick Billon, rapporteure de ce texte au Sénat, relève par ailleurs des lacunes criantes dans le contrôle a posteriori des établissements hors contrat, tant dans le nombre des contrôles que dans la formation des inspecteurs pédagogiques qui en ont la charge. Vous vous êtes engagé, monsieur le ministre, à augmenter le nombre d'inspecteurs dédiés au contrôle de ces établissements : cela est en effet nécessaire car il y va du bien-être de nos enfants.
Le rapport de notre collègue sénatrice indique qu'à l'occasion des contrôles des services de l'éducation nationale en 2016, les manquements constatés, même s'ils sont minoritaires, ne sont toutefois pas marginaux. Ainsi, près d'un quart des contrôles réalisés en 2016 et 2017 a relevé des manquements. S'ils font très rarement référence à une opposition frontale aux valeurs de la République, ils recouvrent parfois un enseignement partiel et partial de certaines matières, comme l'histoire-géographie ou, plus grave encore, mettent parfois en exergue l'absence totale d'enseignement de la part du corps enseignant concerné.
Il est donc plus que nécessaire de simplifier, d'harmoniser et de renforcer ces procédures, d'autant plus que le nombre d'ouvertures d'écoles privées hors contrat connaît depuis près de dix ans une croissance soutenue : elles sont passées de 803 en 2010 à 1 300 en 2017, soit une croissance de plus de 60 %.
Même si cette proposition de loi ne répond pas à toutes les attentes, elle apporte des réponses concrètes à ces enjeux, sans pour autant porter une atteinte excessive à la liberté de l'enseignement.
En unifiant les trois régimes d'ouverture et en créant un guichet unique auprès des services de l'État, l'article 1er simplifie profondément le droit existant pour l'ouverture des établissements. Il unifie et modernise également les motifs et les délais d'opposition pour les autorités administratives. En ajoutant le motif de l'ordre public et en remplaçant les notions désuètes d'hygiène ou de bonnes moeurs par les raisons plus adaptées de protection de l'enfance et de la jeunesse, nous aurons désormais les moyens d'un contrôle efficace.
En harmonisant le délai d'opposition, désormais porté à trois mois, nous sécuriserons les élus locaux, qui se sentiront moins piégés par l'urgence et pourront ainsi examiner plus sereinement les déclarations d'ouverture.
L'article 1er inscrit par ailleurs dans la loi la liste des pièces que le dossier de déclaration d'ouverture doit comporter, notamment en ce qui concerne l'établissement et les modalités de son financement, donc l'origine de ces fonds.
Afin d'améliorer l'efficacité et la pertinence des contrôles, l'article 2 prévoit désormais un contrôle obligatoire dès la première année d'exercice des établissements hors contrat. Ce contrôle devra également se doubler, au même titre que pour les établissements publics et les établissements sous contrat, d'un contrôle des titres et des noms des enseignants, ce qui permettra de vérifier qu'ils ne figurent pas dans les différents fichiers judiciaires intéressant la sûreté de l'État ou répertoriant les infractions sexuelles ou d'actes de terrorisme.
L'article 3 unifie les conditions requises pour diriger un établissement privé ou y enseigner et met en place des conditions d'âge, de nationalité et de capacité qui n'existaient jusque-là que dans l'enseignement technique, même si des dérogations sont possibles.
Enfin, l'article 4 renforcera l'efficience de ces contrôles en supprimant la condition de récidive pour la fermeture d'une école.
Monsieur le ministre, notre groupe se prononcera donc en faveur de cette proposition de loi, qui maintient un juste équilibre entre la protection de la liberté de l'enseignement et le droit à l'instruction des enfants que garantit la République.
Applaudissements sur quelques bancs des groupe LaREM et MODEM.
Madame la présidente, monsieur le ministre, monsieur le rapporteur, chers collègues, la liberté de l'enseignement constitue l'un des principes fondamentaux reconnus par les lois de la République, dans le respect du droit de l'enfant à l'éducation et de la liberté pour les parents de faire un choix éducatif. C'est cette injonction républicaine qui nous conduit aujourd'hui à discuter de cette proposition de loi.
Un rappel historique s'impose à nous : depuis la loi du 31 décembre 1959, un établissement privé n'a pas l'obligation de signer un contrat avec l'État. Il ne bénéficie alors d'aucune aide, ce qui induit un moindre contrôle de son activité. Il existe aujourd'hui 1 300 établissements hors contrat, qui accueillent plus de 70 000 enfants.
Cependant, force est de constater que le rythme des ouvertures de ces établissements est en forte augmentation : quatre-vingt-treize écoles ont été créées en 2016, contre trente et une en 2011. Cette inflation s'explique, certes, par la volonté de certains parents d'offrir une autre éducation mais également par un cadre juridique obsolète et inadéquat. En effet, l'ouverture de ces écoles n'est soumise qu'à une simple déclaration auprès du maire, du préfet, du directeur départemental de l'Éducation nationale et du procureur de la République.
Parallèlement à cette augmentation significative, des signalements, de plus en plus nombreux, parviennent aux services de l'État à l'encontre d'une minorité de ces établissements. En cause, la faiblesse des projets pédagogiques, un encadrement déficient et, sur le fond comme sur la forme, un contenu politique et idéologique qui ne participe pas forcément à former de futurs adultes éclairés mais, bien au contraire, les éloigne du reste de nos concitoyens – pour résumer, ils opposent le « rester ensemble » au « vivre ensemble ».
Les causes en sont nombreuses. Citons, parmi elles, les contrôles de leur fonctionnement, qui ne peuvent être menés que a posteriori par la puissance publique – en cas de volonté de fermeture, elle doit au préalable obtenir une décision de justice en arguant d'une atteinte aux bonnes moeurs, d'un trouble à l'ordre public ou de mauvaises conditions d'hygiène – , ou encore le non-respect du socle commun des connaissances. À ce titre, nous vous renvoyons au rapport de 2016 de l'académie de Versailles, qui pointait des dérives en matière d'enseignement ; il aura fallu des contrôles inopinés pour faire la lumière sur ces agissements.
Ce sujet n'est pas nouveau : il a été soulevé à plusieurs reprises à l'Assemblée nationale, notamment dans la proposition de résolution de Jean Glavany de 2011 demandant la création d'une commission d'enquête sur les pratiques fondamentalistes et sectaires portant atteinte aux lois, aux principes et aux valeurs de la République dans certains établissements. De même, le projet de loi présenté par Najat Vallaud-Belkacem, ministre de l'éducation nationale, en 2016, entendait passer à une autorisation préalable. Ses efforts se sont alors heurtés à un rejet du Conseil constitutionnel.
Désormais, le présent texte propose plusieurs dispositions susceptibles de répondre aux dérives constatées : la simplification et l'unification du régime d'ouverture de tous les établissements hors contrat pour mettre fin à l'insécurité juridique ; l'unification des délais d'examen des dossiers, avec l'instauration d'un guichet unique ; enfin, la modernisation des motifs d'opposition pour les rendre plus opérants.
Mes chers collègues, nous ne remettons pas en cause le bien-fondé de ces dispositions mais elles ne sont pas à la hauteur de l'enjeu. Notre groupe, dans sa volonté de faire respecter le pacte républicain, a présenté plusieurs amendements en commission pour répondre aux problématiques posées : ils ont été rejetés.
Nous proposions le passage d'un régime de déclaration d'ouverture des établissements à un régime d'autorisation préalable par l'État. Cette évolution aurait permis de fournir une garantie supérieure à celle de la simple déclaration, même si elle impliquait une augmentation du nombre de contrôles ; de donner plus de moyens à l'État et aux élus pour procéder à la fermeture des écoles concernées ; d'apporter plus d'efficacité aux services des mairies et de l'État en matière de délais d'opposition ; enfin, de garantir l'intérêt et le bien-être de l'enfant.
Nos débats devraient soulever la question non pas du passage d'un régime de déclaration à un régime d'autorisation préalable, mais des modalités de mise en service de cette nouvelle procédure. Nous ne devrions pas nous interroger sur le « si » mais sur le « comment » de ce nouveau régime.
Monsieur le ministre, notre république ne peut avoir ni préférence culturelle, ni préférence cultuelle. En revanche, elle doit protéger ceux qui veulent s'émanciper, encourager l'acquisition des savoirs au sein d'un socle de valeurs et de connaissances communes. Il ne s'agit pas ici seulement d'éducation mais bien de la protection de nos enfants contre toutes formes de fondamentalismes, de dérives sectaires et de manipulation de l'esprit de nos jeunes.
Applaudissements sur les bancs du groupe NG.
Madame la présidente, monsieur le ministre, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, la proposition de loi que nous avons à examiner répond à un constat simple : le régime d'ouverture des écoles privées est dépassé, incohérent et à bien des égards dangereux.
Le caractère obsolète des dispositions actuelles a été mis en lumière par la forte croissance de l'enseignement privé hors contrat ces dernières années. Cette augmentation s'explique par divers motifs : un engouement pour des pédagogies alternatives, le choix d'une éducation religieuse, une volonté d'accorder plus de place aux langues étrangères ou régionales, mais aussi parfois, il faut le reconnaître, une déception à l'égard de l'éducation nationale.
L'augmentation du nombre de créations d'écoles hors contrat fait qu'il nous faut avoir un discours clair vis-à-vis de ces structures. Bien évidemment, il n'est pas question d'empêcher leur création mais il est indispensable de les maintenir dans un cadre déclaré et contrôlé. Si notre assemblée doit respecter la liberté d'enseignement, elle doit aussi légiférer pour établir des règles strictes en matière d'ouverture et de contrôle de ces écoles.
Cette proposition de loi répond à ce besoin. En effet, son article 1er simplifie la législation en fusionnant les trois régimes existants. Il renforce la capacité de contrôle exercée par les différentes autorités, dont le maire, en allongeant notamment les délais et motifs d'opposition. Il en ajoute également de nouveaux comme cela a été rappelé par les précédents orateurs.
Je souhaite revenir plus longuement sur l'article 2 de cette proposition de loi qui affirme le principe d'un contrôle obligatoire de chaque établissement hors contrat au cours de la première année. Cette mesure me semble absolument justifiée. En effet, ces contrôles sont fondamentaux en ce qu'ils permettent de certifier que les enseignements prodigués au sein de ces établissements ne servent pas à ancrer une quelconque idéologie.
Le texte réaffirme que le contrôle se déroule dans l'établissement, ce qui est également essentiel. En effet, certains parents se laissent parfois abuser par des projets pédagogiques qui n'en ont que le nom et certaines écoles se résument à des appartements où les enfants, à l'abri des regards, reçoivent quelque chose qui n'a rien à voir avec l'idée que l'on se fait de l'enseignement.
Ces contrôles a posteriori sont d'une extrême importance parce que certaines choses ne peuvent se voir qu'une fois l'établissement ouvert. Or les contrôles sont encore insuffisants en règle générale. Les académies les plus concernées reconnaissent que de nombreux établissements hors contrat n'ont jamais fait l'objet d'un quelconque contrôle. Trop peu d'établissements nouvellement créés sont contrôlés au cours de leur première année d'exercice : moins de la moitié pour l'année scolaire 2016-2017. Nous sommes bien en deçà des objectifs fixés par la circulaire du 17 juillet 2015, à savoir un contrôle lors de la première et de la cinquième année d'exercice.
Il faudra, et nous comptons sur vous, monsieur le ministre, que le ministère de l'éducation nationale se donne les moyens, notamment dans les académies où se concentrent les ouvertures de tels établissements, de rendre ce contrôle systématique la première année de fonctionnement du nouvel établissement. Je me félicite des garanties que vous avez déjà apportées à cet égard dans votre propos liminaire.
Ces contrôles doivent, pour être efficients, être réalisés en étroite collaboration avec l'ensemble des services de l'État, au premier rang desquels le ministère de l'intérieur, lequel dispose d'informations parfois utiles pour prévenir des ouvertures qui ne seraient pas souhaitables.
Monsieur le ministre, le sujet du contrôle est très important. Il conviendra de professionnaliser ces contrôles, afin d'aider et épauler les inspecteurs dans cette mission parfois très délicate.
Il aurait également pu être envisagé, comme le demandent certains groupes, un contrôle annuel des établissements hors contrat. Mais tout laisse à penser que ce contrôle annuel disperserait les moyens alloués. Nous risquerions ainsi de supprimer les marges de manoeuvre des rectorats et in fine de limiter l'efficacité de ces contrôles.
Si un contrôle annuel semble donc difficilement réalisable, voire irréaliste, il est impératif de renforcer les contrôles inopinés : ce sera l'objet d'un amendement à l'article 2 que je défendrai.
Aujourd'hui, force est de constater que la grande majorité des contrôles des établissements scolaires hors contrat sont planifiés. Afin d'en renforcer l'efficacité, il me semble important qu'ils puissent se faire ici et là de manière inopinée.
Enfin, comme pour les établissements publics et les établissements sous contrat, il est demandé que ce contrôle se double d'un contrôle des titres et des noms des enseignants, afin de pouvoir vérifier que ces derniers ne figurent pas dans les divers fichiers judiciaires intéressant la sûreté de l'État ou répertoriant les auteurs d'infractions sexuelles ou d'actes de terrorisme. Cela a beau sonner comme une évidence, il est utile de le rappeler et de le graver dans le marbre.
Mes chers collègues, les dispositions de cette proposition de loi vont dans le bon sens. Elles représentent l'aboutissement d'un travail de compromis visant à instituer un régime le plus simple et le plus efficace possible, conforme à l'intérêt général mais qui ne fait pas fi pour autant du souci de préserver la liberté d'enseignement. C'est pourquoi j'invite tous les parlementaires sur ces bancs à voter la proposition de loi.
Applaudissements sur les bancs du groupe LaREM.
Monsieur le ministre, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, le texte dont nous commençons l'examen, issu de l'initiative sénatoriale, vise à simplifier et mieux encadrer le régime d'ouverture et de contrôle des établissements privés hors contrat.
Le sujet est d'importance d'abord parce qu'il concerne un droit constitutionnel qui veut que l'État proclame et respecte la liberté d'enseignement et en garantit l'exercice. C'est du reste pour ce motif que le Conseil constitutionnel, dans sa décision du 26 janvier 2017 sur la loi relative à l'égalité et à la citoyenneté a retoqué la volonté de la ministre Vallaud Belkacem de substituer, par ordonnances de surcroît, au régime de déclaration un régime d'autorisation administrative préalable. Nous nous étions alors fermement opposés à cette démarche parce qu'elle menaçait la liberté que permet le hors contrat et ce que peuvent offrir d'utile et de fécond des établissements dont beaucoup, rappelons-le, ne sont pas confessionnels.
L'essor des établissements hors contrat est patent depuis plusieurs années et prend de multiples visages, qu'il s'agisse de pédagogies alternatives, de projets à profils particuliers, d'écoles implantées dans des territoires à besoins sociaux particuliers comme les écoles Espérance Banlieues qui misent sur l'intégration scolaire et sociale des élèves par des méthodes pédagogiques classiques. Il y a là un vivier et une énergie utiles et fondés sur la liberté pédagogique qui ne s'affranchit pas pour autant de la nécessité de respecter les valeurs de la République et les programmes.
Grâce au travail du Sénat, que je veux saluer, le texte a heureusement évolué et respecte la possibilité de créer des écoles libres : c'est pour nous un point capital.
Toutefois, dans le contexte d'essor des écoles hors contrat, un phénomène émerge et interroge : on ne peut ignorer la très forte progression – près de 70 % – des établissements d'enseignement privé musulman selon la fédération qui les regroupe. Certains, on le sait, posent problèmes, non parce que ce sont des écoles musulmanes – il existe des écoles de toutes confessions et ce n'est pas une difficulté en soi – , mais la progression fulgurante de ces écoles est en soi un message à tout le moins de très grande méfiance, voire de rejet, de notre système scolaire jugé par certains corrupteur. Par ailleurs, on le sait, certaines délivrent des enseignements largement inspirés d'un islam qui vise à isoler les enfants de la société dans laquelle nous cherchons précisément à les intégrer.
L'État est aujourd'hui insuffisamment armé pour faire fermer des écoles qui ne respecteraient pas les valeurs de la République ou la qualité de l'enseignement. On a pu hélas le constater dans le cas de l'école coranique de Toulouse.
L'alinéa 6 de l'article 1er introduit utilement les notions de protection de l'enfance et de la jeunesse et de respect de l'ordre public. De même, l'inscription dans la loi de l'inventaire des pièces constitutives du dossier d'ouverture offre une plus grande sécurité juridique.
Mais ne nous leurrons pas, la partie n'est pas gagnée pour autant, d'abord parce que le salafisme, dont je rappelle qu'il considère la charia comme la source unique du droit, fait évidemment de l'endoctrinement des jeunes une de ses priorités, ensuite parce qu'il y a fort à parier que certaines démarches de créations d'école, très organisées sur le plan juridique, offriront toutes les garanties du respect des obligations requises – écoles « Potemkine » au parfait visage destinées à tromper la vigilance des inspecteurs. Au passage, signalons le cas de ces écoles coraniques qui se développent parallèlement à l'école publique. Rien n'est plus désolant et inquiétant que de voir des petites filles revêtir, après l'école, le voile quasi intégral pour aller suivre des cours qui délivreront un message parfois exactement inverse de ce que les professeurs auront tenté de leur inculquer dans la journée.
Le contrôle auquel tous les établissements seront soumis, confessionnels ou non, sera donc essentiel et doit être mené d'une main ferme et compétente, sans naïveté, sans céder aux intimidations de ceux qui ne manqueront pas de crier à la stigmatisation, sans céder à la tentation de relativiser le phénomène en refusant de le nommer ou en le comparant pour le minimiser. Vous avez raison, monsieur le ministre, il faut nommer les problèmes.
C'est pourquoi, monsieur le ministre, je souhaiterais que vous preniez l'engagement de revenir devant la représentation nationale dès lors que la loi sera entrée en application pour dresser un bilan de son application, du déroulement des contrôles et de leurs conclusions.
Applaudissements sur les bancs du groupe LR.
Madame la présidente, monsieur le ministre, messieurs les rapporteurs, à Béziers, l'école « la Tour de l'espérance » a ouvert ses portes à la rentrée scolaire 2017. N'en déplaise à M. Corbière – qui n'est pas là – elle n'a rien à voir avec certains clichés qui voudraient faire passer les écoles hors contrat pour des écoles de riches. On s'y s'occupe des élèves en décrochage scolaire, ceux qui, dans les écoles classiques, sont mis au ban ou dont on n'a plus le temps de s'occuper parce que les classes sont surchargées. Avec des frais de scolarité de 70 euros par mois, cette école veut être accessible à tous, notamment aux plus défavorisés et ce n'est pas sans difficulté car, ici comme partout l'argent est le nerf de la guerre. Pour dix élèves, la recette nette annuelle est de 6 500 euros alors que le coût de fonctionnement est de 82 000 euros. Heureusement les soutiens privés et les dons permettent de renflouer les caisses.
Mais si nous votons cette proposition de loi issue de la volonté affichée d'avoir un droit de regard sur les modalités de financement d'un établissement hors contrat, le risque est réel que certaines écoles ne puissent ouvrir car, vous le savez, c'est toute l'année que l'argent est collecté.
Il est certes normal que, d'une certaine façon, le financement de ces écoles soit contrôlé. Cela permet, entre autres, d'empêcher que des écoles islamistes soient financées par des fonds étrangers ou des personnes en relation avec des mouvances extrémistes. Mais prenons garde à ne pas bafouer, sous couvert de lutter contre l'islamisme, l'une des libertés fondamentales de notre pays, celle de l'enseignement. En effet, le droit de choisir librement l'école de ses enfants fait consensus, bien au-delà des clivages politiques !
Et puis le contrôle financier est une chose, mais il y aussi le contrôle des écoles en elles-mêmes. Contrôler est naturellement indispensable pour s'assurer de la qualité des enseignements. Mais quand ces contrôles servent de prétexte à une véritable inquisition de la part de ceux qui les exercent, le risque de dérive est prégnant. Certains établissements sont contrôlés par plusieurs inspecteurs et là, tout y passe : interrogatoire du directeur, des enseignants et des élèves, photographies des cahiers et des classeurs, etc.
Pourquoi tant de défiance ? N'est-ce pas le terrible aveu que l'éducation nationale craint la montée en puissance de ces écoles parce qu'elle s'aperçoit que son propre niveau périclite dangereusement ? Quand près de 70 000 élèves échappent à son contrôle et plus de 120 nouvelles écoles ont vu le jour l'année dernière, on comprend très bien que le ministère s'inquiète. Une petite remise en question s'impose peut-être et il faut reconnaître que vous vous y employez, monsieur le ministre.
Pourtant ce projet de loi sorti du placard de l'ancienne ministre de l'éducation nationale, Mme Vallaud-Belkacem, semble en totale opposition avec le discours progressiste et moderne que vous affichez. Heureusement, le toilettage opéré par le Sénat a permis de purger le texte de ses plus gros défauts. Certaines incohérences demeurent néanmoins.
Vous n'avez de cesse de nous répéter que vous croyez en la liberté, en l'expérimentation, en l'innovation et en la différenciation comme une voie vers l'excellence. Mais interdire à qui n'a pas la bonne nationalité ou n'a pas travaillé dans le secteur de l'enseignement pendant au moins cinq ans de diriger une de ces écoles, c'est tout simplement faire le contraire de ce que vous prétendez à longueur de journée. C'est préférer l'entre-soi à l'ouverture d'écoles internationales qui ont vocation à être dirigés par des personnes étrangères à l'Union européenne. C'est faire de l'anti-innovation sous prétexte de faire de la protection. C'est préférer restreindre la liberté de tous pour pouvoir contrôler les graves dérives de certains, et ceci alors que d'autres moyens existent.
Plus profondément, je crois que la multiplication des écoles hors contrat pose la question de la qualité de l'enseignement délivré aux élèves et des méthodes d'apprentissages.
Par obstination, par idéologie parfois, des générations entières d'élèves ont été marquées par un apprentissage censé éclairer l'intelligence des écoliers. Depuis des années et même des décennies, on invente des théories d'apprentissage, on fait de nos écoles des laboratoires et de nos élèves des cobayes. Mais, aujourd'hui, les chiffres sont là : chaque année, 100 000 élèves sont en situation de décrochage scolaire !
Les écoles hors contrat sont pour beaucoup un moyen de récupérer ceux qui ne s'intéressent plus à leurs leçons et qui n'intéressent souvent plus l'éducation nationale, la plupart du temps, c'est un fait, faute de moyens. Lorsque l'État est défaillant et que l'on ne veut pas voir naître une nouvelle génération sacrifiée, on agit. C'est ce que fait avec beaucoup de courage l'écrasante majorité de ces directeurs et enseignants qui s'engagent pour nos enfants.
Comme le disait Charles Péguy : « Le triomphe des démagogies est passager, mais les ruines sont éternelles. » Ne laissons pas nos enfants grandir sur des ruines…
Monsieur le ministre, monsieur le rapporteur, chers collègues, plusieurs strates successives d'une législation tout imprégnée de la querelle scolaire rendent aujourd'hui difficilement lisibles les procédures applicables aux établissements hors contrat. Nous nous rejoignons pour la plupart sur ce constat et, comme cela a été dit avant moi, il est désormais nécessaire d'harmoniser les délais d'opposition, de préciser et de renforcer les procédures de contrôle et les sanctions, lesquelles diffèrent selon chaque catégorie d'établissements.
Je remercie mes collègues sénateurs de l'Union centriste et députés UDI, Agir et Indépendants, qui ont proposé ces nouvelles dispositions.
Ce texte apporte des solutions à des difficultés sérieuses qui sont apparues sur le terrain. Je n'étais pas encore députée à ce moment-là mais j'ai suivi, comme tous les Toulousains, les multiples rebondissements qui ont entouré la fermeture de l'école coranique Al-Badr, plus de deux ans après les premiers signalements et plusieurs mois après la décision de fermeture prononcée par le tribunal. Ce dossier est véritablement un cas d'école pour les services de l'État, le rectorat, le maire, le préfet, le procureur de la République : tous se sont retrouvés désarmés face au refus d'obtempérer du directeur de l'établissement, ce qui a donné cette impression d'impuissance qu'il nous faut désormais battre en brèche.
Cet exemple le démontre : notre droit ne répond plus aux enjeux actuels, qui nécessitent une plus grande vigilance et une plus grande réactivité des autorités lorsqu'elles perçoivent une menace pour l'intégrité physique ou psychologique de nos enfants. Il n'est pas question de laisser ces derniers à la merci de discours réducteurs ou déviants. Risque de radicalisation – nous l'avons tous dit – ou d'enfermement sectaire, insalubrité, manque d'hygiène, évitement de certains savoirs, maltraitance ou lacunes pédagogiques : tous ces motifs doivent pouvoir entraîner une réaction rapide des services de l'État.
Avec 73 000 élèves, les établissements hors contrat représentent certes une proportion très faible des élèves scolarisés mais ce n'est pas pour autant que nous devons les négliger. Affirmons-le clairement : le hors contrat n'est pas hors la loi. Il fait l'objet de contrôle rigoureux et ces nouvelles dispositions, soutenues par les députés du groupe La République en marche, permettront un suivi renforcé et plus efficace.
Dans le prolongement de la proposition de loi, je voudrais aussi évoquer brièvement un autre type d'enseignement privé, qui ne se déroule pas dans des établissements mais dans les familles. Nous aurons l'occasion d'évoquer l'enseignement à domicile lors de la discussion des articles mais je souligne d'ores et déjà que son développement constitue aussi un sujet de préoccupation pour nombre d'entre nous et mérite d'autant plus notre attention qu'il peut entraîner très rapidement un isolement et un conditionnement des enfants. Monsieur le ministre, je sais que vos services sont particulièrement vigilants sur cette question mais il me semble qu'une réflexion identique à celle des établissements hors contrat pourrait s'engager sur ce point.
Enfin, je pense qu'il n'est pas inutile de s'interroger plus généralement sur le sens qu'il faut donner à cette forte progression des écoles hors contrat. Pour rappel, nous sommes passés de 800 établissements en 2010 à 1 300 à la rentrée 2017, dans un secteur qui se caractérise par sa grande diversité puisqu'il regroupe des établissements confessionnels – entre 40 et 45 % des élèves – , des établissements qui proposent des pédagogies alternatives – qui représentent la moitié des créations d'école l'année passée – et des établissements d'enseignements en langue régionale.
Faut-il s'inquiéter de cette progression ? La liberté d'enseignement est un principe fondamental et il n'est pas question de revenir dessus mais il ne faudrait pas non plus que le hors contrat devienne un refuge pour les déçus du système et nous devons nous interroger sur les besoins auxquels certains de ces établissements répondent.
L'augmentation des écoles à pédagogie alternative ne révèle-t-elle pas le besoin d'appliquer une plus grande diversité d'approches pédagogiques au sein de l'éducation nationale et d'expérimenter dès la maternelle des pédagogies centrées sur le développement des enfants ? Il me semble que c'est le souhait de votre ministère et je soutiens vivement cette évolution.
Par ailleurs, certains établissements semblent répondre à des besoins très spécifiques qui nécessitent un accompagnement à la fois plus souple et plus fort des élèves. Je pense à ceux qui offrent une solution aux décrocheurs, aux jeunes de la Protection judiciaire de la jeunesse – PJJ – ou aux migrants, en proposant par exemple un travail en atelier et un programme de cours aménagé.
Une école de production adossée à l'Institut catholique d'arts et métiers, à Toulouse, a des résultats formidables parce qu'elle adapte sa pédagogie et encadre très fortement les jeunes qui ont besoin d'autres solutions que l'école plus classique, où ils sont en échec : quasi 100 % de réussite aux examens et un fort pourcentage d'embauches, l'école étant liée à un bassin d'emploi. Ce sont des modèles à développer partout en France – et même ailleurs, éventuellement.
D'autres établissements accueillent des personnes avec un handicap physique lourd ou des troubles cognitifs trop importants pour être reçues dans un établissement classique, malgré un accueil des enfants handicapés en très net progrès ces dernières années. Je pense à l'école primaire Les Chrysalides, à Rosny-sous-Bois, créée par des enseignantes qui ont constaté les difficultés dans la prise en charge des enfants ayant des troubles spécifiques d'apprentissages tels que la dyslexie.
N'a-t-on pas intérêt à sélectionner et à soutenir certains de ces établissements lorsqu'ils présentent des solutions, même temporaires, pour nos 100 000 décrocheurs scolaires et pour les familles qui attendent parfois plus de cinq ans une place en institut médico-éducatif ?
Je me demande, avec plusieurs de mes collègues, si l'État n'a pas un rôle à jouer à la fois dans le contrôle et dans la reconnaissance de certains établissements hors contrat qui effectuent des missions d'intérêt général. C'est une piste qui me semble intéressante à étudier, dans un esprit de complémentarité des offres et d'intégration de publics encore exclus du système. J'espère, monsieur le ministre, que nous pourrons y réfléchir ensemble.
Applaudissements sur les bancs sur les bancs des groupes LaREM et MODEM.
Madame la présidente, monsieur le ministre, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, très attachée à l'enseignement public que j'ai fréquenté en tant qu'élève, dans lequel j'ai exercé en tant qu'enseignante et, enfin, où, en tant que parent, j'ai scolarisé mes enfants, je suis néanmoins tout autant attachée au principe de liberté de l'enseignement auquel souscrivent les établissements scolaires hors contrat qui font l'objet de cette proposition de loi.
Nous parlons ici de liberté, de liberté d'enseigner – qui est un droit constitutionnel – de liberté d'installation, de liberté de fonctionnement, de liberté de financement. Mais attention, ces libertés doivent garantir un droit, celui que nous devons à l'enfance et la jeunesse.
Face à des phénomènes de radicalisation religieuse, de sectarisme, d'amateurisme ou d'insuffisance pédagogique, il s'avère que l'inadéquation et la dangerosité des dispositions actuelles sont patentes et que la loi doit changer pour en tenir compte. Aussi, comme le soulignait déjà le Nouveau dictionnaire de pédagogie et d'instruction primaire publié sous la direction de Ferdinand Buisson dans son édition de 1911 : « Il n'y a pas à hésiter : le seul sens raisonnable du mot de liberté, ici comme en tout autre domaine, c'est l'exercice d'un droit qui a pour limite le droit d'autrui, la société restant le juge et le garant du respect réciproque de cette limite de part et d'autre. Il est donc non seulement légitime mais nécessaire que l'État intervienne pour s'assurer que celui qui réclame la liberté d'enseigner n'a pas tout simplement l'intention d'exploiter l'enfant avec le concours de l'indifférence ou de l'ignorance des familles. Chacun est libre d'enseigner mais à condition de remplir les obligations, de fournir les garanties, les preuves de capacité et de moralité que la société considère comme le minimum des précautions à exiger, sous peine de livrer l'enfance ou la jeunesse à des imposteurs. » Le texte, je le répète, date de 1911 !
Voilà, mesdames et messieurs, ce qui justifie la nécessité de légiférer aujourd'hui, avec pour objectif de mieux concilier liberté et protection : il s'agit de simplifier et de mieux encadrer l'ouverture des établissements privés hors contrat, de s'assurer a posteriori du respect du projet d'établissement et de ce que l'enseignement vise bien pour les élèves l'acquisition progressive du socle commun de compétences, de connaissances et de culture – il convient en effet de distinguer les établissements intégristes radicalisés, dont les valeurs seraient contraires à celles de la République ; il est nécessaire d'en protéger nos enfants, ce que cette loi permettra de faire.
La proposition de loi visant à simplifier et mieux encadrer le régime d'ouverture et de contrôle des établissements privés hors contrats ne vise pas à empêcher la création d'écoles alternatives qui mettent l'accent sur l'épanouissement de l'élève, son autonomie, sa relation avec les autres. Ces écoles qui prônent des pédagogies différentes telles que Montessori ou Freinet, par exemple, sont souvent sources d'innovation et d'inspiration pour l'école publique. Nous pouvons même remarquer que certaines d'entre elles se créent en concertation avec les élus dans des zones rurales, qu'elles contribuent à revitaliser en suscitant l'installation de nouvelles familles.
Je voudrais souligner que l'application de cette loi devra prendre en compte la spécificité des réseaux d'écoles associatives d'enseignement bilingue. Ils appartiennent à l'Institut supérieur des langues de la République française : Diwan en Bretagne, Seaska au pays Basque, Bressola et Calandreta en Occitanie, ABCM en Alsace-Moselle. Ce sont des réseaux établis, reconnus par l'éducation nationale, qui se conforment au code de l'éducation. Garants d'un patrimoine culturel, ils contribuent à maintenir sur notre territoire la richesse des langues régionales et leur attractivité appelle régulièrement l'ouverture de nouveaux établissements.
Simplifier et mieux encadrer le régime d'ouverture et de contrôle des établissements privés hors contrat implique de trouver le juste équilibre entre protection des enfants et liberté d'ouvrir une école. Oui, il faut de la liberté mais aussi des exigences : liberté d'ouvrir une école avec une expérience de cinq ans dans le domaine de l'enseignement, de la direction ou de l'éducation, liberté de constituer une équipe pédagogique mais d'un niveau équivalent à celui exigé a minima dans l'enseignement public, liberté du projet d'établissement, oui, mais sans oublier l'acquisition progressive du socle commun, liberté d'organisation oui, en respectant l'obligation scolaire, liberté de financement, oui, avec transparence des sources.
Oui, je suis attachée à cette liberté de l'enseignement et à la liberté fondamentale des parents d'inscrire leurs enfants dans l'école de leur choix…
… que cette proposition de loi ne remet pas en question. Elle met de la cohérence en homogénéisant les règles d'ouverture, elle ajoute de la prudence en s'attachant à la qualité des personnels et aux acquisitions des élèves, elle apporte les balises indispensables pour garantir que l'établissement auquel les familles pourraient décider de confier leurs enfants s'inscrit effectivement dans une dynamique d'enseignement et de respect des valeurs républicaines.
Applaudissements sur les bancs des groupes LaREM et MODEM.
Madame la présidente, mesdames et messieurs les députés, je serai très bref puisque beaucoup de choses ont déjà été dites et que nous devons maintenant débattre.
Je remercie les orateurs qui se sont succédé, assez nombreux pour soutenir la proposition de loi en l'état. Les uns et les autres ont souligné les qualités du texte qui vous est présenté ce soir. Je voudrais les résumer, telles que vous les avez exprimées à la tribune.
Qualité d'équilibre, tout d'abord – c'est un point important – , qualité de conformité avec la Constitution – en tout cas de vigilance de ce point de vue-là – donc d'efficacité, notamment dans le temps, ce qui est essentiel. Je pense à la rentrée prochaine que nous devons d'ores et déjà préparer.
Je ne pourrai pas répondre de façon détaillée à ceux qui se sont montrés plus critiques à la tribune. Dès les premiers discours, j'ai à nouveau ressenti l'étrange paradoxe qu'il y a à être accusé de mettre en péril l'éducation alors qu'il s'agit pratiquement du premier texte discuté sur cette question depuis 1913. Je pense que l'on pourrait plutôt souligner notre initiative, qui prend à bras-le-corps un problème qui, n'en déplaise à certains, ne l'a pas été jusqu'à présent.
Pour ceux qui, ensuite, nous reprocheraient d'aller trop loin, je soulignerai cet autre paradoxe qui consisterait à faciliter l'existence d'écoles extrémistes, complices de la radicalisation religieuse en particulier, alors que la plupart d'entre vous le déplore.
Par ailleurs, il est évident qu'une loi ne peut pas tout. Là encore, j'ai entendu des reproches auxquels je voudrais apporter un certain nombre d'éléments de réponse.
S'agissant du périscolaire, dont il a été question, il est évident que le droit d'association fait l'objet d'un certain nombre d'abus et qu'il existe aujourd'hui des phénomènes associatifs particulièrement inquiétants. Cette loi ne résoudra pas tous les problèmes, je le confesse volontiers. D'autres lois suivront, et nous apporterons des réponses multiformes à ces difficultés multiformes.
De même, plusieurs d'entre vous ont demandé à juste titre un renforcement des contrôles. Je répète que ce point ne relève pas nécessairement de la loi, mais bien souvent de l'organisation administrative. J'ai pris l'engagement de réorganiser les rectorats dans ce but et je répète que nous nous organiserons pour exercer davantage de contrôles. J'accède par ailleurs bien volontiers à la demande de Mme la députée Annie Genevard et je reviendrai devant vous aussi régulièrement que nécessaire pour vous faire part de notre action concrète en la matière.
Je le ferai bien volontiers, parce que c'est avec beaucoup de sincérité que j'ai l'intention d'entrer dans une nouvelle phase pour mettre fin, une fois pour toutes, à ces phénomènes inacceptables. Nous ne commettrons aucun abus, mais nous ne serons pas non plus impuissants. Nous garantirons le respect complet de la liberté d'enseignement, mais nous entrons dans une époque où la naïveté n'est plus de mise, et nous saurons empêcher ce qui doit l'être. Cet équilibre, nombre d'entre vous l'ont souligné, et je les en remercie de nouveau.
Ce que je souhaite, maintenant, c'est que nous réussissions, grâce au débat parlementaire, non seulement à avancer dans la discussion de cette proposition de loi, mais aussi à éclairer – et je suis à votre disposition pour cela – tout ce qui ne relève pas nécessairement de la rédaction de la loi, mais de l'esprit de la loi.
Applaudissements sur les bancs du groupe LaREM et sur quelques bancs du groupe sur MODEM.
Rappel au règlement
Madame la présidente, je souhaite vous demander une brève suspension de séance, non pas pour allonger les débats, mais pour comprendre comment ceux-ci vont se dérouler. En effet, nous avons besoin de savoir si nous allons terminer l'examen du texte ce soir.
Par ailleurs, il existe une erreur rédactionnelle dans le texte qui a été voté au Sénat. Nous aimerions savoir si l'amendement qui a été déposé pour revenir sur cette erreur va être adopté, ou non. Si tel est le cas, le texte ne sera pas conforme, et nous devons savoir à quoi nous en tenir.
Je vous demande donc une brève suspension de séance, afin d'échanger sur ce sujet, y compris avec M. le ministre. Notre but n'est pas d'empêcher le dialogue, car le sujet est trop important, mais nous voulons savoir comment va s'organiser notre travail, ce soir et, éventuellement, demain.
Suspension et reprise de la séance
La séance, suspendue le jeudi 29 mars 2018 à zéro heure quinze, est reprise à zéro heure vingt.
J'appelle maintenant, dans le texte de la commission, les articles de la proposition de loi.
La parole est à Mme Cécile Rilhac, première oratrice inscrite sur l'article.
Madame la présidente, monsieur le ministre de l'éducation nationale, nous sommes tous attachés à la liberté de l'enseignement, à la liberté pédagogique et au fait que des pédagogies alternatives soient proposées pour permettre à chaque enfant de s'épanouir. Je pense en particulier aux enfants qui ont des difficultés et qui, pour diverses raisons, ont du mal à s'intégrer à notre système scolaire.
Cet article, comme cela a déjà été rappelé à maintes reprises, définit clairement les conditions d'ouverture et de direction des établissements privés hors contrat. Certains s'inquiètent des conditions d'autorisation d'ouverture de ces écoles, qui risqueraient selon eux de mettre en péril nos valeurs républicaines. Je tiens à les rassurer : nous sommes attachés aux valeurs républicaines et nous sommes attachés à ce que ces valeurs soient respectées dans ces établissements scolaires. Je rappelle que nous sommes dans un État de droit. Il est donc de notre devoir, en tant que parlementaires, de veiller au respect du droit de chacun et au respect du droit constitutionnel, dont la liberté d'enseignement fait partie.
Cet après-midi, au cours de la séance de questions au Gouvernement, notre collègue du Val-d'Oise, François Pupponi, vous a interpellé, monsieur le ministre, sur la protection des enfants dans certains établissements. Or l'article 1er de cette proposition de loi précise justement que la protection de l'enfance est l'un des critères préalables à l'ouverture de ces écoles privées hors contrat. Je vous rassure, monsieur Pupponi : nous veillons à ce que l'ordre républicain soit une réalité pour tous nos élèves, dans le public comme dans le privé. Nous veillons à ce qu'ils soient protégés des tentations des extrémistes, quelles qu'elles soient et d'où qu'elles proviennent.
Cet article vise tout simplement à uniformiser les conditions d'ouverture de ces établissements. L'un de nos objectifs essentiels, pour cette législature, est de simplifier et de rendre intelligible et cohérent ce qui ne l'était pas, ou ne l'était plus. C'est pour cette raison que nous voterons cet article.
Applaudissements sur quelques bancs du groupe LaREM.
Au cours des dernières années, le comportement des familles vis-à-vis de la scolarisation a évolué. Le développement de l'enseignement privé hors contrat n'est pas seulement la conséquence de la limitation de l'enseignement privé sous contrat. Il témoigne aussi d'une réelle volonté des familles de placer leurs enfants dans ce type d'écoles.
Si certaines dispositions de l'article 1er, notamment le renforcement du contrôle au moment de l'ouverture des écoles et après celle-ci, vont améliorer les choses pour l'enseignement privé hors contrat, en revanche, il ne règle pas le problème de la scolarisation à domicile.
Or, étant donné les motivations inquiétantes qui poussent certaines familles à rejoindre le privé hors contrat, le renforcement du contrôle sur ce dernier, que nous souhaitons tous, risque d'amplifier le phénomène de la scolarisation à domicile, voire de favoriser la création de véritables écoles à domicile. Il me semble donc absolument nécessaire de prolonger le travail que nous menons actuellement sur les écoles hors contrat par un travail sur la scolarisation à domicile.
Applaudissements sur les bancs du groupe LaREM.
Les bras m'en tombent ! Vous reconnaissez vous-même que cette proposition de loi risque d'aggraver un problème que nous connaissons tous, celui des écoles non déclarées, qui se sont ouvertes en toute illégalité et qui continuent de fonctionner depuis des années – j'en connais un certain nombre. Votre texte ne s'attaque pas à ce phénomène gravissime !
Vous renforcez le contrôle des écoles déclarées, certes, mais que font les réseaux auxquels nous voulons nous attaquer ? Ils ouvrent des écoles sans les déclarer !
Ils accueillent au sein de leurs associations des enfants qui sont officiellement déscolarisés par leurs parents, sans faire aucune déclaration.
Votre texte ne prévoit pas d'aggraver les sanctions et de durcir les conditions de fermeture des écoles non déclarées. Or ce sont les situations les plus graves, puisque ces écoles échappent à tout contrôle ! Dans ma circonscription, une école non déclarée a ouvert il y a huit ans. J'ai saisi le Premier ministre, le ministre de l'éducation nationale, le procureur… tout le monde ! Et on me répond à chaque fois que c'est compliqué, qu'il faut aller voir ce qui se passe… Résultat, cette école non déclarée existe toujours et, tous les matins, des enfants s'y rendent.
Tout le monde sait que c'est cela, le problème ! Vous dites vous-même que c'est un vrai problème, mais vous repoussez la solution à plus tard… La déscolarisation des enfants est un phénomène de plus en plus fréquent dans toutes les villes. Les parents sortent les enfants de l'école en prétendant qu'ils vont les scolariser à la maison et, en réalité, ils les confient à des associations, en toute illégalité. Puisque ce texte n'aborde pas ce problème, nous devrons y revenir et légiférer de nouveau, non seulement sur les écoles hors contrat, mais aussi sur les écoles « de fait ».
Cette proposition de loi porte sur les écoles hors contrat. Le problème, c'est qu'avant d'avoir un contrat, on n'en a pas – et cette situation peut durer plusieurs années. Je pense par exemple au réseau d'écoles enseignant en langue régionale ou aux écoles Montessori, que notre collègue Jacqueline Dubois a évoqués. Ces écoles ont vocation à être sous contrat et souhaitent que tel soit le cas. Souvent, d'ailleurs, elles satisfont toutes les conditions requises – sauf une, la durée d'exercice, puisqu'elles doivent généralement attendre jusqu'à cinq ans avant de pouvoir être liées par un contrat. Ce que je crains, c'est que cette proposition de loi aggrave la situation de ces écoles et qu'elle complique les conditions de leur ouverture, ce qui serait tout de même embêtant.
Le problème de cette proposition de loi, c'est qu'elle ne fait aucune différence entre les écoles qui respectent toutes les conditions pour obtenir un contrat dans l'éducation nationale, qui souhaitent en obtenir un, mais qui ne l'ont pas encore obtenu, et les écoles qui sont hors contrat par choix, parce qu'elles préfèrent avoir davantage de liberté – une liberté qui peut parfois nuire aux enfants. Ce sont là deux types d'écoles bien différents. J'aimerais que M. le ministre nous expose les moyens qui existent pour résoudre cette difficulté.
Si le contrôle est un excellent marteau, il ne faut pas, au prétexte que nous disposons du meilleur marteau au monde, penser que tous les problèmes sont des clous. En l'occurrence, je ne suis pas certain que nous ayons choisi le moyen le plus efficace pour atteindre les objectifs que nous nous sommes fixés.
Par ailleurs, un vrai problème se pose avec l'école publique. Pourquoi certaines familles – qui ne sont pas toutes radicalisées – désinscrivent-elles progressivement leurs enfants ? L'école publique est bien en crise.
De même, cette proposition de loi ne traite ni du soutien scolaire, qui en réalité sert de paravent à la création d'écoles de fait, ni de la scolarisation à domicile.
Par conséquent, même si cet article 1er tente de mieux encadrer l'ouverture d'établissements sans pour autant empiéter sur la liberté d'enseignement, il ne parvient pas à véritablement traiter le sujet – qui, il est vrai, dépasse de loin celui des seules écoles hors contrat – l'endoctrinement à une idéologie qui envahit également des lieux de culte ainsi que des pans entiers de la société. C'est à cela que nous nous attaquons et à quoi nous devons apporter une réponse globale.
Voilà pourquoi je me félicite du fait que cette proposition de loi ne procède pas par généralisation pour résoudre un problème minoritaire, celui posé par certaines écoles musulmanes – car tel est le véritable sujet. Il risquerait, dans le cas contraire, d'affecter d'autres écoles qui fonctionnent très bien et qui contribuent grandement à la richesse éducative et pédagogique de notre système éducatif.
En même temps – expression à la mode – , je souhaite que nous abordions frontalement le coeur du sujet et qu'au lieu de voter des lois, l'État se donne les moyens d'intervenir. Pour cela, comme l'a très bien dit notre collègue François Pupponi, il suffirait simplement d'appliquer la loi. Notre arsenal juridique est à mon avis largement suffisant si les préfets, la police et l'éducation nationale veulent intervenir.
Dans le contexte actuel de radicalisation, nous sommes tous partisans de mieux contrôler l'ouverture d'écoles privées hors contrat. Et c'est bien ce à quoi tend l'article 1er en maintenant le système déclaratif tout en instaurant un guichet unique, celui-ci a le mérite de simplifier la procédure d'ouverture tout en la sécurisant. Il offre en outre, grâce à un inventaire très précis des pièces constitutives du dossier d'ouverture, une nouvelle sécurité juridique. L'État pourra, le cas échéant, s'opposer, pour un motif d'ordre public, de protection de l'enfance ou de brevet de capacité, à la nomination ou au changement d'un directeur.
Monsieur le ministre, vous avez insisté sur votre volonté de garantir la protection des enfants sur tout le territoire de la République, objectif que le groupe Les Républicains partage évidemment. Tout en renforçant la liberté d'enseignement ainsi que la liberté pédagogique, les valeurs de la République doivent en effet rester, pour tous nos concitoyens, y compris dans les établissements scolaires visés, un socle indispensable.
La rédaction de l'article 1er adoptée par le Sénat me semblait équilibrée. Aussi voterai-je en faveur de l'amendement du Gouvernement visant à la rétablir.
Débattre du régime juridique applicable aux établissements hors contrat commande de rappeler un principe simple mais fondamental : la liberté, pour les parents, de choisir le mode d'instruction pour leurs enfants. Ce serait donc méconnaître le sujet, voire commettre une faute morale que de traiter ces établissements scolaires comme des structures ennemies et par principe suspectes, ou même seulement de ne les appréhender que de façon globale, sans prendre en compte la diversité des structures éducatives concernées.
En effet, il faut considérer l'enseignement privé hors contrat comme un complément utile du service public de l'enseignement et de l'enseignement privé sous contrat.
Il faut surtout, dans ce domaine comme dans bien d'autres, regarder les réalités en face : si les conditions tenant à la nationalité et aux diplômes prévues à l'article 1er sont, certes, intéressantes, seuls certains établissements, bien spécifiques, posent problème.
Enseignants et élèves voilées, apprentissage du Coran et éducation islamique remplaçant les sciences, l'histoire et la géographie : telle est, dans bon nombre de ces établissements, la dramatique réalité.
Alors, oui, mes chers collègues, il est impératif de renforcer la surveillance et, éventuellement, de fermer les établissements qui bafouent nos principes fondamentaux, comme l'égalité entre les hommes et les femmes.
Prenons cependant garde à ne pas rendre suspect l'ensemble de l'enseignement hors contrat : les nombreuses écoles laïques ou chrétiennes, qui respectent parfaitement nos principes, ne doivent en aucun cas être stigmatisées.
Je suis, comme une grande partie d'entre nous, attaché à la liberté d'enseignement, qui est un principe de valeur constitutionnelle tout autant qu'un des fondements de notre État de droit.
Cela étant, je ne vois aucune objection à améliorer l'encadrement des établissements d'enseignement hors contrat. C'est l'un des objectifs de cette proposition de loi, dont le guichet unique est un élément important. Je me réjouis du maintien d'un système déclaratif qui ne remet pas en cause la liberté d'enseignement. Il convient en effet d'éviter de passer l'enseignement hors contrat au laminoir du contexte actuel.
Je veux insister sur la pédagogie : elle se développe parfois, dans certains établissements, de façon fort intéressante et répond également – parce qu'elle coïncide avec les besoins de leurs enfants – aux attentes de certains parents. J'ai évidemment un profond respect pour l'enseignement public, mais on peut s'interroger sur les insuffisances qui y sont parfois constatées, en particulier le fait que la singularité des élèves n'y est pas toujours bien prise en compte.
Ce sont ces besoins que je voudrais ce soir mettre en avant, au cours d'un débat plutôt consensuel mais qui doit nous permettre, au-delà de la réponse précise qui sera donnée par le vote sur la proposition de loi, d'ouvrir un peu la porte et de nous interroger, de façon plus générale, sur le système éducatif français.
J'entends bien que l'école publique a des insuffisances. Qu'attendons-nous donc pour donner des moyens à notre belle école publique ?
Ce n'est pas qu'une question de moyens : les approches sont différentes !
Qu'attendons-nous pour placer sur un pied d'égalité les écoles publiques et les écoles privées ?
Dans ma circonscription, certaines classes vont fermer. Je suis allée à la rencontre des parents concernés : certains d'entre eux – parce qu'ils peuvent se le permettre – ont d'ores et déjà inscrits leurs enfants à l'école privée et versé un acompte sur les frais de scolarité, non par choix de l'enseignement qu'elle dispense, mais pour être sûr que leur enfant y sera accueilli dans une classe à effectif réduit.
N'opposons donc pas le privé et le public : certains parents choisissent le premier par choix, et d'autres parce qu'on leur dit que l'école publique a des insuffisances. Il est hors de question de pouvoir supporter de tels propos : notre école publique a droit – elle le mérite – à des moyens suffisants en vue d'éduquer nos enfants de la même manière. Cela s'appelle l'égalité des chances.
Nous en venons aux amendements à l'article. La parole est à Mme Sabine Rubin, pour soutenir l'amendement no 19 .
Ce premier amendement porte sur l'un des points clés du débat : il propose en effet de soumettre l'ouverture d'une école non plus à un régime de déclaration – avec un accord et un contrôle s'opérant a posteriori – mais à un régime d'autorisation.
Je suis franchement très surprise qu'une école puisse ouvrir si facilement. Comme je l'ai dit en commission, il est plus difficile d'installer une véranda que d'ouvrir une école.
Sourires.
C'est d'ailleurs la raison pour laquelle la loi du 27 janvier 2017 relative à l'égalité et à la citoyenneté a prévu d'instituer un régime d'autorisation. J'entends déjà les arguments qui vont m'être opposés, mais si le Conseil constitutionnel a retoqué cette disposition, c'est pour des raisons de forme, et non de fond. Selon lui, en effet, il revenait au législateur – c'est-à-dire à nous-mêmes – de mieux préciser les finalités des mesures susceptibles d'être prises par voie d'ordonnance, eu égard à l'atteinte susceptible d'être portée à la liberté de l'enseignement.
L'exercice de celle-ci doit, en outre, respecter l'égal accès à l'instruction, ces deux principes devant être conciliés. En outre, le régime d'autorisation ne porte aucunement atteinte à cette même liberté : il permet tout simplement que celle-ci s'exerce sous le contrôle de l'État républicain en qui vous nous demandez d'ailleurs sans cesse d'avoir confiance. C'est ce que nous ferons en l'occurrence.
Comme vous l'avez dit, chère collègue, il s'agit d'un sujet important. Il l'est tellement qu'il va à l'encontre de la logique de la proposition de loi. On ne peut substituer à l'actuel régime de déclaration un régime d'autorisation : la commission est donc évidemment défavorable à l'amendement.
Il existe deux principales raisons de s'opposer à cet amendement. Premièrement, comme j'ai déjà eu l'occasion de le dire, nous nous situons, avec cette proposition de loi, dans une logique d'équilibre.
Même s'il ne nous est pas possible de préjuger ce qu'en dirait le Conseil constitutionnel – vous avez eu raison de le souligner, madame la députée – , opter pour un régime d'autorisation poserait néanmoins toute une série de problèmes.
Je suis d'ailleurs quelque peu étonné de voir à quel point l'alignement sur le système concordataire semble, tant au Sénat qu'à l'Assemblée, représenter un modèle pour certains parlementaires.
Quoi qu'il en soit, nous sommes parvenus à un système équilibré, et dont vous semblez admettre qu'il va dans la bonne direction, même s'il ne va pas assez loin à vos yeux.
Donnons-nous toutefois le temps de voir cette loi appliquée : nous verrons bien si elle permet ou non d'atteindre les objectifs que nous nous fixons. Ne prenons pas le risque de l'inconstitutionnalité ni celui d'une éventuelle atteinte à la liberté de l'enseignement.
La seconde raison de s'opposer à cet amendement est qu'en l'état actuel de sa rédaction, seul le recteur pourrait s'opposer à l'ouverture d'un établissement d'enseignement privé. Il est regrettable de ne pas faire mention des trois autres autorités concernées, dont l'intervention nous semble constituer un gage d'efficacité.
Avis défavorable, donc.
S'agissant du concordat, si nous souhaitons l'abroger, nous voulons cependant en conserver les aspects les plus positifs, dont ce régime d'autorisation fait partie. On prend ce qu'il y a de meilleur !
Je ne comprends pas ce qui vous permet de conclure que le régime d'autorisation proposé porterait atteinte à la liberté de l'enseignement. Je n'ai entendu aucun argument en ce sens.
En outre, et j'insiste sur ce point, en regard de la liberté d'enseignement se trouve l'égal accès de tous à l'instruction, un principe dont le respect pourrait être garanti par l'État en la personne du recteur.
Applaudissements sur les bancs du groupe FI.
L'amendement no 19 n'est pas adopté.
Cet amendement vise à revenir à la rédaction de la proposition de loi dans sa version adoptée par le Sénat en supprimant les dispositions insérées à la suite de l'adoption, en commission, de l'amendement de Mme la députée Brigitte Kuster destiné à étendre le régime d'interdiction aux individus figurant dans le fichier des personnes recherchées. L'amendement no 1 , que Mme Kuster présentera ici-même dans quelques instants, vise quant à lui à limiter l'interdiction aux seules personnes fichées S, tandis qu'un autre amendement prévoit d'interdire à cette catégorie de personnes l'exercice de toute fonction au sein d'un établissement hors contrat.
Au total, neuf amendements ont été déposés sur cette proposition de loi en vue d'interdire à une personne fichée « S » ou à une personne déjà ciblée par la justice pour des faits de terrorisme ou de violences sur mineurs – en particulier de violences sexuelles – de travailler dans un établissement scolaire.
Je réponds ici globalement à l'ensemble de ces amendements, car ils traduisent une crainte légitime qu'évidemment nous partageons tous. Mesdames et messieurs les députés, je le dis clairement devant vous : ils sont en réalité satisfaits par la proposition de loi que nous examinons aujourd'hui.
Ils le sont notamment par la création d'un guichet unique, qui regroupe – j'insiste à nouveau sur ce point – quatre autorités administratives : le maire, le préfet, l'autorité académique et le procureur de la République.
Il le sont en outre parce la proposition de loi modernise et élargit les motifs d'opposition à l'ouverture d'un établissement.
Les anciens motifs d'opposition sont devenus désuets – notamment l'hygiène et les bonnes moeurs. Nous disposerons désormais des motifs d'ordre public et de protection de la jeunesse. Bien entendu, ces motifs permettront de s'opposer à ce qu'un établissement soit dirigé par une personne suspecte de radicalisme.
Je tiens à signaler au passage que nous avons été capables de procéder à la radiation de professeurs à ce motif.
Enfin, les objectifs de l'amendement sont satisfaits par la possibilité qui est offerte de s'opposer a priori à l'ouverture d'un établissement hors contrat, c'est-à-dire avant même qu'il n'ouvre. Grâce à ce texte, les autorités administratives disposeront de motifs d'opposition puissants, notamment la protection de la jeunesse et l'ordre public.
Je voudrais insister sur cette dernière notion. Selon une jurisprudence administrative constante, elle recouvre le triptyque traditionnel sécuritésalubritétranquillité publique, auquel la jurisprudence a ajouté, plus récemment, le principe de respect de la dignité de la personne humaine. La sécurité renvoie à la protection des personnes et des biens contre les troubles divers qui pourraient les affecter. Un comportement violent ou déviant de la personne qui entend diriger un établissement, que la consultation d'un fichier révélerait, pourrait assurément justifier une opposition à l'ouverture dudit établissement. C'est un autre engagement que je prends s'agissant de l'application de la loi.
Le motif d'opposition relatif à l'ordre public peut paraître vague, mais il est en réalité puissant et vaste. Aujourd'hui, les administrations ne peuvent pas s'appuyer sur ce motif pour fermer un établissement ou l'empêcher d'ouvrir ; or il est évident que l'hygiène ou les bonnes moeurs ne suffisent pas. L'ordre public et la protection de la jeunesse leur permettront de le faire. Ce texte de loi donnera ainsi une véritable arme juridique aux administrations compétentes.
Concrètement, il y aura un contrôle des personnes souhaitant diriger un établissement. Une personne désireuse d'ouvrir un établissement déposera un dossier auprès du guichet unique, à savoir l'autorité académique, chargée de la transmettre aux trois autres administrations. Ces quatre administrations disposeront d'un délai de trois mois pour s'opposer à l'ouverture de l'établissement. Au cours de ces trois mois, les administrations pourront réaliser les vérifications suivantes : le procureur de la République pourra consulter le fichier des personnes recherchées ; le procureur de la République, les services académiques et les services préfectoraux pourront consulter directement le fichier judiciaire automatisé des auteurs d'infractions sexuelles ou violentes ; les services académiques et les services préfectoraux pourront obtenir la délivrance du bulletin no 2 du casier judiciaire d'une personne en vue de l'ouverture d'une école privée, en application du 1° de l'article 776 du code de procédure pénale. L'autorité judiciaire a bien entendu elle aussi accès aux informations du casier judiciaire.
Si, dans le cadre de ces recherches, des antécédents judiciaires ou des décisions administratives ayant conduit à inscrire ces personnes dans le fichier des personnes recherchées sont contraires à l'ordre public ou à la protection de la jeunesse, les quatre autorités administratives pourront s'opposer à l'ouverture d'un établissement. Telle est bien évidemment la consigne que je donnerai aux recteurs.
Mesdames et messieurs les députés, je préfère l'efficacité à l'apparence. Nous ne pouvons pas nous rassurer avec de simples mots ajoutés dans la loi – et qui, de plus, nous feraient courir des risques juridiques. Il vaut mieux des faits concrets que des apparences. C'est pourquoi cet outil juridique nous sera utile pour lutter contre les phénomènes de radicalisation tels qu'ils se matérialisent par la création d'écoles hors contrat. Et c'est pourquoi je défends le présent amendement, qui revient sur l'amendement qui avait été adopté en commission ; je pense que c'est ce qui sera efficace pour atteindre l'objectif que nous nous sommes fixé.
Applaudissements sur les bancs des groupes LaREM et MODEM.
Il s'agit là d'un sujet qui nous a occupés la semaine dernière en commission – légitimement, d'ailleurs. C'est une question que l'on pouvait légitimement se poser ; comme nous partagions tous la volonté de garantir la protection de la jeunesse, il convenait de vérifier que la notion d'ordre public permettait de le faire.
Nous avons là une rédaction qui va dans le bon sens. La consultation du fichier des personnes recherchées ouvrirait un champ qui serait beaucoup trop vaste. De surcroît, les explications de M. le ministre confortent l'avis favorable qu'a émis la commission sur l'amendement. Il est préférable de revenir à la rédaction du Sénat.
Il faut faire confiance à nos administrations : elles pourront s'appuyer sur le motif de l'ordre public pour mener à bien toutes les investigations relatives à la présence de porteurs de projets ou directeurs d'école dans un de ces fichiers, et donc empêcher les personnes soupçonnées de radicalisation ou d'avoir participé à des actions terroristes ou encore les personnes ciblées pour des faits de violence sur mineur d'ouvrir des établissements hors contrat.
De plus, le 23 février dernier, le Premier ministre a réuni un comité interministériel afin de présenter le nouveau plan national de prévention de la radicalisation. Ce plan vise, entre autres, à renforcer la prévention à l'école, et plus particulièrement dans les écoles hors contrat et pour les enfants scolarisés à domicile, ainsi qu'à renforcer les relations et la communication entre les différents services.
Forts de tous ces éléments, nous sommes rassurés quant aux garanties à la fois légales et de mise en synergie des différentes administrations. Le groupe La République en marche votera pour cet amendement.
Applaudissements sur quelques bancs du groupe LaREM.
Monsieur le ministre, chère collègue, il y a là un vrai désaccord entre nous.
Personnellement, je n'ai pas de doute quant au fait que les administrations vont faire ce qu'elles peuvent, et de la meilleure des manières, pour faire en sorte que des personnes inscrites dans de tels fichiers ne puissent pas diriger des écoles hors contrat ou enseigner dedans. Néanmoins, la grande différence entre vous et nous, c'est que vous, vous dites que l'administration « peut » empêcher qu'une personne fichée S ou condamnée pour des faits de pédophilie fasse partie d'un tel établissement. Elle peut le faire – mais elle n'en a pas l'obligation. Nous, ce que nous disons, c'est qu'il ne faut pas prendre un tel risque. On ne doit même pas discuter : quelqu'un qui est inscrit dans un de ces fichiers ou qui a été condamné ne doit pas faire partie d'un tel établissement scolaire. On ne doit pas prendre le moindre risque. Or vous, vous prenez un risque, puisque l'alinéa 5 dit que l'autorité compétente de l'État en matière d'éducation, le maire, le représentant de l'État dans le département et le procureur de la République « peuvent » former opposition à l'ouverture de l'établissement en vertu du principe d'ordre public. Ils n'en ont donc pas l'obligation.
Je vais vous raconter une anecdote, monsieur le ministre : après les attentats du 13 novembre, il a été procédé à de nombreuses interpellations de personnes fichées S dans plusieurs villes françaises. Un commissaire de police m'a raconté qu'on était allé chercher l'une d'entre elles, mais qu'elle n'était pas chez elle. Or les policiers se sont aperçu à cette occasion que cette personne et son épouse, tous deux fichés « S », travaillaient dans un aéroport ! J'en ai parlé immédiatement au ministre de l'intérieur. Eh bien, on a découvert que soixante-dix personnes fichées « S » travaillaient dans les aéroports. Soixante-dix ! Cela signifie que si le contrôle existe, il est perfectible ; des erreurs peuvent être commises.
C'est pourquoi il faut inscrire ces personnes condamnées ou suspectées dans la liste des personnes interdites dans une école. L'administration n'aurait pas le choix : elle serait obligée de refuser la déclaration et l'ouverture.
Je comprends qu'il faille faire confiance aux administrations, mais là, vous prenez un risque majeur. Doit-on le prendre ? Nous, nous pensons que l'on ne doit pas prendre le moindre risque avec les enfants de notre pays.
J'ai écouté ce que vous avez dit, monsieur le ministre, et je voudrais que vous nous rassuriez.
En effet, vous avez expliqué ce que les administrations pouvaient faire, les fichiers auxquels elles pouvaient accéder. Or, pour ma part, j'aurais préféré que ce soit une obligation. Je pense, un peu comme M. Pupponi, que lorsqu'il y a ouverture d'une telle école, on doit consulter ces fichiers.
D'autre part, j'aimerais qu'il n'y ait pas de confusion. Il ne m'a pas semblé que vous ayez mentionné le fichier S – mais peut-être n'ai-je pas été assez attentif. Il m'a semblé que vous citiez des fichiers qui concernent des incriminations, c'est-à-dire des personnes qui ont commis une infraction, et qui relèvent de ce fait d'un statut particulier au regard des juridictions pénales. Or le fichier S, par définition, ne regroupe pas des personnes qui ont commis une infraction ; il concerne la sûreté de l'État. Je voudrais donc être certain qu'au titre de ce que vous appelez l'ordre public, l'une des quatre administrations – je pense qu'il s'agit du préfet – aura bien le droit d'accéder à un fichier qui recense, non pas des personnes ayant commis une infraction, mais des personnes dont la dangerosité est avérée.
Pourrait-on réfléchir à une réglementation en aval et faire en sorte qu'il s'agisse d'une obligation, de sorte que la déclaration soit faite avec le meilleur contrôle possible ?
Merci, madame la présidente, de me donner la parole sur un amendement que le Gouvernement a déposé à la suite de l'adoption en commission d'un amendement que j'avais présenté. Ce dernier amendement, cela a été dit, avait nourri un débat et été adopté contre l'avis du rapporteur. Comme tout le monde n'a pas assisté à la réunion de la commission, je voudrais rappeler comment les choses se sont passées.
Monsieur le ministre, vous avez essayé de nous rassurer en nous donnant des précisions que nous n'avions pas obtenues en commission, mais les termes que vous avez employés ne peuvent pas nous rassurer. Vous dites que vous êtes « garant », mais un ministre ne peut être « garant » que le temps qu'il est ministre, et Julien Aubert vient de souligner la nécessité de préciser vos propos concernant les différentes juridictions.
Votre amendement tend à enlever la mention des personnes figurant sur le fichier des personnes recherchées. Lors de l'examen en commission, le rapporteur avait émis un avis défavorable sur mon amendement, qui visait à empêcher un individu figurant sur le fichier des personnes recherchées d'accéder aux fonctions de directeur d'école. Il en allait de même pour les enseignants – mais cela faisait l'objet d'un autre amendement.
L'avis défavorable avait été émis pour deux raisons. La première était qu'étendre le dispositif à l'ensemble des personnes recherchées excéderait l'objectif visé, qui est une interdiction concernant spécifiquement les personnes radicalisées ou menaçant la sûreté de l'État. D'autre part, il m'avait été expliqué que le texte comportait des garanties suffisantes pour qu'une telle situation ne puisse pas se produire. On voit bien qu'il n'en est rien.
S'agissant de la première raison, j'ai pris bonne note de la remarque du rapporteur. Je propose donc de modifier le texte, en circonscrivant l'interdiction aux individus figurant dans le fichier de traitement des signalements pour la prévention de la radicalisation à caractère terroriste – le FSPRT – ou dans le fichier pour atteinte à la sûreté de l'État.
S'agissant du deuxième point, vous estimez que le texte du Sénat interdit en pratique qu'une personne fichée au FSPRT ou « S » puisse accéder aux fonctions de directeur. Sur quoi vous fondez-vous pour le dire ? L'article 1er prévoit : « L'autorité compétente de l'État en matière d'éducation, le maire, le représentant de l'État dans le département et le procureur de la République peuvent former opposition à l'ouverture de l'établissement [… ] dans l'intérêt de l'ordre public ou de la protection de l'enfance et de la jeunesse ». Comment définir précisément cet intérêt ? Par exemple, comment le maire pourrait-il en juger alors qu'il n'a pas accès aux fichiers en question ? En dépit de l'engagement que vous venez de prendre, monsieur le ministre, comment être certain que toutes les vérifications seront faites ? D'ailleurs, les juridictions concernées sont pour le moins débordées !
En la matière, nul ne pourra jamais nous reprocher de dire les choses avec le plus de précision possible. Tel était le but de mes amendements, que vous refusez d'accepter alors qu'ils prennent encore plus de sens en ce jour. En matière de sécurité, nous devons être vigilants à tous les niveaux, et tout particulièrement s'agissant des individus en rapport avec des enfants.
Sur l'amendement no 77 , je suis saisie par le groupe Nouvelle Gauche d'une demande de scrutin public.
Le scrutin est annoncé dans l'enceinte de l'Assemblée nationale.
La parole est à M. David Habib.
Monsieur le ministre, il ne s'agit pas là d'une quelconque entrave au principe de la liberté d'enseignement, il s'agit de la recherche d'un dispositif qui nous garantisse qu'il n'y aura pas de vide juridique si quelqu'un était tenté de créer une école susceptible de mettre en cause l'idéal républicain qui nous rassemble. On a donc besoin de préciser que les autorités administratives concernées « doivent » former opposition à l'ouverture d'un tel établissement, et non qu'elles « peuvent » le faire. Il ne s'agit que d'un verbe, mais c'est fondamental.
Notre collègue Kuster a eu raison de rappeler que vous ne serez pas ministre éternellement. Il nous faut un arsenal juridique qui nous prémunisse pour le temps de la guerre qui nous oppose aux mouvements qui ont été évoqués. Nous avons donc besoin d'utiliser ce verbe : « devoir ».
Je veux dire deux choses. La première, c'est que la fiche S n'évalue pas la dangerosité de la personne. L'argument que l'on a avancé sur ce point ne me semble donc pas recevable.
Que signifie être fiché S, alors ? Vous n'avez pas confiance en ces fiches ?
Ce n'est pas ce que je dis, monsieur Habib : je rappelle seulement le motif d'une inscription sur ces fiches ; et les individus concernés ne le sont pas pour un motif de dangerosité, c'est un fait.
D'autre part, la proposition de loi, dans la version que le Gouvernement propose de rétablir, permet de s'opposer à l'ouverture de tout type d'établissement scolaire en général, et ce pour un motif d'ordre public. Je ne comprends pas comment l'on peut avoir de la défiance à l'égard de cet argument, qui me semble bien supérieur à celui qui s'appuie sur les fiches S. La possibilité d'interdire l'ouverture de tout type d'établissement pour tout motif d'ordre public répond largement aux préoccupations ici formulées.
Le groupe MODEM avait voté l'amendement de Mme Kuster en commission ; mais l'explicitation de l'étendue des motifs d'ordre public et de protection de la jeunesse nous a pleinement rassurés. Vous avez aussi parlé, monsieur le ministre, de consignes données aux recteurs, auxquels il faut faire confiance. Aussi voterons-nous l'amendement du Gouvernement.
Je veux répondre brièvement aux différents intervenants. Le débat que nous avons sur le présent amendement n'est pas de nature politique, mais juridique. Autrement dit, nous visons tous le même objectif, je crois important de le rappeler très clairement. Nul ne veut ici, cela va de soi, qu'une personne radicalisée dirige une école nouvellement créée : c'est clair, net et précis.
S'il n'y a pas de différence entre nous sur ce point, il y a, disais-je, un débat juridique, lequel renvoie à de nombreux autres que l'on a pu avoir sur les fichés S. La fiche S ne constitue pas une base juridique : elle ne résulte pas d'une décision de justice. Si je partage pleinement l'esprit de l'amendement que vous aviez déposé, madame Kuster, il exposerait la proposition de loi à un risque d'inconstitutionnalité. On ne peut jamais préjuger des décisions du Conseil constitutionnel, certes, mais sur un point comme celui-ci, la censure pour inconstitutionnalité serait à craindre.
Le motif d'ordre public, en revanche, nous permet d'intervenir. Je le ferai, d'ailleurs, par la voie d'une circulaire adressée aux recteurs. Tout soupçon de radicalisation informé, notamment en provenance du procureur – lequel a accès aux fiches S – , nous permettra d'agir en ce sens.
Tout à l'heure, j'ai indiqué que des personnels de l'éducation nationale repérés comme radicalisés ont pu être radiés récemment : cela devrait en grande partie vous rassurer quant à ma détermination totale à lutter contre ce phénomène, même lorsque c'est juridiquement plus difficile que dans le cas dont nous parlons ici. Ce dont nous parlons, par le fait, c'est tout simplement la mise en oeuvre, par les recteurs – et par les autres autorités, d'ailleurs – , du présent texte, lequel leur permettra, s'il est voté, de s'opposer à ce qu'une personne ne présentant pas les garanties suffisantes au regard de l'ordre public dirige un établissement scolaire.
C'est donc l'impératif d'efficacité juridique qui doit nous conduire à accepter le présent amendement, lequel, en réalité, participe du même esprit que celui de M. Kuster.
Il est procédé au scrutin.
Nombre de votants | 54 |
Nombre de suffrages exprimés | 51 |
Majorité absolue | 26 |
Pour l'adoption | 44 |
contre | 7 |
Prochaine séance, aujourd'hui, à neuf heures trente :
Suite de la discussion de la proposition de loi, adoptée par le Sénat, visant à simplifier et mieux encadrer le régime d'ouverture et de contrôle des établissements privés hors contrat.
La séance est levée.
La séance est levée, le jeudi 29 mars 2018, à une heure cinq.
La Directrice du service du compte rendu de la séance
de l'Assemblée nationale
Catherine Joly