Monsieur le ministre, monsieur le rapporteur, chers collègues, plusieurs strates successives d'une législation tout imprégnée de la querelle scolaire rendent aujourd'hui difficilement lisibles les procédures applicables aux établissements hors contrat. Nous nous rejoignons pour la plupart sur ce constat et, comme cela a été dit avant moi, il est désormais nécessaire d'harmoniser les délais d'opposition, de préciser et de renforcer les procédures de contrôle et les sanctions, lesquelles diffèrent selon chaque catégorie d'établissements.
Je remercie mes collègues sénateurs de l'Union centriste et députés UDI, Agir et Indépendants, qui ont proposé ces nouvelles dispositions.
Ce texte apporte des solutions à des difficultés sérieuses qui sont apparues sur le terrain. Je n'étais pas encore députée à ce moment-là mais j'ai suivi, comme tous les Toulousains, les multiples rebondissements qui ont entouré la fermeture de l'école coranique Al-Badr, plus de deux ans après les premiers signalements et plusieurs mois après la décision de fermeture prononcée par le tribunal. Ce dossier est véritablement un cas d'école pour les services de l'État, le rectorat, le maire, le préfet, le procureur de la République : tous se sont retrouvés désarmés face au refus d'obtempérer du directeur de l'établissement, ce qui a donné cette impression d'impuissance qu'il nous faut désormais battre en brèche.
Cet exemple le démontre : notre droit ne répond plus aux enjeux actuels, qui nécessitent une plus grande vigilance et une plus grande réactivité des autorités lorsqu'elles perçoivent une menace pour l'intégrité physique ou psychologique de nos enfants. Il n'est pas question de laisser ces derniers à la merci de discours réducteurs ou déviants. Risque de radicalisation – nous l'avons tous dit – ou d'enfermement sectaire, insalubrité, manque d'hygiène, évitement de certains savoirs, maltraitance ou lacunes pédagogiques : tous ces motifs doivent pouvoir entraîner une réaction rapide des services de l'État.
Avec 73 000 élèves, les établissements hors contrat représentent certes une proportion très faible des élèves scolarisés mais ce n'est pas pour autant que nous devons les négliger. Affirmons-le clairement : le hors contrat n'est pas hors la loi. Il fait l'objet de contrôle rigoureux et ces nouvelles dispositions, soutenues par les députés du groupe La République en marche, permettront un suivi renforcé et plus efficace.
Dans le prolongement de la proposition de loi, je voudrais aussi évoquer brièvement un autre type d'enseignement privé, qui ne se déroule pas dans des établissements mais dans les familles. Nous aurons l'occasion d'évoquer l'enseignement à domicile lors de la discussion des articles mais je souligne d'ores et déjà que son développement constitue aussi un sujet de préoccupation pour nombre d'entre nous et mérite d'autant plus notre attention qu'il peut entraîner très rapidement un isolement et un conditionnement des enfants. Monsieur le ministre, je sais que vos services sont particulièrement vigilants sur cette question mais il me semble qu'une réflexion identique à celle des établissements hors contrat pourrait s'engager sur ce point.
Enfin, je pense qu'il n'est pas inutile de s'interroger plus généralement sur le sens qu'il faut donner à cette forte progression des écoles hors contrat. Pour rappel, nous sommes passés de 800 établissements en 2010 à 1 300 à la rentrée 2017, dans un secteur qui se caractérise par sa grande diversité puisqu'il regroupe des établissements confessionnels – entre 40 et 45 % des élèves – , des établissements qui proposent des pédagogies alternatives – qui représentent la moitié des créations d'école l'année passée – et des établissements d'enseignements en langue régionale.
Faut-il s'inquiéter de cette progression ? La liberté d'enseignement est un principe fondamental et il n'est pas question de revenir dessus mais il ne faudrait pas non plus que le hors contrat devienne un refuge pour les déçus du système et nous devons nous interroger sur les besoins auxquels certains de ces établissements répondent.
L'augmentation des écoles à pédagogie alternative ne révèle-t-elle pas le besoin d'appliquer une plus grande diversité d'approches pédagogiques au sein de l'éducation nationale et d'expérimenter dès la maternelle des pédagogies centrées sur le développement des enfants ? Il me semble que c'est le souhait de votre ministère et je soutiens vivement cette évolution.
Par ailleurs, certains établissements semblent répondre à des besoins très spécifiques qui nécessitent un accompagnement à la fois plus souple et plus fort des élèves. Je pense à ceux qui offrent une solution aux décrocheurs, aux jeunes de la Protection judiciaire de la jeunesse – PJJ – ou aux migrants, en proposant par exemple un travail en atelier et un programme de cours aménagé.
Une école de production adossée à l'Institut catholique d'arts et métiers, à Toulouse, a des résultats formidables parce qu'elle adapte sa pédagogie et encadre très fortement les jeunes qui ont besoin d'autres solutions que l'école plus classique, où ils sont en échec : quasi 100 % de réussite aux examens et un fort pourcentage d'embauches, l'école étant liée à un bassin d'emploi. Ce sont des modèles à développer partout en France – et même ailleurs, éventuellement.
D'autres établissements accueillent des personnes avec un handicap physique lourd ou des troubles cognitifs trop importants pour être reçues dans un établissement classique, malgré un accueil des enfants handicapés en très net progrès ces dernières années. Je pense à l'école primaire Les Chrysalides, à Rosny-sous-Bois, créée par des enseignantes qui ont constaté les difficultés dans la prise en charge des enfants ayant des troubles spécifiques d'apprentissages tels que la dyslexie.
N'a-t-on pas intérêt à sélectionner et à soutenir certains de ces établissements lorsqu'ils présentent des solutions, même temporaires, pour nos 100 000 décrocheurs scolaires et pour les familles qui attendent parfois plus de cinq ans une place en institut médico-éducatif ?
Je me demande, avec plusieurs de mes collègues, si l'État n'a pas un rôle à jouer à la fois dans le contrôle et dans la reconnaissance de certains établissements hors contrat qui effectuent des missions d'intérêt général. C'est une piste qui me semble intéressante à étudier, dans un esprit de complémentarité des offres et d'intégration de publics encore exclus du système. J'espère, monsieur le ministre, que nous pourrons y réfléchir ensemble.