Intervention de Michel Zumkeller

Séance en hémicycle du mercredi 28 mars 2018 à 21h30
Régime d'ouverture et de contrôle des établissements privés hors contrat — Présentation

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaMichel Zumkeller, rapporteur de la commission des affaires culturelles et de l'éducation :

Madame la présidente, monsieur le ministre de l'éducation nationale, monsieur le président de la commission des affaires culturelles et de l'éducation, mes chers collègues, nous examinons aujourd'hui une proposition de loi adoptée par le Sénat voilà un peu plus d'un mois, le 21 février dernier, à l'initiative de Mme Françoise Gatel du groupe UDI, et qui vise à simplifier et encadrer le régime d'ouverture et de contrôle des établissements d'enseignement privés hors contrat.

Cette initiative parlementaire répond à un réel besoin de réformer le régime de déclaration des établissements d'enseignement privé. Le constat est en effet unanime : issu de lois datant de plus d'un siècle, ce régime, aujourd'hui obsolète et complexe, se caractérise par son manque de cohérence. Pour chaque catégorie d'établissement – premier degré, second degré et enseignement technique – , les conditions de déclaration, les pièces demandées et les procédures d'opposition des autorités ne sont pas les mêmes, sans que ces différences apparaissent vraiment justifiées.

Ainsi, les délais d'opposition dont disposent le maire, l'autorité académique, le préfet et le procureur à l'ouverture d'un établissement varient entre huit jours et deux mois, selon les cas, ce qui est court, en tout état de cause, et ne permet pas d'exercer un contrôle véritablement efficace. De plus, les motifs pouvant justifier une opposition sont restreints et étonnamment désuets : peut être invoqué le seul intérêt des bonnes moeurs ou de l'hygiène, voire l'ordre public pour les établissements d'enseignement technique.

Les conditions requises de la part des chefs d'établissement et des enseignants, au regard de l'âge, des diplômes et de l'expérience professionnelle, sont disparates, ce qui peut aboutir à des situations étonnantes : aucune condition, ni d'âge, ni de diplôme, ni de nationalité, n'est fixée pour les enseignants des établissements secondaires, à la différence des maternelles et des écoles ou des établissements d'enseignement technique. Aucune expérience professionnelle n'est non plus demandée pour ouvrir un établissement d'enseignement primaire. Le régime déclaratif actuel manque donc de lisibilité et de pertinence, à la fois pour les personnes porteuses de projets d'établissements et les administrations destinataires des déclarations.

Par ailleurs, le caractère restreint des motifs d'opposition à l'ouverture aboutit à ce paradoxe qu'un maire ou un préfet ne peut pas s'opposer à l'ouverture d'un établissement, quand bien même son directeur ne remplirait pas les conditions requises par la loi, par exemple parce qu'il aurait été frappé d'une interdiction définitive d'enseigner. C'est seulement une fois l'établissement ouvert que le procureur de la République peut être saisi et que le tribunal correctionnel peut prononcer la fermeture de l'établissement. Les maires et les autorités de l'État se trouvent donc désarmés et mis devant le fait accompli.

Les incohérences du dispositif actuel apparaissent avec d'autant plus d'acuité que la création d'établissements privés hors contrat est en pleine expansion depuis plusieurs années. Je rappelle, au passage, qu'un nouvel établissement privé est nécessairement hors contrat dans un premier temps, puisque, en principe, il ne peut passer contrat avec l'État qu'au bout de cinq années. Alors que l'on comptait environ 800 établissements hors contrat à la rentrée 2010, leur nombre a atteint 1 300 à la rentrée 2017, et celui des élèves qui y sont scolarisés 73 000. C'est un chiffre important, qu'il faut toutefois relativiser, puisqu'il représente environ 0,5 % de la totalité des élèves scolarisés.

Le secteur hors contrat se caractérise par sa diversité, comprenant aussi bien des établissements confessionnels, qui accueillent entre 40 % et 45 % des élèves, que des établissements proposant des pédagogies alternatives, telles Montessori ou Freinet, ou des enseignements en langue régionale.

Face au double constat du manque de lisibilité et de l'inadaptation du régime de déclaration et du dynamisme des établissements hors contrat, il faut apporter des réponses. C'est l'ambition de la présente proposition de loi.

En premier lieu, ce texte conserve le principe d'un régime de déclaration qu'il harmonise et simplifie. Les distinctions entre catégories d'établissements sont effacées et une même procédure s'applique. L'autorité académique constitue l'interlocuteur unique des porteurs de projets, et c'est elle qui transmet le dossier de déclaration aux autres autorités, soit le maire, le préfet et le procureur. La liste des pièces à fournir est, elle aussi, unifiée, mais également précisée et complétée, pour assurer que les autorités disposent de tous les éléments nécessaires pour exercer un contrôle efficace.

Toujours pour permettre un contrôle efficace, le délai d'opposition est allongé à trois mois dans tous les cas, tandis que les motifs d'opposition sont modernisés et étoffés. La notion d'ordre public est introduite, ainsi que le respect des conditions requises de la part de la personne qui déclare l'ouverture et aussi, si ce n'est pas la même, de la personne qui dirigera l'établissement. La notion de protection de l'enfance et de la jeunesse vient remplacer celle de l'hygiène et des bonnes moeurs.

Le Sénat a prévu l'obligation d'informer l'autorité académique en cas de changement d'identité du directeur d'établissement, pour éviter notamment les pratiques de prête-nom à l'ouverture des établissements. Nous avons, par ailleurs, adopté en commission un amendement déposé par Mme Kuster, qui vise à interdire à une personne figurant sur le fichier des personnes recherchées d'ouvrir un établissement. Si je partage, bien évidemment, l'objectif poursuivi par notre collègue d'assurer la meilleure protection pour nos enfants, cette disposition ne doit pas, à mon sens, être conservée. C'est pourquoi je vous proposerai d'adopter l'amendement déposé sur ce sujet par le Gouvernement.

D'un point de vue technique, l'amendement adopté fait référence au fichier des personnes recherchées, qui est très large et couvre bien plus que les seules personnes figurant sur ce que l'on appelle le « fichier S », qui était visé. Plus fondamentalement, son objet est satisfait par l'ajout, parmi les motifs d'opposition à l'ouverture d'un établissement, de l'intérêt de l'ordre public : cela permettra aux autorités, notamment au procureur, qui peut accéder à ce fichier, d'identifier les personnes concernées et, le cas échéant, de s'opposer à l'ouverture d'un établissement qui serait déclarée par une personne représentant une menace grave pour la sécurité publique ou la sûreté de l'État. D'autres amendements portant sur ce même sujet ont d'ailleurs été déposés en séance. Mon avis sera le même : il ne me semble pas utile d'aller au-delà du dispositif proposé, au risque de l'affaiblir, du fait d'incertitudes constitutionnelles.

En deuxième lieu, les conditions exigées des directeurs d'établissement et des enseignants sont harmonisées, sachant que les conditions de diplômes, de pratiques professionnelles et d'âge seront définies par décret en Conseil d'État et que des possibilités de dérogations seront ouvertes.

Enfin, au-delà du contrôle qui peut être exercé au moment de l'ouverture sur pièces, il importe d'assurer que les établissements d'enseignement puissent être efficacement inspectés lorsqu'ils sont en activité et accueillent leurs élèves. Comme le montrent les travaux de notre collègue sénatrice Annick Billon, ces contrôles sont aujourd'hui insuffisants, du fait des contraintes pesant sur les moyens d'inspection et parce que le contrôle des établissements hors contrat n'avait pas été identifié comme une priorité jusqu'à récemment. Le texte qui nous est proposé pose le principe d'un contrôle dès la première année d'exercice de l'établissement. M. le ministre s'est engagé à ce que les moyens nécessaires soient mobilisés pour atteindre cet objectif. Le texte prévoit aussi que les noms et les titres des enseignants seront transmis chaque année à l'autorité académique, pour procéder aux vérifications nécessaires. Il multiplie également par quatre l'amende applicable lorsqu'un chef d'établissement s'oppose à une inspection, et il supprime la condition de récidive pour prononcer la fermeture de l'établissement dans un tel cas.

Voilà, rapidement dessinées, les grandes lignes de la proposition de loi qui nous est proposée et que je vous invite, évidemment, à adopter. Ce texte aboutit, à notre sens, à un bon équilibre, en ce qu'il améliore et simplifie le régime actuel de déclaration – ce qui est souhaitable tant pour les porteurs de projets que pour les administrations – , tout en renforçant la portée des contrôles. Il est très attendu par les services concernés, notamment par les services académiques. Il importe qu'il puisse s'appliquer dès la rentrée 2018-2019, afin de leur donner les outils adaptés pour exercer un contrôle efficace sur les établissements d'enseignement hors contrat, à leur ouverture mais aussi en cours d'activité.

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