Intervention de Christophe Naegelen

Séance en hémicycle du mercredi 28 mars 2018 à 21h30
Régime d'ouverture et de contrôle des établissements privés hors contrat — Discussion générale

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaChristophe Naegelen :

Madame la présidente, monsieur le rapporteur, monsieur le ministre, mes chers collègues, la représentation nationale est appelée aujourd'hui à se prononcer sur une proposition de loi adoptée par nos collègues sénateurs et visant à simplifier et mieux encadrer le régime d'ouverture et de contrôle des établissements privés hors contrat. En matière d'éducation, nous sommes convaincus que la liberté doit être à la fois la valeur cardinale et le principe qui doit guider notre action.

Au nom de mon groupe, je tiens d'abord à réaffirmer notre profond attachement à la liberté d'enseignement, principe à valeur constitutionnelle qui consacre le droit des parents de choisir librement l'instruction qu'ils désirent donner à leurs enfants. Il s'agit d'un principe fondamental reconnu par les lois de la République, sur lequel nous ne saurions revenir.

Aux côtés du service public de l'éducation, l'enseignement privé doit en effet conserver toute la place qui est légitimement la sienne. Notre intention n'est donc pas de faire le procès de l'école libre, ni de rejouer la guerre des deux écoles, entre public et privé. Nous croyons que, dans le cadre d'une société démocratique, attachée au pluralisme idéologique et au respect des minorités, il n'est pas possible d'imposer un modèle éducatif unique.

Il faut au contraire souligner et saluer la diversité et la grande richesse de l'enseignement privé, notamment hors contrat. Je pense ainsi aux établissements de type Montessori, tels qu'on peut en trouver dans les Vosges, à Vecoux ou au Girmont-Val-d'Ajol, qui offrent des pédagogies alternatives à nos enfants. Nous pouvons également citer l'action des établissements privés Espérance Banlieues dans les quartiers défavorisés, où chaque début de journée commence par le lever des couleurs et par notre Marseillaise.

Dans le même temps, nous sommes également très attachés au principe à valeur constitutionnelle du droit à l'éducation, tel qu'affirmé dans la Constitution et réaffirmé par la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l'homme, ainsi qu'à la réalité des contrôles de ces établissements, pour le bien de nos enfants.

La présente proposition de loi vise à inscrire dans la loi des garde-fous pour permettre la sauvegarde du droit à l'instruction, tout en conservant et en préservant la liberté d'enseignement. Elle est née d'un constat indéniable, celui de l'inadéquation du cadre juridique applicable aux établissements privés au regard des enjeux actuels.

Le régime actuel d'autorisation des écoles privées est fondé sur trois procédures distinctes, en fonction de la nature de l'enseignement dispensé par l'établissement – premier degré, second degré ou enseignement technique. Ces procédures ont été définies respectivement par les lois Goblet de 1886, Falloux en 1850 et Astier en 1919, soit des lois qui ont – ou auront l'année prochaine, pour la dernière citée – plus d'un siècle.

La coexistence de ces trois procédures, qui font intervenir, à chaque fois et de manière différente, le maire, l'autorité académique, le préfet et le procureur de la République, est un facteur de grande complexité, tant pour le demandeur que pour les administrations qui les mettent en oeuvre.

Par ailleurs, l'effectivité du contrôle à l'ouverture des projets d'établissement est limitée par la brièveté des délais d'opposition, qui sont de huit jours pour le maire, d'un mois pour les services de l'État dans l'enseignement général et de deux mois dans l'enseignement technique.

Le maintien de ce dispositif multiguichet a pour conséquence de placer nos maires, et particulièrement ceux des petites communes, dans des situations difficiles, voire inextricables. Face à des demandes d'ouvertures d'établissement prônant des idées contraires aux valeurs républicaines, ou susceptibles de dérives sectaires, ils sont souvent démunis, d'autant plus qu'ils ne disposent que de huit jours pour s'opposer à une éventuelle ouverture et que les déclarations ont souvent lieu en plein été, période peu propice à un contrôle efficace.

D'autre part, les autorités administratives ne peuvent aujourd'hui fonder leur refus que sur des motifs d'hygiène et de bonnes moeurs pour l'enseignement primaire et secondaire, la possibilité de faire référence à l'ordre public ne s'appliquant qu'au seul enseignement technique. En conséquence, l'absence de moyens juridiques suffisants rend impossible le refus d'ouverture d'une école.

L'exemple de l'établissement Al-Badr est éloquent en ce sens : alors qu'il avait été fermé en décembre 2016 par le tribunal correctionnel à la suite de quatre inspections, l'opposition des autorités académiques à l'ouverture, dans les mêmes locaux et avec les mêmes enseignants, d'une école et d'un collège a été annulée par le tribunal administratif de Toulouse en raison de l'impossibilité d'invoquer le motif de trouble à l'ordre public.

Le rapport de Mme Annick Billon, rapporteure de ce texte au Sénat, relève par ailleurs des lacunes criantes dans le contrôle a posteriori des établissements hors contrat, tant dans le nombre des contrôles que dans la formation des inspecteurs pédagogiques qui en ont la charge. Vous vous êtes engagé, monsieur le ministre, à augmenter le nombre d'inspecteurs dédiés au contrôle de ces établissements : cela est en effet nécessaire car il y va du bien-être de nos enfants.

Le rapport de notre collègue sénatrice indique qu'à l'occasion des contrôles des services de l'éducation nationale en 2016, les manquements constatés, même s'ils sont minoritaires, ne sont toutefois pas marginaux. Ainsi, près d'un quart des contrôles réalisés en 2016 et 2017 a relevé des manquements. S'ils font très rarement référence à une opposition frontale aux valeurs de la République, ils recouvrent parfois un enseignement partiel et partial de certaines matières, comme l'histoire-géographie ou, plus grave encore, mettent parfois en exergue l'absence totale d'enseignement de la part du corps enseignant concerné.

Il est donc plus que nécessaire de simplifier, d'harmoniser et de renforcer ces procédures, d'autant plus que le nombre d'ouvertures d'écoles privées hors contrat connaît depuis près de dix ans une croissance soutenue : elles sont passées de 803 en 2010 à 1 300 en 2017, soit une croissance de plus de 60 %.

Même si cette proposition de loi ne répond pas à toutes les attentes, elle apporte des réponses concrètes à ces enjeux, sans pour autant porter une atteinte excessive à la liberté de l'enseignement.

En unifiant les trois régimes d'ouverture et en créant un guichet unique auprès des services de l'État, l'article 1er simplifie profondément le droit existant pour l'ouverture des établissements. Il unifie et modernise également les motifs et les délais d'opposition pour les autorités administratives. En ajoutant le motif de l'ordre public et en remplaçant les notions désuètes d'hygiène ou de bonnes moeurs par les raisons plus adaptées de protection de l'enfance et de la jeunesse, nous aurons désormais les moyens d'un contrôle efficace.

En harmonisant le délai d'opposition, désormais porté à trois mois, nous sécuriserons les élus locaux, qui se sentiront moins piégés par l'urgence et pourront ainsi examiner plus sereinement les déclarations d'ouverture.

L'article 1er inscrit par ailleurs dans la loi la liste des pièces que le dossier de déclaration d'ouverture doit comporter, notamment en ce qui concerne l'établissement et les modalités de son financement, donc l'origine de ces fonds.

Afin d'améliorer l'efficacité et la pertinence des contrôles, l'article 2 prévoit désormais un contrôle obligatoire dès la première année d'exercice des établissements hors contrat. Ce contrôle devra également se doubler, au même titre que pour les établissements publics et les établissements sous contrat, d'un contrôle des titres et des noms des enseignants, ce qui permettra de vérifier qu'ils ne figurent pas dans les différents fichiers judiciaires intéressant la sûreté de l'État ou répertoriant les infractions sexuelles ou d'actes de terrorisme.

L'article 3 unifie les conditions requises pour diriger un établissement privé ou y enseigner et met en place des conditions d'âge, de nationalité et de capacité qui n'existaient jusque-là que dans l'enseignement technique, même si des dérogations sont possibles.

Enfin, l'article 4 renforcera l'efficience de ces contrôles en supprimant la condition de récidive pour la fermeture d'une école.

Monsieur le ministre, notre groupe se prononcera donc en faveur de cette proposition de loi, qui maintient un juste équilibre entre la protection de la liberté de l'enseignement et le droit à l'instruction des enfants que garantit la République.

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