Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, nous voici face à un de ces débats qui, historiquement, ont souvent déchaîné les passions dans cet hémicycle. L'histoire de France, notamment l'histoire de la République, est pleine de débats autour de notre conception de l'école publique, et c'est tant mieux.
Chaque fois, deux visions s'opposent, parfois de manière virulente. Il faut savoir raison garder et revenir à ce qui nous rassemble : la République. Défendre la République, affirmer ses valeurs et garantir sa prééminence sont les premiers de nos devoirs en tant que parlementaires. Parler de l'école, de surcroît de l'école publique, c'est parler de la République.
Avant toute chose, je veux rappeler que je suis, ainsi que mes collègues du groupe La France insoumise, tout à fait attaché à cette liberté fondamentale qu'est la liberté d'enseignement. Toutefois, comme vous le savez, seule la liberté de conscience est totale et n'admet aucune limite. Toutes les autres libertés sont bornées en raison de leur interdépendance. Ainsi, la liberté de croire est encadrée par des lois qui garantissent également la liberté de ne pas croire, et la liberté d'expression est encadrée par des lois qui empêchent que cette liberté accordée à l'un n'accable l'autre.
De la même manière, la liberté d'enseignement est, elle aussi, encadrée par des valeurs qui lui sont supérieures et s'imposent à elle. Le code de l'éducation en recueille les dispositions législatives et réglementaires. Il fixe en ces termes l'objectif de l'instruction dans notre pays : garantir à l'enfant l'acquisition des instruments fondamentaux du savoir et l'éducation lui permettant de développer sa personnalité, son sens moral et son esprit critique. Il affirme également que l'école a pour mission de lui faire « partager les valeurs de la République ».
Pourtant, l'école privée gagne du terrain sur l'école publique. Je donnerai quelques chiffres. Sous les quinquennats de MM. Sarkozy et Hollande, 3 611 écoles publiques ont été fermées – une par jour – , alors que le nombre des élèves a augmenté de 250 000, la baisse du nombre des écoles publiques accompagnant la hausse du nombre des écoles privées. Cette année, l'école publique a perdu 30 000 élèves par rapport à la rentrée précédente, tandis que l'école privée augmentait de 7 000 élèves.
De plus, comme cela a déjà été souligné, au sein de l'école privée, c'est l'école privée hors contrat qui progresse le plus. Sur les 7 000 élèves supplémentaires qui sont allés dans le privé cette année, 5 000 ont été inscrits dans le privé hors contrat, qui a bénéficié ces dernières années d'une augmentation annuelle de ses effectifs de 15 %.
Vous-même, monsieur le ministre, avez rappelé devant le Sénat, le 21 février dernier : « En 2010, on comptait environ 800 établissements hors contrat. Aujourd'hui ce chiffre dépasse les 1 300. »
Dans ce contexte, le constat, pour le moins étonnant, qui est partagé par la majorité, ainsi que par nos collègues de droite et d'extrême droite, est celui d'une trop grande complexité des règles d'ouverture des établissements privés hors contrat. Le nôtre, au contraire, est celui d'une trop grande complaisance vis-à-vis de ces structures. Nous proposons donc de lutter contre le développement des établissements privés hors contrat en redonnant à l'école publique les moyens d'attirer les familles et de reconquérir les parents qui font le choix, parfois malgré eux, d'inscrire leurs enfants dans le privé.
C'est ainsi que dans ma circonscription, je peux en témoigner, l'école publique n'est pas offensive pour reconquérir des parents qui pratiquent le contournement de la carte scolaire et qui vont dans le privé. J'ai vu les services du recteur, monsieur le ministre, dans une académie que vous connaissez bien, entériner la fuite des élèves vers le privé à la rentrée prochaine. Aucun moyen supplémentaire n'est donné aux établissements publics pour faire revenir les parents. Dans ma circonscription de Bagnolet, il serait possible d'ouvrir un collège public supplémentaire avec tous les enfants qui devraient y être inscrits. Or vos services anticipent la diminution des effectifs à la rentrée prochaine.
Je rappelle ce qui caractérise l'école privée hors contrat : une gestion totalement autonome des établissements, aucune condition de diplôme pour y enseigner et aucune obligation de suivre les programmes officiels.
Le problème que pose le privé hors contrat est d'abord l'abandon de l'école publique. Après avoir cité ces chiffres sur le développement exponentiel des établissements privés hors contrat, vous avez ajouté, monsieur le ministre – vous me pardonnerez ma franchise, mais je vous reproche ces propos – : « Nous pouvons-nous féliciter [… ] de la croissance de ces nouvelles initiatives, car elles peuvent correspondre à une dynamique pédagogique ». Je ne suis pas d'accord.
Ces propos, dans la bouche d'un ministre de l'éducation nationale, sont décalés, pour ne pas dire choquants. C'est comme si la ministre de la santé se félicitait du développement des mutuelles, des cliniques et des EHPAD privés.