Quatorze mois d'attente en moyenne pour le traitement d'une demande d'asile, c'est trop long ; quatorze mois qui font suite – on l'a dit, mais il faut le répéter car il faut l'avoir vécu pour le comprendre – à une longue traversée depuis le pays de départ jusqu'à un premier camp de réfugiés, sur la route ou en mer, dans le danger permanent. Je suis allée au Kurdistan, sous les bombardements de Saddam Hussein, j'y ai vu des gens se précipiter sur du pain jeté à la volée des camions humanitaires, j'en ai vu sauter sur des bombes oubliées dans le sol. J'y ai vu des enfants qui sont aujourd'hui mes voisins de pavillon de banlieue, jeunes parents, et qui en savent beaucoup plus long sur les ressorts de la vie que bien d'entre nous. L'arrivée en France ne peut pas être une nouvelle étape de ce parcours du combattant ; elle doit au contraire représenter une libération, une protection, donnant la possibilité de se soustraire aux passeurs dont les demandeurs d'asile dépendent forcément. Oui, car comment feraient-ils autrement ? Nous, dans les mêmes conditions, nous paierions aussi des passeurs ; ils n'ont pas d'autre solution. À toutes ces personnes, nous devons un meilleur accueil, plus rapide et plus efficace, et un traitement de leur demande en six mois.
Mais nous devons faire en sorte que cette accélération se fasse presque sans qu'ils s'en rendent compte, sans que le temps devienne pour eux un piège et un nouvel oppresseur. C'est là que je me permettrai quelques réserves et que j'émettrai plusieurs alertes. La réorganisation proposée en matière de moyens de communication, de choix de la langue dès la préfecture et d'orientation en régions peut être salutaire à condition que l'on mette l'humain au coeur du dispositif et que l'on s'autorise de la souplesse, au profit de celui ou celle qui n'aurait pas tout compris, qui aurait fait une erreur de langue, qui aurait fait sa demande dans une région en tension ou en manque d'interprètes, celui ou celle qui n'aurait pas accès à un portable ou à internet, ou qui serait en souffrance psychique et aurait besoin d'un accompagnement renforcé comme celui que l'on a prévu pour les personnes handicapées. Je regarderai avec attention l'évolution de cette loi car si l'accélération devait se faire au détriment des plus fragiles, il faudrait la repenser ou l'assouplir.