Avant de parler de ces amendements identiques, je voudrais revenir sur ce qu'a dit Mme Poletti s'agissant de son amendement no 86 .
Nous partageons tout à fait votre ambition, madame la députée, et je tiens à vous remercier d'avoir présenté cet amendement. Dans un souci de cohérence, nous avons modifié la rédaction du projet de loi, ce qui rend votre amendement inutile. Il n'en demeure pas moins que nous partageons totalement votre objectif. Je tenais à le souligner.
J'en viens aux amendements identiques et à la question de l'imprescriptibilité. Nous avons tous à coeur de protéger les enfants, et nous sommes tous conscients que les traumatismes sont profonds : nous parlons d'agressions sexuelles et de viols. Que la durée de la prescription soit de dix, vingt ou trente ans, ou que ces crimes soient imprescriptibles, cela ne change rien au fait qu'aucune action judiciaire ne permettra par elle-même de faire disparaître ce traumatisme. C'est malheureux, mais c'est la réalité : il faut l'admettre.
On sait qu'en la matière les audiences sont très compliquées, même lorsque peu de temps s'est écoulé depuis l'agression sexuelle, et ne permettent pas de venir à bout des traumatismes. Cependant, un autre élément nous a convaincus qu'il faut allonger la durée de prescription à trente ans : l'amnésie traumatique et le phénomène d'emprise. Parfois, la mémoire prend du temps : il faut en tenir compte.
Fixer à 38 ans l'âge maximal auquel une personne victime de viol ou de violences sexuelles dans son enfance peut porter plainte n'est pas satisfaisant, car à cet âge-là les victimes mènent une vie très active, ont des enfants, et ne peuvent pas facilement verbaliser – à supposer même qu'elles en aient le souvenir – ce qui leur est arrivé.
Les amendements tendant à l'imprescriptibilité de ces crimes nous conduisent cependant à nous poser la question de la preuve. Il ne faut pas éluder cette question. Il est déjà très compliqué d'apporter la preuve de ces crimes vingt ans après qu'ils ont été commis, et cela le sera encore plus après trente ans. Plus le temps passe et plus la preuve est difficile à rapporter. Or ce sont les victimes qui font les frais des acquittements, des non-lieux et des classements sans suite lorsque les infractions sont insuffisamment caractérisées.
Je rappelle un élément essentiel : il est possible de déposer plainte tout au long de sa vie. Une victime peut tout à fait se rendre dans un commissariat, alors même que le délai de prescription est acquis, pour porter plainte : elle sera entendue. Des policiers, des gendarmes, nous ont expliqué qu'ils entendent systématiquement les victimes, même si le délai de prescription est acquis, car cela leur permet de s'exprimer, de verbaliser leur traumatisme, d'être écoutées par les institutions judiciaires. Cela permet aussi d'ouvrir des enquêtes sur les personnes ainsi signalées : dans certaines affaires tristement célèbres, des prédateurs sexuels ont sévi des années durant jusqu'à ce que des adultes, se remémorant les faits, aient permis de les mettre hors d'état de nuire.
Un autre élément important a été souligné pendant les auditions : la justice réparatrice. Cette justice ne répare pas tout, mais elle a le mérite d'exister. Elle permet aux victimes d'être confrontées à des auteurs d'infractions sexuelles, qui ne sont pas forcément celles qu'elles ont subies, afin d'entamer un dialogue. Beaucoup d'experts nous ont dit que cela pouvait aider les victimes dans leur travail de reconstruction.
Quoi qu'il en soit, il est très délicat d'établir une échelle des délais de prescription. Comme je l'ai déjà rappelé, un délai de trente ans nous paraît une durée juste, équitable. Il ne nous paraît pas judicieux d'aller plus loin ; cela nous semble même irresponsable. Les crimes contre l'humanité ont une définition juridique précise en droit international, et les crimes dont nous parlons n'en font pas partie. Les crimes contre l'humanité sont imprescriptibles par nature, car au moment où ils ont été définis, ils étaient sans précédent dans l'histoire. En effet, il faut rappeler le contexte historique de l'accord de Londres, signé dans l'immédiat après-guerre, alors que l'on avait encore à l'esprit les exactions commises pendant le conflit.
Je l'ai déjà dit : il est très délicat de fixer l'échelle des délais de prescription. Je crois cependant que ce texte représente une avancée considérable pour les victimes. Il leur permettra d'engager des poursuites, et potentiellement de voir condamner l'auteur des atteintes sexuelles dont elles ont souffert. Je considère que cette avancée est suffisante.
C'est pourquoi la commission est défavorable à ces amendements identiques.