Intervention de Pierre-Yves Bournazel

Séance en hémicycle du jeudi 17 mai 2018 à 15h00
Droit voisin au profit des éditeurs de services de presse en ligne — Discussion générale

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaPierre-Yves Bournazel :

Monsieur le président, madame la ministre, monsieur le rapporteur, chers collègues, nous examinons aujourd'hui, dans le cadre de la journée réservée au groupe du Mouvement démocrate et apparentés, une proposition de loi visant à créer un droit voisin au profit des éditeurs de services de presse en ligne.

Je veux d'abord saluer la grande qualité du travail du rapporteur, qui aborde un sujet essentiel pour la protection des éditeurs et agences de presse, celui du droit voisin, alors que les négociations à ce sujet ont été lancées il y a presque deux ans et sont aujourd'hui bloquées au niveau européen. Ainsi, le vote de la commission des affaires juridiques du Parlement européen sur la proposition de directive sur ce sujet devait avoir lieu il y a déjà deux mois. Il a finalement été reporté, et n'interviendra qu'au mois de juin. L'issue de ce vote est aujourd'hui tout à fait incertaine.

De la même manière, il n'est pas du tout certain que la directive soit adoptée in fine par le Parlement dans son ensemble avant les prochaines échéances européennes et, le cas échéant, qu'elle le soit dans des termes qui protègent efficacement les éditeurs et agences de presse et garantissent leur pérennité économique. Agir dès aujourd'hui au niveau national consoliderait notre position au niveau européen. Cela nous permettrait incontestablement de protéger efficacement les médias dans toute leur diversité, alors que le maintien d'un statu quo pendant encore deux ans pénaliserait l'ensemble de la profession.

En effet, la crise que connaissent les médias depuis l'avènement d'internet est durable et profonde. Alors qu'ils ont massivement investi pour se mettre à l'heure du numérique, les médias voient les richesses générées par la diffusion des contenus d'information qu'ils produisent quasi intégralement absorbées par les Google et autre Facebook. Ceux-ci gardent ainsi pour eux la manne liée à la diffusion des contenus journalistiques, sans pour autant assumer les coûts de production, alors que la recherche de l'information est une des principales raisons qui poussent les individus à se rendre sur un moteur de recherche ou à se connecter à leur compte Facebook.

Ce partage actuel de la valeur au bénéfice des GAFAM met en péril la viabilité économique des entreprises de presse écrite qui développent des sites d'information en ligne et des services de presse en ligne. Aujourd'hui, les éditeurs de presse ne sont pas en capacité de négocier avec les acteurs du numérique qui leur imposent de manière léonine leurs conditions, sous peine de déréférencement. La conseillère d'État Laurence Franceschini a d'ailleurs rendu, à la demande du Conseil supérieur de la propriété littéraire et artistique, deux rapports concluant à la pertinence de reconnaître un tel droit voisin pour les éditeurs et agences de presse. En effet, ce qui est en jeu c'est la contribution à la liberté de la presse et à ses valeurs permise par la mise en place d'un tel droit voisin.

Protéger et permettre la rentabilité de l'investissement de l'éditeur par le droit voisin, c'est d'abord renforcer la capacité de l'éditeur de presse à financer et à valoriser au mieux le travail journalistique, qu'il s'agisse des travaux de proximité comme des enquêtes au long cours, ou encore du financement de correspondants à l'étranger. Cela implique un investissement dans des structures de travail au service de la qualité des contenus produits par les journalistes. Je pense, par exemple, au data-journalisme ou aux news room. Ces investissements, qui peuvent représenter un coût important, sont également le gage de la qualité et de la fiabilité de l'information produite.

Par ailleurs, la protection des éditeurs de presse au titre du droit d'auteur est insuffisante dans le monde numérique. L'étude d'impact de la Commission européenne le souligne : « l'exploitation et la mise en application des droits en matière de publications sont de plus en plus difficiles » pour les éditeurs de presse, pour deux raisons. Premièrement, lorsqu'ils portent une affaire devant la justice, les éditeurs de presse doivent démontrer une chaîne de droits cohérente, c'est-à-dire que tous les auteurs ont cédé leur droit à l'éditeur en l'autorisant à le faire valoir en justice. Deuxièmement, le droit d'auteur existant ne suffit pas à protéger les publications de presse contre une copie massive, compte tenu des conditions de démonstration de la contrefaçon du droit d'auteur. Afin de montrer qu'un article a été reproduit « en partie », l'éditeur doit prouver que l'extrait repris par l'agrégateur recouvre une part de l'article qui doit lui-même être original, puisque l'originalité est un prérequis à la protection d'une oeuvre par le droit d'auteur. Cela crée une charge très importante, voire impossible à supporter, face à une copie de masse. Comment un éditeur pourrait-il démontrer que des milliers d'extraits automatiquement générés présentent une partie originale de l'oeuvre d'origine ?

Face à ces difficultés procédurales, démontrer la reproduction dans le cadre du droit voisin, qui est fondé sur la fixation d'une oeuvre, serait plus aisé, puisqu'il suffit de prouver qu'une partie de cette oeuvre fixée a été utilisée indépendamment de son originalité. L'éditeur de presse pourrait ainsi agir bien plus aisément contre une production de masse de ses publications.

Nous sommes donc clairement en accord avec le principe et les orientations de cette proposition de loi, qui vise à améliorer la répartition de la valeur créée par les éditeurs et agences de presse. Elle nous paraît d'autant plus pertinente que, aujourd'hui, les opérateurs et plateformes numériques ne se contentent pas de remplir un simple rôle d'hébergeur, mais jouent de plus en plus un rôle d'éditorial par la hiérarchisation et la mise en avant de contenus.

Par ailleurs, la mutation profonde et l'accélération de la transformation de l'écosystème des médias et de l'industrie culturelle qu'entraîne le déficit de régulation des GAFAM imposent de prendre des mesures rapidement. Le Gouvernement a d'ailleurs conscience de la nécessité de parvenir à un nouvel équilibre global avec les GAFAM et de responsabiliser ces opérateurs et plateformes numériques.

C'est notamment le cas en matière fiscale, mais aussi et avant tout en matière éditoriale : il faut lutter contre les fake news et les propos haineux, par une nouvelle régulation de l'audiovisuel et, en l'espèce, grâce aux droits voisins.

Il est donc tout à fait pertinent et cohérent de légiférer. Le groupe UDI, Agir et indépendants aborde donc favorablement l'examen de cette proposition de loi, qui constitue un signal fort en direction d'un secteur qui a investi massivement pour s'adapter aux nouvelles technologies sans pour autant en retirer les bénéfices auxquels il pouvait légitimement prétendre.

La mise en place de ce droit participerait de la défense, à l'ère numérique, de la liberté de la presse et de son corollaire, la liberté d'expression, garantis par notre État de droit. Notre groupe votera donc cette proposition de loi ; nous espérons qu'elle ne sera pas renvoyée en commission.

Aucun commentaire n'a encore été formulé sur cette intervention.

Cette législature étant désormais achevée, les commentaires sont désactivés.
Vous pouvez commenter les travaux des nouveaux députés sur le NosDéputés.fr de la législature en cours.