Intervention de Patrick Mignola

Séance en hémicycle du jeudi 17 mai 2018 à 15h00
Droit voisin au profit des éditeurs de services de presse en ligne — Motion de renvoi en commission

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaPatrick Mignola, rapporteur de la commission des affaires culturelles et de l'éducation :

Monsieur le président, madame la ministre, chers collègues, je voudrais répondre à l'argumentation de Fannette Charvier et revenir sur une série d'éléments techniques qui ont été soulevés par les collègues dans la discussion générale. On voit que tous ont travaillé le sujet en profondeur, et quelle que soit l'issue du vote sur la motion de renvoi en commission, il est important que le travail se poursuive et que l'on éclaircisse ces points souvent techniques – et parfois de principe.

Tout d'abord, je voudrais dire à Mme Ménard que, même si je respecte ses convictions, les difficultés de la presse ne sont pas dues au rétrécissement de son lectorat que la transition numérique a précisément conduit à doubler. On ne peut donc pas dénoncer la mauvaise qualité de la presse ; on doit au contraire la défendre pour qu'elle continue de se montrer à la hauteur. Je me réjouis de voir que l'ensemble des interventions, y compris celle de Fannette Charvier, montrent que nous nous rejoignons tous, nolens volens, sur l'engagement en faveur d'un droit voisin pour les éditeurs et les agences de presse – volonté que Mme la ministre a rappelée ce matin. À chacun sa vision de cette régulation, mais ce qui compte est que nous partagions aujourd'hui une forme d'intelligence politique d'un sujet très technique. En effet, comme l'a bien rappelé Alain David, le problème n'est technique qu'en apparence, car il va toucher au tréfonds de plusieurs enjeux démocratiques dans notre pays.

Puisque les uns et les autres, nous prenons des chemins différents pour parvenir au même objectif, il est important de revenir sur une série d'observations, notamment sur celle de Sabine Rubin relative à l'application du dispositif en Allemagne, et sur celle d'Elsa Faucillon, s'agissant de l'Espagne. Je l'ai peut-être expliqué trop rapidement ce matin, mais je crois qu'il est très important, dans le cadre de la préparation de la directive européenne, de souligner que si les droits nationaux ont jusque-là échoué en Europe, c'est parce que les principes d'application des droits voisins n'avaient pas prévu de gestion collective ; et face à des géants d'internet, une entreprise, un journal, une agence de presse ou un éditeur, seul, était évidemment en difficulté à cause du risque de déréférencement.

Le deuxième point qu'il me paraît fondamental d'aborder pour approfondir la discussion renvoie à la question des petits éditeurs. La création d'un droit voisin serait-elle susceptible, demain, d'abîmer de petits éditeurs ou de nouveaux acteurs sur un marché ? Précisément non, pour la raison que je viens de développer à l'instant en rappelant ce qui s'était passé dans les autres pays. Dans le cadre d'une gestion collective, il y a par nature collectivité. Lorsque, il y a quelques années, Google a créé un fonds à l'échelon européen, avec des traductions nationales, il y avait là certes une organisation collective – Virginie Duby-Muller avait à l'époque fait un rapport sur le sujet – , mais réservée à quelques acteurs seulement, uniquement les gros. Une véritable gestion collective s'adresse aussi bien aux gros qu'aux petits et représente une façon de protéger les plus fragiles et les nouveaux arrivants sur le marché.

S'agissant du meilleur chemin pour parvenir au droit voisin, auquel nous aspirons très majoritairement au sein de cet hémicycle, loin de moi l'idée de remettre en cause l'optimisme et l'engagement du Gouvernement et de Mme la ministre sur le sujet. Il faut néanmoins que nous soyons vigilants, et je sais, madame la ministre, que vous partagez ce point de vue.

J'ai échangé avec un certain nombre de parlementaires européens, y compris Jean-Marie Cavada, et il faut que le Parlement européen sache – il n'y aura pas de mauvais signal ou de bon signal envoyé, chère collègue Charvier – que la parole de la France, exprimée dans cet hémicycle, est celle d'un soutien à toutes celles et à tous ceux qui défendent la création d'un droit voisin. Pour reprendre les mots de Jean-Marie Cavada, « on n'est jamais si fort que quand on se sent soutenu par son pays d'origine. ».

Serions-nous contre-productifs ? Je l'ignore. Il faut savoir, de temps en temps, laisser place au doute. La parole de la France rendrait-elle l'Europe plus forte et plus belle ? Faut-il seulement une parole ? Faut-il un vote ? Faut-il un renvoi en commission ? Chacun jugera.

En revanche, les deux sujets évoqués par Fannette Charvier à la fin de son intervention, à savoir les agences et les snippets, me paraissent fondamentaux. Nous nous retrouvons dans ce débat sur le droit voisin au sein de cet hémicycle parce que nous croyons à la liberté de la presse, qui passe par la protection de son indépendance économique. Mais la liberté de la presse et son indépendance économique passent impérativement par l'intégration des agences, avec les éditeurs de presse, dans la reconnaissance du droit voisin. Il n'est pas question, alors que le chemin vers la reconnaissance du droit voisin des éditeurs de presse sera long à l'échelon européen comme à l'échelon national, de recommencer le même parcours du combattant pour les agences de presse. S'il y a un combat à mener, c'est bien celui rassemblant les éditeurs et les agences.

Nous différons également sur la question des snippets. Nous ne pourrons pas accepter une forme de compromis qui, pour arracher le principe du droit voisin, s'attaquerait à son contenu. Nous ne devons pas non plus accepter que des extraits, même courts, n'entrent pas dans le champ du droit voisin, alors que, comme l'a très bien rappelé Aurore Bergé, la protection des hyperliens continuera d'assurer la liberté de l'utilisation et du renvoi à des textes.

Nous pouvons avoir le même objectif, mais nous pouvons avoir envie, les uns et les autres, d'emprunter des chemins différents pour l'atteindre. En revanche, sur le fondement des éléments précis du champ du droit voisin et des bénéficiaires de son application, notamment les agences de presse, je ne peux que vous appeler à voter contre cette motion de renvoi en commission, afin que la parole de la France, sa vigilance et le message positif qu'elle souhaite envoyer à l'Europe soient entendus.

Je crois que l'Europe n'est jamais plus belle que lorsqu'elle s'inspire de certains grands principes français.

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