Intervention de Moetai Brotherson

Séance en hémicycle du mercredi 2 août 2017 à 15h00
Modification du code des juridictions financières — Discussion générale

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaMoetai Brotherson :

Madame la présidente, monsieur le secrétaire d'État, chers collègues, il nous est proposé – une fois n'est pas coutume – de ratifier une ordonnance prise sous la législature précédente. Le gouvernement précédent a fait un usage abondant de cette procédure, qui a été employée pour plus de 500 textes. L'exécutif semble de nouveau vouloir céder à cette facilité, puisque l'actualité législative est emplie d'une bonne quarantaine de projets de loi de même nature, à commencer par la réforme du code du travail.

Nous assistons ainsi à une banalisation inquiétante du recours aux ordonnances. Le phénomène n'est certes pas nouveau – il date d'une dizaine d'années. Un rapport sénatorial avait établi en 2013 que le nombre d'ordonnances prises sur le fondement de l'article 38 de la Constitution avait été, en une décennie, multiplié par 2,3 par rapport aux vingt années précédentes.

Cette évolution met en évidence le déséquilibre croissant des pouvoirs entre l'exécutif et le législatif ainsi que la perte de souveraineté du Parlement. Elle accompagne un processus plus inquiétant encore de dépossession du pouvoir du peuple, au profit d'une bureaucratie qui entend gouverner seule et servir, avant toute chose, l'oligarchie financière.

J'attire l'attention de nos collègues sur ce point, car nous voyons grandir sous nos yeux une forme d'exercice du pouvoir de plus en plus indifférente aux vertus et principes démocratiques.

Cette remarque étant faite, le texte de l'ordonnance qui nous est soumis ne constitue pas en lui-même un objet de controverse. Il s'inscrit dans le prolongement de la loi du 20 avril 2016 relative à la déontologie et aux droits et obligations des fonctionnaires, qui avait pour ambition de contribuer à restaurer la confiance des citoyens dans la puissance publique par le biais de dispositions nouvelles tendant à consolider et développer la culture déontologique au sein de la fonction publique.

Nous pouvons également voir dans ce projet de loi une annexe au débat qui s'est tenu la semaine dernière sur la confiance dans la vie publique, puisque l'ordonnance traite notamment du régime disciplinaire des magistrats de la Cour des comptes, de leur indépendance et des règles qui leur sont applicables en matière d'incompatibilités ou de suspension des fonctions.

L'ordonnance nous intéresse aussi en notre qualité de parlementaires, puisqu'elle modifie quelque peu les relations entre la Cour et le Parlement. Le texte prévoit ainsi que lorsque la Cour des comptes procède à des enquêtes à la demande des commissions des affaires sociales du Parlement, elle peut intervenir dans le domaine de compétence des chambres régionales et territoriales des comptes – cette faculté était jusqu'à présent réservée aux saisines émanant des commissions des finances ou des commissions d'enquête.

Outre le travail de mise à jour et de clarification qu'elle effectue, l'ordonnance précise les règles d'incompatibilité et de récusation des membres de la Cour et des rapporteurs afin de se conformer à l'exigence d'impartialité. Ne pourront ainsi exercer des fonctions de rapporteur ou être membres de la formation de jugement les personnes qui, dans l'affaire soumise à la Cour, auraient soit fait un acte de poursuite ou d'instruction, soit participé au délibéré de la Cour ou de la chambre régionale ou territoriale à l'origine de la saisine.

Si le texte comporte des avancées, nous nous devons d'exprimer quelques regrets.

Le Conseil constitutionnel a censuré l'obligation de déclaration de situation patrimoniale pour les magistrats administratifs, financiers ou judiciaires. Cette décision, intervenue l'an dernier, nous contraint à imaginer un nouveau dispositif et à porter l'exigence d'une plus grande transparence sur le patrimoine des magistrats des juridictions financières.

Les avancées en matière de diversification du recrutement nous paraissent insuffisamment ambitieuses pour ouvrir véritablement les juridictions financières. Ces juridictions ont pourtant vu, au cours des quinze dernières années, leurs attributions s'élargir et leur métier évoluer. Au jugement des comptes et au contrôle de la gestion se sont ajoutées par exemple l'évaluation des politiques publiques et les demandes d'enquête formulées par le Parlement. L'exercice de ces missions appelle un grand pluralisme des points de vue et des approches. Ce pluralisme fait aujourd'hui cruellement défaut, au détriment de l'évaluation éclairée de l'action publique.

Nous constatons depuis quelques années que la Cour des comptes tend à outrepasser son rôle. Elle est passée au fil du temps du rôle d'auxiliaire de la démocratie, aussi incontournable qu'indispensable, à celui de gardien de l'orthodoxie budgétaire et des orientations dictées par la Commission européenne. Elle garde ainsi l'oeil rivé sur le déficit budgétaire et s'accroche à l'objectif de 3 % pour mieux justifier la fuite en avant dans la rigueur et l'austérité qui casse le moteur de la croissance.

Nous en avons encore eu l'illustration avec le dernier audit des finances publiques. Ce rapport, pour l'essentiel, accrédite l'idée que l'État vivrait au-dessus de ses moyens ; le propos se focalise presque uniquement sur les dépenses publiques, sans aborder les failles de dispositifs tels que le crédit d'impôt pour la compétitivité et l'emploi, qui représente une dépense fiscale de plus de 20 milliards d'euros, sans effet mesurable sur la croissance et l'emploi.

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