Intervention de Raphaël Gauvain

Séance en hémicycle du jeudi 14 juin 2018 à 9h30
Protection des savoir-faire et des informations commerciales — Présentation

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaRaphaël Gauvain, rapporteur de la commission mixte paritaire :

En commission des lois, puis en séance, notre assemblée a adopté cinquante-six amendements, pour une part rédactionnels mais également de fond, dans la plupart des cas à mon initiative.

Pour définir les informations protégées par le secret des affaires, nous avons retenu, à l'article 1er, une définition plus conforme au droit européen, en optant pour la notion de valeur commerciale, effective ou potentielle.

Nous avons également étendu les mesures de protection du secret des affaires au cours des procédures juridictionnelles à l'ensemble des juridictions civiles, commerciales et administratives.

J'ai aussi proposé un nouveau dispositif destiné à protéger plus efficacement les journalistes et les lanceurs d'alerte des « procédures bâillons », sous la forme d'un régime autonome d'amende civile, assorti d'un plafond majoré. L'amende pourra être prononcée par la juridiction concernée en cas de procédures abusives ou de demande de dommages et intérêts disproportionnés.

Ce travail s'est ensuite poursuivi au Sénat.

Nos collègues sénateurs ont veillé à clarifier les procédures judiciaires qui ont été instaurées afin de garantir une protection efficace du secret des affaires.

Ils ont encore renforcé la conformité du texte à la directive, en particulier concernant la définition du détenteur légitime du secret, la caractérisation de l'obtention illicite du secret ou la portée juridique des exceptions au secret des affaires concernant les journalistes, les lanceurs d'alerte et les représentants des salariés.

Inévitablement, quelques divergences sont apparues, touchant le périmètre exact du secret des affaires, la nouvelle amende civile ou l'utilité d'un volet pénal. Malgré ces divergences, nous sommes parvenus à un accord avec le rapporteur du Sénat, M. Christophe-André Frassa, que je veux ici remercier.

Concernant le champ d'application, pour définir les informations protégées par le secret des affaires, nous avons retenu, à l'article 1er, la définition que nous avions adoptée à l'Assemblée : une définition plus restrictive, fondée sur la notion de valeur commerciale plutôt que de valeur économique, notion juridique plus floue et, surtout, plus extensive.

Concernant les procédures bâillons, nous avons rétabli le dispositif de l'amende civile, que le Sénat avait supprimée parce qu'il craignait son inconstitutionnalité et une censure du Conseil constitutionnel. Sur ce point, je ne partage pas son analyse ni l'argumentation qui la fonde. Les autres décisions rendues par le Conseil en la matière concernait des dispositions d'une autre nature : c'est ici d'appréciations tout à fait subjectives qu'il est question. Surtout, il faut le rappeler, nous, à l'Assemblée, avons adopté ce dispositif à l'unanimité, considérant l'amende civile comme nécessaire, et indispensable à l'équilibre du texte.

Enfin, la création d'une infraction pénale spécifique, adoptée par le Sénat, a été écartée. Nous en avions longuement discuté en commission comme en séance. Cette infraction pénale spécifique nous paraissait inutile. Je reste persuadé que, en cas d'espionnage industriel, le procureur a la possibilité d'engager des poursuites sur le fondement du vol, du recel, de l'abus de confiance ou encore de l'intrusion dans un système informatique. Ce n'était pas l'avis du Sénat, qui était très attaché à la création de cette infraction pénale spécifique. Il a néanmoins accepté de la retirer pour permettre un accord. Nous nous sommes engagés à poursuivre et à approfondir ensemble la réflexion sur ce sujet au cours des mois à venir.

Le débat sur le secret des affaires est ancien en France. Il a connu de nombreux échecs, quelles que soient les majorités, de droite ou de gauche. Comme dans beaucoup de domaines, nous n'arrivions pas à sortir des caricatures ni à dépasser nos clivages partisans, alors que beaucoup de pays se sont dotés il y a de nombreuses années d'un tel arsenal juridique.

Aujourd'hui, nous sommes arrivés à un accord en réunissant une large majorité des partis de gouvernement. Nous étions évidemment d'accord sur l'essentiel : protéger le savoir-faire de nos entreprises et lutter efficacement contre le pillage de nos industries, sans pour autant sacrifier la liberté de la presse.

Je reste très attaché à la continuité de l'État et à nos engagements européens. Aussi souhaiterais-je associer à ce succès la majorité précédente, en rappelant que cette proposition de loi est la transposition d'une directive européenne due à une initiative de la France en 2013, lorsque M. Cazeneuve était ministre délégué aux affaires européennes. La directive a été adoptée en 2015 et votée par près de 80 % des parlementaires français au Parlement européen.

Pour une meilleure transposition, nous avons enrichi le texte. Il faut le répéter, et faire preuve de pédagogie en la matière. Car ce texte fait l'objet de beaucoup – vraiment beaucoup – de désinformation.

L'objectif de la loi est de donner un cadre juridique au secret des affaires. Nous avons adopté une définition claire du secret des affaires, retenant des critères cumulatifs particulièrement stricts. Nous avons donné des garanties de procédure et nous les avons renforcées. Le dispositif a ainsi été étendu à l'ensemble des procédures judiciaires et administratives.

Surtout, quand bien même l'entreprise pourrait se prévaloir d'un secret des affaires caractérisé, le texte ne pourra pas être appliqué aux journalistes, lanceurs d'alerte et représentants du personnel. Aucune action ne pourra être engagée ; et, quand bien même elle le serait, le dispositif de l'amende civile permettra de sanctionner l'entreprise en cas de procédure abusive ou dilatoire, à hauteur de 60 000 euros ou de 20 % du montant des dommages et intérêts réclamés.

Récemment, un industriel français a attaqué un journaliste de France 2 pour violation du secret des affaires, lui réclamant 50 millions d'euros. Désormais, grâce à notre dispositif, le juge aura la possibilité, en pareil cas, de sanctionner l'entreprise pour procédure abusive à hauteur de 10 millions d'euros.

Donner un cadre juridique, un cadre protecteur, grâce à une définition stricte, et des garanties de procédure, le tout pour mieux protéger les entreprises, les journalistes et les lanceurs d'alerte : voilà ce que nous faisons.

Il vous reste, mes chers collègues, à bien vouloir confirmer l'accord trouvé en commission mixte paritaire.

Je vous précise que l'alinéa 78, c'est-à-dire le deuxième alinéa du texte proposé pour l'article L. 153-1 du code de commerce, va donner lieu à un amendement conjoint des deux rapporteurs. Il s'agit de l'exploitation des preuves par le juge dans le cas où une pièce versée serait susceptible de mettre en jeu le secret des affaires. Les délais dans lesquels s'est tenue la CMP ne nous avaient pas permis d'aboutir à une rédaction commune ; voilà qui est chose faite.

J'ajoute qu'un second amendement corrige une erreur de référence repérée dans le texte issu du Sénat.

Je vous remercie.

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