Madame la présidente, monsieur le secrétaire d'État, monsieur le rapporteur général, mes chers collègues, cher André Chassaigne, la proposition de résolution dont nous débattons ce soir ne manque pas d'intérêt puisqu'elle nous permet d'aborder la question du fonctionnement du Parlement, et plus spécifiquement de notre Assemblée, celle de ses débats et de l'impact réel que nous pouvons avoir sur les textes budgétaires. De nombreux points intéressent le groupe UDI-Agir et indépendants, et si cet exercice novateur ne nous permet pas de tous les aborder aujourd'hui, il ne fait aucun doute que nous pourrons en débattre plus longuement lors de la réforme constitutionnelle. Tout d'abord, un peu d'histoire : en Europe, nous constatons que les assemblées parlementaires sont principalement nées contre le souverain pour consentir l'impôt, et c'est la progression de cette concession de l'approbation des impôts qui a ouvert la voie à la représentation parlementaire de 1789. Plus près de nous, l'ordonnance organique du 2 janvier 1959 a accentué fortement la prééminence de l'exécutif et a limité l'initiative financière du Parlement. Mais depuis cette époque, les pouvoirs financiers du Parlement n'ont cessé de croître. C'est notamment le cas avec la loi organique du 1er août 2001 relative aux lois de finances, la LOLF, remplaçant l'ordonnance de 1959, qui réaffirme les principes du droit budgétaire, modifie les règles de présentation, de discussion et d'exécution du budget, mais surtout augmente l'information et les pouvoirs de contrôle du Parlement en mettant en place des objectifs et des indicateurs de performance. Ce texte a été un tournant majeur en faveur du renforcement du pouvoir parlementaire, obligeant le Gouvernement à une plus grande rigueur de gestion.
Je comprends, bien sûr, la frustration de mes collègues qui aimeraient que l'idéologie de la démocratie représentative s'applique de tout son poids. Mais il faut néanmoins garder à l'esprit que notre régime est celui de la Ve République et que c'est l'exécutif, désigné conjointement par l'élection du Président de la République au suffrage universel et la nomination du Premier ministre issu de la majorité à l'Assemblée nationale, qui détient les clés de l'orientation financière et des priorités du pays pour cinq ans. Le Parlement vote la loi de finances, mais l'on met trop volontiers l'accent sur son pouvoir de décision, mesuré à son droit de modifier le contenu des projets qui lui sont soumis, plutôt que sur celui de son contrôle a priori comme a posteriori. Dans ce domaine, la LOLF a apporté de réels changements, dont jusqu'ici le Parlement ne s'était pas saisi. Il s'agit notamment de la possibilité, lors de la loi de règlement, c'est-à-dire en ce moment même, d'expertiser l'exécution d'un projet selon des critères différents de ceux qui ont présidé à son élaboration, afin de contraindre le Gouvernement à présenter la meilleure proposition, sachant qu'il devra justifier ses hypothèses et ses choix.
En outre, au-delà des décisions prises par les assemblées, le passage au Parlement produit des bénéfices par lui-même : l'information doit être réunie, complétée, être exacte et sincère. Elle est soumise à critique dans un débat contradictoire sous les yeux de tous les intéressés concernés : citoyens, mais aussi acteurs économiques, marchés financiers, etc. Cela vise à assurer que les données sont objectives, que les choix sont éclairés et qu'ils peuvent s'expliquer rationnellement. On est dans une logique d'optimisation de la décision et non plus dans la croyance que telle autorité a le dernier mot parce qu'elle a tout le savoir. La grande originalité de la LOLF ne vient pas de ce qu'elle étend les moyens de contrôle du Parlement, mais de ce qu'elle les réorganise de manière à créer une véritable obligation d'exercer cette fonction, que les députés eux-mêmes, depuis l'entrée en vigueur de la LOLF en 2005, avaient négligée. Jusqu'à présent, la fonction de contrôle, réputée si importante, était en réalité diffuse, inorganisée et, pour tout dire, délaissée – notamment durant l'examen de la loi de règlement. C'est pourquoi notre groupe soutient l'initiative de la commission des finances d'en faire un moment clé du contrôle et de l'évaluation des politiques publiques, au sens de l'article 24 de la Constitution. Bien sûr, tout est perfectible, mais c'est incontestablement une avancée qu'il faut accompagner plutôt que ralentir.
Pour ce qui est de l'article 40 de la Constitution et de la limitation du pouvoir d'amendement effectif sur les dépenses, nous sommes arrivés à un stade où il ne paraît plus pertinent de conserver un dispositif qui institue une présomption d'irresponsabilité des parlementaires vis-à-vis de l'équilibre des finances publiques. La tradition avait cantonné le pouvoir d'initiative financière des députés et sénateurs, et quasiment supprimé celui de proposer des dépenses, sauf au sein d'une mission, à condition de ne pas en augmenter les crédits globaux. La remise en cause et la revalorisation des prérogatives des parlementaires en matière budgétaire et financière apparaissent souhaitables et ont été mûries. Cette proposition rejoint d'ailleurs les réflexions du groupe de travail de la commission des finances sur l'évolution de la procédure budgétaire, conduit par son président Éric Woerth et le rapporteur général Joël Giraud, qui propose la suppression de l'article 40 de la Constitution.
Le groupe UDI-Agir et indépendants se retrouve parfaitement dans cette proposition de suppression de l'article 40 de la Constitution, qui fera l'objet d'amendements lors de l'examen de la réforme constitutionnelle. Toutefois, il nous paraît indispensable d'adjoindre à cette ouverture une véritable augmentation de moyens, mettant à disposition du Parlement une cellule ou un organisme possédant les informations et les compétences nécessaires pour éclairer pleinement les initiatives financières des parlementaires. C'est pour nous une condition sine qua non. En effet, les assemblées n'ont que peu de moyens pour réunir des informations et doivent s'adresser à des assistants extérieurs. Tout va donc se jouer sur la production d'informations et d'évaluations qui devront être de véritables occasions de contrôle. Le Parlement devrait employer ses moyens d'investigation accrus pour chercher les causes des excès ou carences et proposer des remèdes, avec comme menace ou comme sanction son pouvoir de décision sur les programmes. C'est une contrepartie nécessaire pour que le Parlement ne soit plus aveugle et dépendant des informations des ministères-forteresses comme Bercy.
Je conclurai mon propos par deux pistes de réflexion que nous souhaitions évoquer. Tout d'abord, rendre plus difficiles les reports, virements, transferts, annulations ou gels de crédits en cours d'année, ce qui peut être présenté comme un moyen de mieux faire respecter la volonté du Parlement ; ensuite, limiter la possibilité pour le Gouvernement de déposer un amendement en dehors des délais de dépôt ou directement en séance, sans étude d'impact et sans passer par la commission des finances. La seule véritable limite du Parlement, dans les différents domaines que nous venons d'évoquer, c'est lui-même, notamment quand la majorité abandonne sa liberté de contrôle critique de l'action du Gouvernement. Par conséquent, le groupe UDI-Agir et indépendants s'abstiendra sur cette proposition de résolution, qui mentionne des points intéressants, mais pèche par un manque d'orthodoxie objective.