Intervention de Christine Pires Beaune

Séance en hémicycle du lundi 18 juin 2018 à 16h00
Décote applicable aux cessions de biens et actifs immobiliers du domaine privé de l'État — Discussion générale

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaChristine Pires Beaune :

Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'État, monsieur le président de la commission des finances, monsieur le rapporteur général, monsieur le rapporteur spécial, mes chers collègues, la précédente majorité, socialiste, avait constaté que la cherté du foncier constituait évidemment un frein important à la production de logements, en particulier de logements sociaux. Le gouvernement de Jean-Marc Ayrault avait donc présenté un projet de loi visant à faciliter la mobilisation du foncier public pour le logement. Le dispositif avait connu des débuts difficiles, car il était souvent jugé trop complexe, mais deux modifications, l'une législative, l'autre réglementaire, en ont amélioré l'efficacité.

Le décret du 25 août 2016 a d'abord ouvert la possibilité, dans les communes déficitaires en logements sociaux, de cessions au profit des organismes HLM, des sociétés d'économie mixte – SEM – et des organismes de maîtrise d'ouvrage sociale en utilisant la procédure de gré à gré, sans mise en concurrence, s'agissant de l'aliénation des immeubles compris dans la réalisation d'une opération comportant plus de 70 % de la surface totale de plancher affectée aux logements sociaux. Cette disposition répondait au caractère jugé trop long du dispositif. Ce même décret a également étendu le régime de la décote aux terrains des équipements publics.

En 2017, la loi relative à l'égalité et à la citoyenneté a de nouveau modifié le dispositif. Son article 116 a généralisé la décote en la rendant applicable aux cessions de la Société de valorisation foncière et immobilière – SOVAFIM. Quant à son article 151, il a étendu la possibilité de cessions à l'amiable aux programmes comportant plus de 50 % de logements sociaux.

Ces évolutions ont permis un développement sensible, année après année, de la procédure de décote. Ainsi, les ventes réalisées avec décote ont représenté 38 % des cessions de terrains de l'État en 2014, 54 % en 2015 et 72 % en 2016. Sur les premiers mois de 2017, cette proportion a même atteint 75 %, ce qui confirme la tendance.

La proposition de résolution qui nous est présentée aujourd'hui met en avant plusieurs critiques formulées par la Cour des comptes dans son référé d'octobre 2017 et recommande des évolutions en conséquence. Nous souhaitons tout d'abord pondérer certaines de ces critiques.

La Cour a relevé que la cession avec décote n'avait concerné que soixante-neuf opérations entre 2013 et 2016, pour un total de 6 700 logements produits, dont 4 600 logements sociaux, et a dit craindre un essoufflement, une fois que seraient cédés les terrains les plus propices à de tels projets. Cependant, dans sa réponse au référé, le Premier ministre a rappelé que les cessions de terrains de l'État en faveur du logement avaient progressé au cours de cette période, passant de cinquante et une en 2013 à cent six en 2016, alors que, dans le même temps, comme je viens de l'évoquer, la part des cessions avec décote avait augmenté.

Il importe également de préciser la nature des projets, ce qui amène à constater que cet outil permet une réponse précise aux besoins des territoires. Ainsi, d'après le rapport publié en février 2017 par la Commission nationale de l'aménagement, de l'urbanisme et du foncier, 80 % du potentiel logement issu des cessions et engagements signés en 2016 s'inscrit dans une zone de tension pour le logement.

La programmation de ces cessions est également adaptée au contexte : 45 % de logements sociaux sont prévus dans les communes respectant leurs obligations en matière de logements sociaux, contre plus de 65 % dans les communes déficitaires.

La programmation est également au service de la mixité sociale, chère à notre groupe : douze cessions ont été réalisées dans des communes carencées au titre de l'article 55 de la loi relative à la solidarité et au renouvellement urbains – c'est notamment le cas à Roquebrune-Cap-Martin, à Fréjus ou encore à Montauban – et ont permis la programmation de plus de 1 000 logements. Par ailleurs, trente-cinq cessions ont été réalisées dans des communes en rattrapage au regard de la loi SRU et ont permis la programmation de près de 3 000 logements, dont 2 000 logements sociaux.

La nouvelle majorité a souhaité poursuivre la simplification du dispositif de décote à travers l'article 6 du projet de loi portant évolution du logement, de l'aménagement et du numérique, dont nous venons d'achever l'examen en première lecture. Cet article prévoit notamment que la procédure de décote s'appliquera à des terrains destinés à la réalisation de programmes comportant « majoritairement », et non plus « essentiellement », des logements. L'idée principale est, bien sûr, de renforcer la mixité fonctionnelle. Le seuil réglementaire de 75 % de la surface de plancher dédiée au logement pourra ainsi être abaissé à 50 %.

L'article 6 vise également à étendre le bénéfice de la décote, actuellement circonscrite à la partie du programme prévoyant des logements sociaux, aux logements faisant l'objet d'un contrat de bail réel solidaire, avec un taux de décote plafonné alors à 50 %.

Enfin, il permettra la cession en bloc de terrains dans le cadre des projets partenariaux d'aménagement prévus par le projet de loi afin d'accompagner le dispositif envisagé par le Gouvernement.

Cependant, le projet de loi ELAN ne traite pas des problèmes mis en avant par le rédacteur de la présente résolution. C'est d'autant plus dommageable que ces questions ont été soulevées tant par la Cour des comptes que par le rapporteur du projet de loi ELAN dans son rapport. Notre groupe partage l'analyse du rapporteur.

Dans son référé en date du 26 octobre 2017, la Cour des comptes a souligné que, dans des territoires où le coût du foncier était particulièrement élevé, le montant de la décote accordé à certains projets avait eu pour effet de faire supporter à celle-ci l'essentiel de l'effort financier de l'opération, sans que l'acquéreur ou le bailleur ne soit appelé à mobiliser de fonds propres – ou il n'en mobilisait que très peu. Ainsi, la production de 284 logements sociaux rue de Mouzaïa à Paris a mobilisé 0 % de fonds propres pour l'acquisition du terrain, pour une décote évaluée à 67 600 euros par logement.

Autre exemple encore plus frappant : la cession dite de la rue de Lille, dans le 7e septième arrondissement de Paris, a conduit à la transformation des anciens bureaux de l'Institut national des langues et des civilisations orientales en dix-huit logements. Le montant des subventions directes et indirectes, dont le dispositif de décote, s'est élevé à plus de 6,9 millions d'euros, soit une aide publique supérieure à 386 000 euros par logement ou à 5 560 euros par mètres carrés de surface utile de logement.

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