Madame la présidente, madame la secrétaire d'État, monsieur le rapporteur, chers collègues, l'association de consommateurs UFC-Que Choisir a fait paraître hier un sondage qui confirme, si besoin en était, le ras-le-bol des Français face à la recrudescence des appels à visée commerciale : 92 % de nos concitoyens jugent ces pratiques intrusives, agaçantes et trop fréquentes, et 88 % d'entre eux estiment qu'il faut mettre fin à ce harcèlement en encadrant plus strictement le démarchage téléphonique.
Comme le souligne encore l'association, les enquêtes convergent pour souligner que les principaux secteurs recourant au démarchage téléphonique sont aussi ceux à l'origine des principaux litiges de consommation.
Nous ne pouvons donc que saluer l'initiative de nos collègues à l'origine de la présente proposition de loi, qui reprend à son compte quelques-unes des propositions des associations de protection des consommateurs.
Nous faisons en effet tous le même constat, celui de l'échec du dispositif Bloctel mis en place il y a deux ans, qui reconnaissait à chacun le droit de ne plus être démarché par téléphone par un professionnel avec lequel il n'a pas de relation contractuelle en cours. Dans sa rédaction initiale, le texte de la proposition de loi prévoyait un système, qui existe déjà dans une dizaine d'États européens dont l'Allemagne et qui a fait la preuve de son efficacité. Il consiste à n'autoriser le démarchage téléphonique que des seuls consommateurs ayant expressément donné leur accord à ce que leurs données personnelles soient utilisées à des fins commerciales.
La majorité En marche a décidé de censurer cette mesure de protection essentielle, en arguant que le principe du consentement obligatoire préalable pourrait porter préjudice à la viabilité économique de certaines entreprises de démarchage.
Quand on sait que les entreprises en question sont généralement des entreprises sans scrupules, aux pratiques agressives, souvent à la limite de la légalité, on ne peut être que surpris par cette prise de position. Au fond, le business de quelques-uns importe plus pour vous que la tranquillité de tous et le droit de chacun à ne pas être importuné à n'importe quelle heure à son domicile. Il est totalement insupportable, surtout pour des personnes qui ont déjà des problèmes personnels, d'être dérangées par de tels démarchages.
On nous parle de menaces sur la pérennité de nombreuses petites entreprises, y compris françaises, qui dépendent du démarchage téléphonique. Cet argument bien connu du lobby des centres d'appels n'est pas recevable, dans la mesure où nombre de ces centres sont aujourd'hui délocalisés à l'étranger. Si nous voulons protéger l'emploi en France, commençons par y rapatrier l'emploi ! Comme l'indiquait, en 2014, Jacques Mézard, qui était alors un sénateur investi sur ces questions : « La plupart des centres d'appels fonctionnent depuis le Maroc, l'Inde ou ailleurs… Les 110 000 emplois en suspens constituent donc [… ] une fumisterie ! »
On nous a parlé des artisans qui ne pourraient pas démarrer leur activité sans appeler tous les habitants de leur village. C'est là aussi une vaste blague. Comme s'il n'existait pas d'autres moyens, plus respectueux des personnes, de faire sa publicité, dans la presse ou par courrier !
Le fait est que le démarchage téléphonique non sollicité représente une atteinte à la vie privée à laquelle nos concitoyens sont profondément et majoritairement hostiles. Il est de notre responsabilité de législateur d'être à l'écoute de cette demande. C'est pourquoi nous voterons les amendements proposant de rétablir l'article 1er, qui conditionne l'efficacité même de la lutte contre le démarchage intempestif.
Je voudrais aussi saisir l'occasion de ce débat pour évoquer plus spécifiquement la situation des personnes âgées, que nous avons tous à l'esprit dans la discussion qui nous occupe.
On estime aujourd'hui à plus de 40 000 les victimes d'abus de faiblesse chaque année en France, parmi lesquels de très nombreux seniors et personnes seules, qui représentent une cible privilégiée pour certaines sociétés commerciales faisant usage de techniques de vente parfois à la limite de la légalité.
Une enquête révélait en 2008 qu'une personne âgée sur trois s'estimait victime de maltraitance financière. Le phénomène du harcèlement commercial y participe, plongeant certaines personnes âgées dans des difficultés monétaires. Ventes forcées, escroqueries, détournement d'argent ou de biens figurent en tête du palmarès de ces abus.
Les journaux en direction du troisième âge abondent d'encarts publicitaires contenant de multiples cadeaux alléchants – loteries, concours et autres. Sont proposés à la vente de petits matériels pour aménager sa maison, des vêtements, des produits cosmétiques, du vin, des bijoux, des produits régionaux. Ce peut être aussi des produits diététiques à visée thérapeutique.
Une fois hameçonnée, la personne fera l'objet d'un véritable harcèlement commercial, une même entreprise pouvant camoufler plusieurs enseignes pour élargir le spectre des produits proposés.
Notre droit n'est pas adapté pour lutter contre ce véritable business de l'abus de faiblesse. Nous devons réfléchir collectivement aux moyens de mieux protéger nos aînés contre ces pratiques. Le renversement de la charge de la preuve en matière d'abus de faiblesse ou d'état d'ignorance est une piste ; la présomption d'abus de faiblesse au-delà de certaines limites d'âge en est une autre.
Une chose est sûre : nous ne pouvons-nous satisfaire du statu quo. C'est pourquoi nous proposerons un amendement au Gouvernement afin de dégager les pistes de réforme opportunes. Nous espérons qu'il recevra un large soutien de la représentation nationale.
Nous sommes là aussi devant une attente collective forte. Ces remarques étant faites, nous voterons bien sûr le texte qui nous est proposé, en espérant le voir rétabli dans une rédaction plus satisfaisante qu'à l'issue du débat en commission.