Monsieur le président, madame la secrétaire d'État, monsieur le président de la commission, monsieur le rapporteur, chers collègues, nous sommes régulièrement alertés par nos concitoyens sur le démarchage téléphonique, qu'ils vivent parfois comme du harcèlement.
Tout a déjà été dit. Les personnes les plus exposées à ces appels intempestifs et renouvelés quotidiennement sont souvent les personnes les plus fragiles et vulnérables, notamment les personnes âgées ou malades. Pour ces personnes, être dérangées à toute heure du jour ou de la soirée peut être anxiogène. Certains retraités ne répondent plus au téléphone pour cette raison. Pour les actifs, recevoir des appels publicitaires pendant leur pause déjeuner, leur dîner ou même le week-end est une source d'agacement, et cela peut se comprendre, sans oublier ceux qui, travaillant de nuit, dorment la journée.
Le législateur a pris la mesure de ce problème : la loi Hamon de 2014 a ouvert le champ à un service nommé Bloctel, qui a été lancé le 1er juin 2016. Je ne décrirai pas en détail le fonctionnement de cette liste d'opposition, qui a été évoquée à de nombreuses reprises. Je me bornerai à rappeler que ce service est géré par la société Opposetel, désignée dans le cadre d'une délégation de service public qui court jusqu'en 2021.
Deux ans après son lancement, l'efficacité de Bloctel ne se ressent pas sur le terrain. À première vue, on pourrait croire que ce dispositif est trop méconnu. Pourtant, en réponse à la question au Gouvernement posée par notre collègue du groupe UDI, Agir et indépendants Stéphane Demilly le 15 mai dernier, vous nous avez dit, madame la secrétaire d'État, que 3,7 millions de personnes étaient inscrites dans ce fichier, pour 8,5 millions de numéros de téléphone. Vous avez ajouté que « les coordonnées des consommateurs inscrits à ce service ont été retirées de 180 000 fichiers de prospection, soit plusieurs milliards d'appels évités ».
Le problème est donc ailleurs : seules 700 à 800 entreprises ont adhéré au dispositif afin de faire retirer de leurs fichiers de prospection les numéros protégés par Bloctel. Surtout, c'est Bloctel qui décide ou non de transférer les réclamations à la DGCCRF. Celle-ci n'aurait sanctionné qu'une centaine d'entreprises contrevenantes – les chiffres varient, mais nous semblent en tout état de cause extrêmement faibles.
Les enquêtes sont longues et complexes, car certaines entreprises ont élaboré des stratégies pour ne pas respecter la réglementation : usurpation de numéros de téléphone, longues chaînes d'intermédiaires, localisation à l'étranger. Par ailleurs, comme l'indique Pierre Cordier dans son remarquable rapport, il est compliqué de vérifier à quelle entreprise est attribué un numéro de téléphone en raison de difficultés intrinsèquement liées à l'organisation du marché des télécommunications.
Dans les cas les plus frauduleux, les entreprises souhaitant continuer à démarcher sans être bloquées par cette liste changent simplement de nom. Elles obtiennent alors de nouveaux numéros de téléphone, avec lesquels elles recommencent leur prospection intrusive. C'est d'autant plus efficace que ces nouveaux numéros ne sont pas répertoriés assez rapidement dans la liste d'opposition gérée par Bloctel.
Ces éléments mis bout à bout expliquent sans aucun doute ce que ressentent nos concitoyens – et c'est cela qui importe. Un an après la mise en place de Bloctel, une enquête du magazine 60 Millions de consommateurs révélait que près de la moitié des personnes inscrites ne perçoivent aucune diminution du nombre d'appels. De plus, les renseignements à fournir pour dénoncer un démarchage abusif sont beaucoup trop complexes et la démarche est trop longue, selon les consommateurs.
En répondant à Stéphane Demilly, madame la secrétaire d'État, vous avez admis que « l'effet de Bloctel reste insatisfaisant car un nombre trop important d'entreprises ne respectent pas la réglementation ». C'est bien là le problème ! Vous ajoutiez : « C'est inacceptable et cela appelle à la fois plus de pédagogie et plus de sévérité à l'égard des entreprises. »
Le constat est donc partagé : reste désormais à en tirer les conséquences. Si la DGCCRF doit établir prochainement un bilan du dispositif et proposer des améliorations, le rôle du Parlement est quant à lui d'évaluer l'efficacité des politiques publiques et de rectifier ce qui doit l'être.
Conscients du désarroi des consommateurs, nous vous saluons, monsieur le rapporteur, pour avoir proposé un dispositif qui a vocation à protéger davantage nos concitoyens et à les aider à faire valoir leurs droits. Notre collègue Christophe Naegelen, qui sera présent tout à l'heure pour échanger avec vous, a fait une proposition de loi similaire au mois d'avril dernier, visant à créer un droit d'opposition effectif au démarchage téléphonique et cosignée par une soixantaine de députés siégeant sur différents bancs de cet hémicycle.
La ligne de conduite de notre groupe est très claire : soutenir les bonnes idées, d'où qu'elles viennent. C'est pourquoi nous soutenons naturellement cette initiative.
L'examen en commission s'est déroulé comme il devrait se dérouler pour tous les textes d'initiative parlementaire, c'est-à-dire de façon constructive. Le rapporteur, d'une part, et la majorité, d'autre part, ont chacun fait un pas vers l'autre, afin d'aboutir un texte réellement consistant en vue de l'examen en séance publique.
Deux mesures intéressantes ont ainsi été validées. Il s'agit d'abord de l'article 2, qui oblige le démarcheur à décliner son identité, le nom de la personne qui l'emploie, celle de la personne pour qui il appelle, sa raison sociale ainsi que la nature commerciale de l'appel. Il s'agit ensuite de l'article 3, qui prévoit la mise en place d'un indicatif unique pour le démarchage téléphonique, afin que les consommateurs puissent mieux identifier les appels. Ce sont deux mesures de bon sens.
La limitation de cet indicatif aux centres d'appels et aux plateformes spécialisées nous paraît cohérente. Une fois que ces mesures seront en vigueur, il faudra s'assurer de leur effectivité : pour cela, il faudra prévoir un contrôle régulier qui permette de faire remonter des informations à la répression des fraudes, laquelle devra être dotée de moyens suffisants.
D'autres mesures visant à améliorer Bloctel semblent également faire consensus. Il s'agit d'abord de la suppression de l'exception permettant aux sociétés de démarcher des personnes inscrites sur Bloctel si elles ont déjà eu avec elles des relations commerciales, et ensuite de la multiplication par cinq des sanctions administratives en cas d'appel d'un numéro inscrit sur Bloctel.
Reste la mesure qui fera le plus débat, celle qui est coeur de ce texte : il s'agit d'un véritable changement de logique, avec lequel nous pouvons être d'accord. Avec cette mesure, nous passerions d'un système d'opt-out, c'est-à-dire d'un droit d'opposition impliquant de s'inscrire sur la liste Bloctel, à un système d'opt-in, interdisant le démarchage à moins d'un consentement exprès.