Mes chers collègues, permettez-moi de revenir un instant sur la démarche adoptée par notre Assemblée à la suite du passage de l'ouragan Irma aux Antilles.
Certains d'entre vous se souviennent sans doute que, peu de temps après le cyclone, plusieurs députés ont demandé, à titre individuel ou parfois même en invoquant leur groupe politique, la création d'une commission d'enquête parlementaire sur des sujets liés à cet événement – pour les uns, il s'agissait, par exemple, de travailler sur la gestion du cyclone par l'État, pour les autres, d'étudier la fréquence de ces phénomènes météorologiques exceptionnels. Ces collègues se sont souvent exprimés dans les médias avant de me saisir par courrier.
Après avoir interrogé les groupes parlementaires, j'ai cependant constaté qu'aucun d'entre eux ne souhaitait utiliser son droit de tirage pour constituer une commission d'enquête, et qu'aucun consensus ne se dégageait vraiment pour qu'elle se crée de façon « transpartisane ». Parce que j'estimais regrettable que rien ne se passe une fois oubliée l'émotion liée aux ravages provoqués par les cyclones – Irma a été suivi par Maria –, et pour éviter que chacun retourne à ses habitudes en rendant l'autre responsable de l'inaction commune, j'ai proposé à la conférence des Présidents de créer une mission d'information sur la gestion des événements climatiques majeurs dans les zones littorales de l'hexagone et des outre-mer. Composée à la proportionnelle des groupes de notre assemblée, elle est présidée par une députée appartenant à un groupe d'opposition, et son rapporteur appartient à un groupe de la majorité – notre règlement prévoit que l'un de ces deux postes va à l'opposition ce qui permet de ne pas se limiter aux uns ou aux autres, approche essentielle sur un tel sujet.
De manière générale, j'estime qu'il est bon que l'Assemblée nationale se saisisse de ce type de dossiers qui font l'actualité. Alors que, dans les médias, un sujet chasse l'autre, il nous revient de travailler dans la durée. Parce que nous n'avons pas affaire à un événement isolé, mais à des phénomènes dont l'intensité semble augmenter, nous avons la responsabilité de traiter de ce problème. Nous devons toutefois expliquer clairement à nos concitoyens qu'il ne nous appartient pas de prendre en charge la situation dans l'urgence : c'est le rôle des services de l'État et des collectivités locales. Nous devons en revanche vérifier que ce travail est effectué correctement, nous demander comment mieux prévoir ces événements, et en tirer les conséquences durables pour mieux anticiper et agir demain, car, malheureusement, nous ne pourrons éviter que de telles catastrophes se reproduisent. Je dis « malheureusement », mais nous ne maîtrisons pas la météo : on ne commande pas le ciel !
J'ai également souhaité, qu'au-delà des appartenances politiques diverses de ses membres, cette mission d'information unisse les députés des outre-mer et de l'Hexagone. Votre présidente et votre rapporteur incarnent bien cette union. Évidemment, les phénomènes ne sont pas tout à fait de même ampleur, ni peut-être de même nature, en outre-mer et sur les côtes de la France métropolitaine, et a fortiori à l'intérieur des terres, cependant nous sommes tous touchés. Votre rapporteur, Yannick Haury, est élu du même département que moi : sur la côte atlantique, nous constatons la multiplication des phénomènes climatiques de forte intensité et de leurs conséquences graves.
Des frustrations ont pu naître en raison de la nécessité de limiter le nombre de députés siégeant au sein d'une mission d'information. Les élus de certains territoires d'outre-mer auraient souhaité être membres de la mission d'information, mais je sais que votre présidente fait tout ce qui est possible pour les associer à vos travaux.
Je précise enfin que la création de votre mission d'information s'est faite en étroite collaboration avec M. Olivier Serva, président de la délégation aux outre-mer, et Mme Barbara Pompili, présidente de la commission du développement durable et de l'aménagement du territoire.
Au mois de novembre dernier, je me suis donc rendu en Guadeloupe, à Saint-Martin, et à Saint-Barthélemy. Dès le lendemain, du passage du cyclone Irma, M. Olivier Serva et moi-même avions évoqué un déplacement destiné à exprimer, sur place, la solidarité nationale, et à constater immédiatement l'ampleur des dégâts. Il est rapidement apparu qu'il n'était pas opportun d'effectuer ce voyage au lendemain des événements. Il était d'autant plus difficile à organiser qu'Irma a été suivi de la tempête Maria. Par ailleurs, contrairement aux représentants du pouvoir exécutif qui sont en mesure de mobiliser sur place le soutien des services de l'État – des ministres et du Président de la République, lui-même, qui se sont rendus sur les lieux – l'Assemblée nationale n'est pas à même d'intervenir matériellement qui dans des conditions d'urgence.
Il est en revanche bon que nous montrions que nous n'oublions pas l'outre-mer une fois l'attention médiatique retombée. Et puis, ce n'est pas la même chose de voir les images des journaux ou de la télévision, et de rencontrer les populations.
M. Olivier Serva, Mme Claire Guion-Firmin, députée de Saint-Barthélemy et Saint-Martin, Mme Marie Lebec, vice-présidente de la délégation aux outre-mer, et moi-même formions une petite délégation. Deux mois après l'événement, nous avons pu constater l'étendue des dégâts. Nous avons compris qu'au-delà de la violence immédiate du cyclone et du vent, qui a touché tous les bâtiments – habitations, entreprises, collèges, hôpital, aéroport… –, plus gravement encore à Saint-Martin qu'à Saint-Barthélemy, une part non négligeable des dégradations avait été provoquée, dans un second temps, par les conséquences de l'ouragan et des événements connexes comme les fortes pluies qui s'infiltrent partout. Des bâtiments ont dû fermer plusieurs jours après la tempête alors qu'ils semblaient avoir résisté, et la situation de certains habitants s'est dégradée au fur et à mesure que le temps passait. Malheureusement, les mesures d'urgences destinées aux premières dégradations n'ont pas toujours permis d'éviter les secondes.
Nous avons également constaté que les services de l'État avaient anticipé l'événement. Nous pourrons bien évidemment confronter nos points de vue, mais on ne peut pas dire qu'ils aient été dans le déni, qu'ils aient minimisé la situation, ou qu'ils soient restés inactifs en attendant que la catastrophe se produise. Les polémiques de l'époque sont aujourd'hui oubliées – la préfète déléguée de Saint-Martin avait été mise en cause, alors même que la préfecture a été entièrement détruite pendant qu'elle s'y trouvait –, mais il est préférable de rétablir la vérité.
Les services de météorologie avaient donné l'alerte, même si, évidemment, ils ne pouvaient prévoir la progression du cyclone au mètre près. Les services de l'État et des collectivités locales ont été mobilisés par anticipation : des policiers et des gendarmes ont été dépêchés sur les lieux avant l'arrivée d'Irma, et des personnels des services départementaux d'incendies et de secours de la Guadeloupe voisine se sont déplacés à Saint-Martin.
La solidarité nationale s'est immédiatement exercée. On peut toujours affirmer que le bâtiment de projection et de commandement de la marine nationale est arrivé un peu tard, mais d'autres moyens ont été engagés. Nous avons par exemple rencontré des réservistes de la gendarmerie nationale qui ont passé trois mois sur place alors qu'ils exercent une profession dans le civil en métropole. J'ai aussi découvert l'existence des réservistes sanitaires de l'établissement de préparation et de réponse aux urgences sanitaires (EPRUS). Nous avons rencontré un habitant de Nancy qui a traversé la France et l'Atlantique pour apporter son aide, pendant quelques semaines, à l'hôpital de Saint-Martin. Si tout cela n'enlève rien aux souffrances vécues sur place, il reste que certaines choses ont bien fonctionné.
Il faut souligner qu'un certain nombre de problèmes existaient avant l'ouragan, et que ce dernier n'a fait que les aggraver. La situation économique et sociale de ces territoires, le niveau de pauvreté de nombreux habitants de Saint-Martin, certains types de constructions – celles en bois ont manifestement mieux résisté – tout cela préexistait. L'ouragan n'est donc pas la cause de tout.
Aujourd'hui, par exemple, des entrepreneurs relayés par les élus locaux souhaitent recourir au chômage partiel et au chômage technique, mais cette solution ne réglera en rien le problème posé par le travail illégal. Quant aux difficultés majeures liées à la séparation de l'île de Saint-Martin entre un territoire français et un territoire néerlandais – même si la souveraineté hollandaise s'y exerce de façon assez légère –, elles ne datent pas du passage de l'ouragan. Sans caricaturer, le schéma consistant à travailler côté hollandais, avec une très faible protection sociale, et à habiter côté français où l'on bénéficie des services de santé et d'enseignement, et éventuellement du RSA, crée un déséquilibre ingérable pour la collectivité qui ne perçoit pas les ressources correspondantes. Il semble que les autorités néerlandaises sont un peu plus volontaires qu'auparavant pour avancer sur ces sujets. Je pense encore aux questions d'immigration récurrentes qui se posaient déjà avant l'ouragan.
Des solutions innovantes ont pu être mises en avant lors des événements, qui pourraient être prometteuses. Après que le Président de la République a promis sur place une aide d'urgence d'un montant supérieur à trois cents euros, le préfet Philippe Gustin, délégué interministériel à la reconstruction des îles de Saint-Barthélemy et de Saint-Martin, s'est mis d'accord avec M. Daniel Gibbes, président de la collectivité de Saint-Martin, pour éviter la potentielle fuite de cet argent, et mettre en place très rapidement une sorte de « monnaie locale » sous forme d'une carte de paiement utilisable uniquement sur place. On pourrait imaginer que le versement du RSA s'inspire de ce modèle.
La reconstruction constitue un défi majeur. Il faut tirer les leçons du passé tout en avançant très rapidement. Le bon compromis doit être trouvé entre l'efficacité et l'application des nécessaires règles d'une construction durable et plus résistante aux ouragans. Même si, sur place, la mémoire du cyclone Luis, qui avait fait des dégâts majeurs – on nous a parlé d'une division par trois de la capacité hôtelière – reste vivante, toutes les leçons n'en avaient sans doute pas été tirées.
D'autres sujets méritent évidemment d'être traités, comme la défiscalisation. Il faut en tout cas agir rapidement et proposer des réponses « solides », dans tous les sens du terme.
Plusieurs questions concrètes et assez lourdes sont en cours de traitement.
Il faut par exemple régler le problème des relations avec les assurances – il ne concerne évidemment que ceux qui avaient une assurance. Cela me donne l'occasion de rappeler qu'il est indispensable d'assurer son habitation ou son automobile. J'ai écrit au président de la Fédération française de l'assurance parce que des assureurs faisaient manifestement traîner les choses.
Le traitement des déchets liés aux dégâts est aussi un sujet majeur. Je pense en particulier aux automobiles – même si certaines de celles que les assurances considèrent comme irréparables circulent encore. Ce volume de déchets considérable doit être évacué par une filière spécialisée. On nous a raconté avoir retrouvé à Saint-Martin, après leur passage par le Venezuela et la Guyane, des voitures qui arrivaient des États-Unis où elles avaient été envoyées à la démolition après le passage de l'ouragan Katrina, en 2005. De très nombreux autres déchets sont évidemment produits après un cyclone. Leur recyclage constitue toujours un défi majeur dans les territoires insulaires, et il nécessite l'intervention d'une filière de traitement – ce qui crée aussi de l'activité locale.
Au-delà de la gravité de situation, je porte plutôt un message d'optimisme : j'ai constaté la volonté de tous de relever le défi de la reconstruction. Nous avons pris l'engagement de revenir sur place pour accompagner des évolutions dans la durée.