Intervention de Nicole Belloubet

Séance en hémicycle du jeudi 19 juillet 2018 à 21h40
Démocratie plus représentative responsable et efficace — Après l'article 2

Nicole Belloubet, garde des sceaux, ministre de la justice :

Si vous souhaitez utiliser la notion, messieurs les députés, c'est pour tenter d'atténuer les effets non seulement de la jurisprudence du Conseil constitutionnel, mais également de la mondialisation, et au total de ce que vous estimez comme des excès du droit de propriété et de la liberté d'entreprendre.

Aux termes mêmes de notre Constitution, le Parlement est totalement libre, vous le savez, d'atténuer le droit de propriété et la liberté d'entreprendre. Le Conseil constitutionnel le reconnaît : d'une manière tout à fait traditionnelle et extrêmement fréquente – les exemples abondent, je ne peux tous les citer ici – , il considère le droit de propriété comme un principe qui connaît des limites très fortes. Parfois, on peut aller jusqu'à la privation du droit de propriété, fondée sur l'article 17 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen – je vous renvoie aux nationalisations, qui supposent une juste et préalable indemnisation ; parfois, il ne s'agit que d'atténuations, qui doivent néanmoins être justifiées par un motif d'intérêt général et proportionnées.

Le motif d'intérêt général doit être énoncé par le législateur. Or, si l'on reprend le cas de la loi relative aux sociétés d'aménagement foncier et d'établissement rural, celui-ci avait donné aux SAFER un droit de préemption lors de la vente des parts sociales de propriétés agricoles, afin d'éviter que des acquéreurs étrangers – des Chinois, par exemple – ne les achètent.

Qu'il s'agisse du droit de propriété ou de la liberté d'entreprendre, le législateur est donc libre d'atténuer ces principes, à condition que ce soit pour un motif d'intérêt général. Le rôle du Conseil constitutionnel est de vérifier que les atteintes portées aux principes ne sont pas disproportionnées par rapport aux objectifs fixés par le législateur. En l'occurrence, dans le cas que j'évoquais – il se trouve que je connais un peu le sujet – , si le Conseil constitutionnel a annulé certaines dispositions concernant les SAFER, c'est parce qu'il a considéré que le droit de préemption qui leur était accordé ne permettait pas d'atteindre l'objectif que s'était fixé le législateur, c'est-à-dire de restituer à des propriétaires privés les terres agricoles. C'est bien en raison de cette décorrélation entre le moyen utilisé et l'objectif fixé que le Conseil constitutionnel a utilisé son pouvoir de censure.

C'est également le cas d'autres lois, que vous avez citées mais que je ne détaillerai pas ici. Je pense notamment au texte relatif au devoir de vigilance des sociétés mères et des entreprises donneuses d'ordre, qui exigeait que ces sociétés établissent un plan de vigilance. Ce n'est pas ce plan ni sa nécessité au regard de la responsabilité sociale des entreprises qui ont été annulés, c'est la sanction civile prévue, dont le Conseil a jugé qu'elle était disproportionnée.

C'est une jurisprudence assez subtile, et je ne m'y attarderai pas davantage. Je comprends votre intention lorsque vous souhaitez inscrire dans la Constitution la notion de « bien commun » : vous estimez que le législateur doit reprendre la main, définir le bien commun et les limites qui doivent être mises au droit de propriété. Je vous réponds que le législateur peut déjà imposer ces limites, à condition de respecter les autres éléments fondamentaux de l'État de droit, en effet garantis par le Conseil constitutionnel.

Il me semble que l'équilibre des droits est ainsi préservé. J'émets donc un avis défavorable sur les amendements en discussion commune.

Aucun commentaire n'a encore été formulé sur cette intervention.

Cette législature étant désormais achevée, les commentaires sont désactivés.
Vous pouvez commenter les travaux des nouveaux députés sur le NosDéputés.fr de la législature en cours.