J'ai écouté avec beaucoup d'intérêt ce que vous venez de nous présenter, et je rends hommage à ceux qui ont pris l'initiative de cette démarche. Si je comprends bien, il vous faut faire preuve de patience, la collecte et le traitement des données prenant beaucoup de temps.
Outre la problématique du temps, il y a également une problématique de la complexité de la démarche, puisque vous avez dû vous mettre dans la peau des industriels pour comprendre leurs stratégies commerciales et les leviers économiques que vous pourriez faire jouer pour les faire changer de stratégie, s'agissant de la composition des produits.
Comment arriver à obtenir une modification de stratégie commerciale chez les producteurs de produits alimentaires ?
Vous avez aussi souligné les problèmes d'ordre « psycho-sociologique », c'est-à-dire comportemental. Vous nous avez clairement expliqué que le consommateur était versatile ou avait des comportements de déplacement, et combien il était difficile de les accompagner dans une démarche de frustration.
Avez-vous pu analyser quel était le processus de formation du goût ? Puisque, en définitive, les entreprises qui voudraient se lancer dans des démarches vertueuses sont prisonnières de ce qu'elles ont elles-mêmes créé, c'est-à-dire une accoutumance, une addiction au sucre, au sel et aux matières grasses. Et maintenant qu'elles souhaitent évoluer, pour des objectifs purement économiques, ou d'image de marque, elles ont des difficultés à conserver leurs clients.
Puisque les fabricants de produits ont réussi à créer ces dépendances, comment ces mêmes entreprises pourraient-elles participer à un processus de désaccoutumance ?
Vous avez indiqué que l'opinion publique ne s'était pas assez mobilisée pour faire pression sur les fabricants. Je ferai une comparaison avec les pesticides, pour lesquels l'opinion publique s'est émue de la présence, notamment, de glyphosate – ou d'autres phytopharmaceutiques – dans les aliments.
Comment se fait-il que nous n'arrivons pas à déclencher la même inquiétude sur les dégâts sanitaires provoqués par l'excès de sucre, de sel et de gras ? N'y a-t-il pas un problème de portage éducatif ou de portage informatif ? Comment pourrions-nous provoquer la même prise de conscience et d'inquiétude que pour le glyphosate ?
Pour changer les habitudes des fumeurs, par exemple, il a été mis sur les paquets de tabac des photos très violentes, des campagnes sur le tabac expliquent que fumer est nuisible pour la santé, etc. Ne pourrait-on pas trouver un moyen de faire de même pour l'alimentation – par des stimulis positifs et négatifs, comme l'inquiétude et la peur – à défaut de pouvoir responsabiliser les consommateurs ?
Vous nous dites qu'il serait peut-être possible de reformuler les produits à condition que toute une filière s'engage et se mette d'accord sur un standard de qualité. Je reviens sur l'exemple du glyphosate et des phytopharmaceutiques : l'opinion publique a été tellement pressante sur les pratiques agricoles que le monde de l'agriculture est en train de se mobiliser pour travailler par filière de production. Et même si ce ne sera pas simple, je pense que nous allons arriver à des accords par filière.
Avec l'aide des associations de consommateurs, de pathologies et autres, ne pourrait-on pas faire évoluer, par filière, les critères qualitatifs et faire en sorte, comme pour les agriculteurs, que les filières s'y retrouvent économiquement ?
Avec ces questions, je rebondis sur vos propres observations pour essayer de voir, avec vous, comment nous pourrions construire une stratégie, votre objectif n'étant pas uniquement de collecter des données et de les analyser ; il est aussi de participer à la construction d'une politique publique en relation avec les différents ministères concernés.