Intervention de Fabien Roussel

Séance en hémicycle du lundi 17 septembre 2018 à 16h00
Lutte contre la fraude — Discussion générale

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaFabien Roussel :

Monsieur le président, monsieur le ministre, chers collègues, le 5 août dernier, le tribunal administratif suisse a refusé de transmettre aux autorités françaises les données de plusieurs milliers de clients, contribuables français, de la banque UBS soupçonnés d'être fiscalement domiciliés en Suisse. Quel était le motif avancé par le tribunal ? « Le seul fait de détenir un compte bancaire en Suisse ne suffit pas. » Pourtant, la banque suisse UBS, même si elle conteste les charges, est toujours sous le coup d'une procédure judiciaire en France pour démarchage illicite et blanchiment aggravé de fraude fiscale, et ce n'est pas une première.

Grand pays de fromages, la Suisse reste surtout celui des coffres-forts bien gardés, malgré la mise en place de procédures d'échanges automatiques d'informations. Le bilan détaillé des fortunes détenues aujourd'hui dans la Confédération, à défaut de l'identité des bénéficiaires, dont de riches contribuables français, a de quoi donner le vertige : plus de 2 100 milliards d'euros appartiennent à des non-résidents, soit quasiment le PIB de la France.

Évasion, optimisation ou fraude fiscale : la nuance se niche dans l'épaisseur d'un mur de prison. Encore faut-il que les fraudeurs y aillent ! Depuis 2008, les banques ont payé 321 milliards de dollars d'amendes, et vous ne trouverez aucun dirigeant derrière les barreaux !

Dans tous les cas, on retrouve cette opacité qui trahit ceux qui n'ont pas la conscience tranquille. Et si on parlait plutôt de « richesse manquante des nations » ? On peut toujours discuter les chiffres mais l'accumulation des scandales, des révélations contribuent à dresser un panorama fidèle de la triche fiscale planétaire. Le montant des avoirs détenus dans les paradis fiscaux atteindrait désormais les 7 900 milliards d'euros. Voilà la réalité du phénomène, telle que la décrivent des économistes, des associations, des lanceurs d'alerte, en s'appuyant sur toutes les données statistiques existantes, voire, pour certains, sur une coopération étroite avec les administrations fiscales.

Les multinationales délocalisent aujourd'hui une fraction considérable de leurs bénéfices vers les Bermudes, le Luxembourg et autres Îles Caïman. Pour résumer, je dirais que l'évasion fiscale est au coeur du réacteur nucléaire de la fraude. C'est elle qui siphonne nos recettes, met en péril les politiques publiques et détruit le pacte social en contournant le principe du consentement à l'impôt.

Dans un tel contexte, votre loi, malgré quelques avancées intéressantes, tient davantage du pétard mouillé que de la charge au canon promise. Certes, c'est à la fin du bal qu'on paye les musiciens, mais il reste beaucoup de travail pour être à la hauteur des enjeux.

Au chapitre des avancées, il y a évidemment l'assouplissement du verrou de Bercy. Bravo à Émilie Cariou mais pourquoi ne pas le faire sauter complètement ? En l'état actuel du texte, moins de la moitié des 4 800 plus gros dossiers de fraude fiscale, ceux qui dépassent le seuil des 100 000 euros et qui ont fait l'objet des plus fortes majorations, seraient transmis automatiquement à la justice. Ouf ! Mais les autres gros dossiers, ainsi que les 10 200 dossiers que l'on dit « répressifs » resteraient soumis à l'appréciation de l'administration fiscale et de la Commission des infractions fiscales. On avance, certes, mais comme révolution, franchement, on a vu mieux ! D'autant que rien n'est prévu pour associer le parquet à l'administration fiscale dans la sélection des dossiers. Les députés communistes vous feront des propositions dans ce sens.

En fait, votre projet de loi, à l'image de ce que vous faites sur l'exit tax, c'est un pas en avant, un pas en arrière, c'est une valse-hésitation. D'un côté, vous prévoyez la publication, par défaut, du nom des fraudeurs. C'est bien mais de l'autre, vous étendez à la fraude fiscale la procédure dite du plaider-coupable, qui permet le plus souvent aux justiciables les plus puissants de s'affranchir d'un procès public. Bref, ils sont toujours exonérés de la case prison.

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