Les deux propositions de loi que nous examinons aujourd'hui portent une ambition louable : celle de lutter contre la manipulation de l'information. Elles entendent ainsi répondre à un impératif : protéger nos sociétés démocratiques des tentatives de déstabilisation dont elles font l'objet. Les événements survenus aux États-Unis, en Grande-Bretagne, ou en France durant la dernière campagne électorale, ont démontré la nécessité d'une action rapide afin de se prémunir contre les tentatives d'influence d'entités étrangères, qui ont pour seul but de saper les fondements de nos sociétés ouvertes.
Nous l'avons souligné avec force lors des débats en première lecture : le groupe UDI, Agir et indépendants partage les préoccupations de La République en Marche et du Gouvernement face au danger que fait peser la prolifération des fausses informations. Si la grande loi de 1881 sur la liberté de la presse évoquait déjà les fausses nouvelles, nos prédécesseurs, lors des débats parlementaires, s'étaient à juste titre très peu attardés sur les articles sanctionnant ce délit, tout au plus avaient-ils fait remarquer qu'en cas de publication en début de journée d'une information manifestement fausse, un quotidien du soir se chargerait de publier un démenti ; la vitesse de circulation de l'information étant alors limitée par les moyens de communication de l'époque, le dommage qui en résultait était relativement faible et, en tout état de cause, il était possible de le circonscrire et d'en prendre toute la mesure. Or, ce qui fait débat aujourd'hui n'est plus réellement le caractère faux d'une information, mais sa rapidité de circulation et l'impossibilité d'avoir une quelconque emprise sur sa diffusion, en raison de la multiplication des supports et des relais dans sa transmission, ainsi que le caractère concerté et calibré de telles campagnes de manipulation, qui ciblent ouvertement nos élections démocratiques et répandent de fausses rumeurs en vue d'en influencer le résultat : en instillant le poison subtil du doute et de la défiance, elles minent non seulement nos institutions démocratiques mais tentent aussi de discréditer le travail journalistique. Le diagnostic à l'origine de ces propositions de loi est donc le bon et vous avez raison de souligner le caractère inédit de cette menace.
Si nous partageons votre analyse, nous émettons toutefois des réserves sur le dispositif que vous nous proposez.
Nous avons d'abord quelques objections de forme. Nous comprenons certes la volonté de s'en remettre à la représentation nationale, incarnation directe de la volonté du peuple et instance la plus légitime pour légiférer sur un sujet d'une telle gravité. Le choix d'en passer par deux propositions de loi, une organique et l'autre ordinaire, procédait donc une logique que nous partageons. Il a eu cependant comme conséquence de priver la représentation nationale d'une étude d'impact en bonne et due forme, et nous le regrettons. La qualité de nos débats en première lecture n'en aurait été que meilleure et nous aurions peut-être évité des controverses devenues alors inutiles. L'avis du Conseil d'État, sollicité à juste titre par le président de l'Assemblée nationale – et nous l'en remercions – , a certes permis de préciser les choses.
Nous sommes par ailleurs partagés sur le dispositif que vous proposez. Nous saluons les mesures prévues au titre II, qui visent à armer davantage le Conseil supérieur de l'audiovisuel. Dans un monde ou l'information constitue un enjeu économique mais aussi géopolitique et culturel, il est essentiel de pouvoir parer aux menaces et aux tentatives de déstabilisation de médias sous influence étrangère.
Nous sommes également favorables à l'ajout par le rapporteur de mesures visant à une meilleure éducation aux médias, étant convaincus que sur ce sujet, plus que sur aucun autre, l'éducation aux médias et à l'information est fondamentale – ce que vous avez souvent évoqué, madame la ministre. La lutte contre les fake news et les théories du complot passe par la pédagogie. Il est essentiel de sensibiliser davantage et d'éduquer, notamment les plus jeunes, à la détection des fausses informations. En effet, les nouvelles générations, nées dans un monde essentiellement digitalisé et bercées par cet environnement numérique, ne voient souvent dans les nouvelles technologies que des avantages, et sont par ailleurs les plus assidues sur les réseaux sociaux, ceux-ci constituant souvent leur unique source d'information. C'est pourquoi un enseignement au numérique dans les écoles est absolument incontournable. Je ne doute pas d'ailleurs que la présentation de votre rapport sur ce sujet demain en commission des affaires culturelles sera, monsieur le rapporteur, cher président de la commission, l'occasion d'un débat fructueux.
En revanche, les dispositions du titre premier, particulièrement le nouveau référé que le texte vise à instaurer, emportent des interrogations qui ne sont pas levées. Sans entrer dans un débat sur la notion de fausses informations, nous alertons sur le risque de censure : alors que le juge des référés est par définition le juge de l'évidence, il lui sera très difficile de statuer sur le caractère manifestement faux d'une information dans le délai très court des quarante-huit heures imparties. Et comment s'assurer de l'efficacité de cette procédure lorsque l'on sait qu'un contenu sera, d'un simple clic, partagé des millions de fois en quelques heures ? Il aura donc un impact bien avant la saisine du juge, qui ne pourra en rien en effacer les effets.
À ce sujet, une action concertée au niveau européen avait notre préférence. Nous nous réjouissons d'ailleurs de la signature, le 26 septembre dernier, à l'initiative de la Commission européenne, d'un code de bonnes pratiques contre la désinformation en ligne avec des acteurs majeurs du secteur du numérique et de la publicité. La définition de la fausse information adoptée dans ce code, c'est-à-dire toute information dont on peut vérifier qu'elle est fausse et destinée à tromper, nous paraît d'ailleurs davantage opérationnelle. Elle a le mérite de la clarté et du pragmatisme, offrant un vif contraste avec l'imprécision de la définition retenue à l'article 1er, qui n'inclut pas la notion d'intentionnalité, pourtant fondamentale. Par ailleurs, la démarche européenne s'appuie davantage sur une logique de responsabilisation des plateformes. Il s'agit d'un sujet sur lequel nous devons absolument avancer, tant celles-ci ne sont pas seulement des hébergeurs, leur rôle s'apparentant de plus en plus à celui d'un éditeur.
Notre groupe, s'il reconnaît l'intérêt et la pertinence de nombre de dispositions prévues dans ces propositions de loi, aborde cependant leur examen avec des réserves en raison du caractère inabouti de la procédure de référé que vous entendez appliquer. Mais je ne doute pas que vous apporterez quelques éclaircissements.