Monsieur le président, monsieur le ministre, messieurs les rapporteurs, reconquérir le coeur perdu des territoires oubliés de la République, leurs habitants et ceux qui les représentent : c'est le nouveau mot d'ordre du Président et de votre gouvernement. Même si des événements mal maîtrisés – pouvoir d'achat, hausse des prix du carburant – brouillent le message, tout a été organisé récemment pour cette opération de reconquête, à l'image de cette semaine d'itinérance entre passé et présent, à la rencontre des territoires perdus et des Gaulois réfractaires que l'Elysée redécouvre soudainement ; à l'image également de cette attention particulière, dans la formation du nouveau gouvernement, portée aux territoires, auxquels on promet un super-ministère pour recoller les assiettes brisées par la politique de l'exécutif depuis quinze mois.
Ce temps de mue politique coïncide avec l'échéance budgétaire. Alors les discours se font rassurants et on nous promet la fin des coupes claires.
« Ce gouvernement a arrêté de baisser les dotations pour les collectivités territoriales », affirme la ministre. Dans ce scénario de l'idylle renouée entre le Gouvernement et les territoires, on entend : stabilité pour 2019. Mais la stabilité avec une inflation à 1,7 %, c'est une baisse. Dans votre discours, les subtilités techniques dissimulent des restrictions. Dans la vie réelle plus de 5 000 communes verront, pour de bon, leur dotation baisser. On peut multiplier les citations de mesures techniques glissées dans le budget voté par la majorité et dont les effets alourdiront le fardeau des collectivités : par exemple, la taxe sur le gazole non routier, qui double, pour financer la loi PACTE et non la transition écologique. Avec elle se profile une inflation des prix des chantiers des travaux publics et du bâtiment et donc un frein à l'investissement public.
Autre exemple : la fin de la garantie de la dotation de solidarité rurale, que les communes nouvelles de plus de 10 000 habitants vont découvrir à leur dépens. Il y a aussi les promesses généreuses faites sur un coin de table pendant la campagne, mises en oeuvre dans la précipitation, à l'image de la suppression de la taxe d'habitation, qui réduit l'autonomie des communes et dont le schéma de fonctionnement d'ensemble, encore loin d'être bordé, promet une usine à gaz dont chacun craint d'être le perdant.
Tout cela ne consolide pas la relation de l'État avec les collectivités. Hors du champ des éléments de langage, c'est un autre film qui se projette. Sous une apparence de stabilité, la réalité est tout autre : 850 millions d'euros sur les contrats aidés, des associations qui prennent le bouillon, le lien social qui s'effiloche et des collectivités obligées de jouer les pompiers.
Autre réalité derrière cette fausse stabilité : 1,2 milliard pris sur les aides personnalisées au logement, des bailleurs sociaux mis en difficulté, le logement atteint, dans nos villes, dans les bourgs, touchés dans leur chair, et des collectivités appelées à la rescousse pour équilibrer les opérations de logement social. Ou encore, des services publics d'État qui ne sont plus en capacité de faire leur travail de conseil auprès des collectivités parce qu'ils sont à l'os.
Vous prolongez la trajectoire tracée par Nicolas Sarkozy, poursuivie par François Hollande. En dix ans, la principale dotation aux collectivités a presque diminué de moitié. Mais ça ne suffit pas : vous inventez la contractualisation de l'austérité avec les « contrats de maîtrise de la dépense publique ». Cette création au service de la rigueur punitive, assortie de sanctions, vise à faire économiser 13 milliards à l'Etat. C'est une recentralisation déguisée.
Oui, les relations entre l'État et les collectivités sont en mauvaise santé. Au-delà de la fiction de l'idylle renouée, vous ne l'améliorez ni avec ce budget ni avec les prochains, au regard de la trajectoire annoncée : vous la dégradez.
Le malaise des maires est le symptôme le plus inquiétant de cette affection. Les maires, qui sont le dernier maillon de la démocratie représentative, qui incarnent la politique au quotidien dans leurs relations étroites et souvent personnalisées avec leurs administrés, sont fatigués d'être dépossédés, écrit Luc Rouban, chercheur au CNRS. Pèsent sur les élus locaux la baisse des dotations, le coup de canif à la cohésion sociale auquel aboutit la réduction brutale des emplois aidés, l'assignation à des intercommunalités mastodontes, outils de la rationalisation de la dépense publique, de la technocratisation de la vie locale et du recul de la démocratie, les injonctions permanente d'un État de plus en plus contrôleur et de moins en moins payeur.
Peut-être dans cent ans rendra-t-on hommage à ces maires. On dira : ils ont tenu le front, ils ont tenu les tranchées de la crise. Nous souhaitons simplement qu'on modifie votre budget, au lieu d'attendre cent ans pour se recueillir sur la stèle du maire inconnu !