Intervention de Yannick Haury

Réunion du mardi 13 novembre 2018 à 17h00
Mission d'information sur la gestion des évènements climatiques majeurs dans les zones littorales de l'hexagone et des outre-mer

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaYannick Haury, rapporteur :

J'ai été heureux de rapporter au nom de la mission créée par la Conférence des présidents cet important travail, et je veux en préambule vous remercier, madame la présidente, de votre constante attention. Au cours de notre réunion du 24 octobre, vous avez cependant différé la mise aux voix de la publication, pour laisser à chacun le soin éventuel de contribuer personnellement au rapport, ce qui a été fait. Si le rapporteur assume, ainsi qu'il est normal, son contenu, j'ai largement pris en compte les observations et modifié plusieurs points. Comme chacun, je partage l'intention de ne pas désigner des coupables ni des responsables. Comme chacun, je souhaite que cesse la fragilisation des côtes et que le recul du trait de côte fasse enfin l'objet d'une réglementation. Comme chacun, je constate la dégradation du climat et les conséquences amplifiées des catastrophes.

Face à la violence d'un cyclone, à la marge d'indétermination de sa puissance, les réponses humaines semblent toujours dérisoires. Pour autant, la nécessaire faiblesse de cette conclusion ne saurait empêcher que l'évaluation parlementaire menée au sein de cette mission d'information débouche sur des suggestions concrètes.

Une fois le constat fait d'une insuffisance prise de conscience du risque en amont, une fois l'amplification des phénomènes intégrée comme une évidence – à Madagascar, avec 300 000 sinistrés ; à la Dominique, à Porto Rico en septembre 2017, avec près de 5 000 victimes ; en Caroline du Nord en septembre 2018 – ; une fois analysées la phase des premiers secours et les chaînes de commandement, l'attention se porte naturellement sur les lenteurs de la reconstruction à Saint-Martin. Il ne s'agit pas, je le redis, de pointer quiconque du doigt mais de proposer des pistes d'amélioration. Tel est l'enjeu de l'évaluation parlementaire. Si l'objet même de la mission était doublement limité, géographiquement aux seuls risques littoraux, ponctuellement aux seuls évènements climatiques majeurs et non aux changements climatiques à long terme ou à d'autres enjeux liés au développement durable, ses conclusions ne se cantonnent pas à un seul secteur, mais cherchent bien à appréhender toutes les incidences de ces évènements – cyclones, tempêtes ou submersions – dans leurs diversités, humaines, économiques et juridiques, en métropole comme outre-mer.

Pour ce faire, la mission a adopté successivement trois approches : scientifique, à la fois dans les aspects climatiques et démographiques – la concentration de près de 9 millions de nos concitoyens sur les zones littorales fragilisées accroissant évidemment les risques ; évaluative s'agissant de la prévention, de l'information des populations, des alertes et de la gestion de crise ; prospective en ce qui concerne les conditions de la reconstruction, mais aussi sur la manière d'appréhender au mieux, à l'avenir, les risques.

La mission a appliqué ces approches aux diverses problématiques qu'elle a rencontrées : la phase d'anticipation du risque et plus précisément celle de l'alerte ; la gestion in situ des cyclones et des phénomènes climatiques ; enfin, toutes les questions liées à la reconstruction.

Nous avons naturellement pris en compte la grande complexité du réel, liée à la partition de l'île, à l'ampleur des dégâts provoqués par cet ouragan d'une violence sans précédent à Saint-Martin, avec des rafales dépassant les 400 kilomètres par heure alors que le seuil de résistance du béton est de 250 kilomètres par heure, provoquant plus de 25 000 sinistres, dont une part importante, qui plus est, concerne des biens non indemnisés, dont au moins 750 habitations.

J'assume donc totalement les propositions de ce rapport et souhaite insister sur trois sujets.

La première nécessité est l'amélioration de la culture du risque : créer un système d'« alerte cyclone » à l'instar du système « alerte enlèvements », qui serait déclenché par le préfet et diffusé non seulement par les médias de la zone mais également par les opérateurs de téléphonie mobile ou les sites internet partenaires ; former les populations par des exercices cycloniques outre-mer et dans l'hexagone ; obliger les professionnels de l'immobilier à informer leurs clients ; étendre l'édiction des plans de protection des risques naturels (PPRN) ; adapter les documents d'urbanisme ; lutter contre l'information disséminée et les fausses nouvelles ; enfin, s'intéresser au recul du trait de côte en adoptant une législation adaptée. La préparation des populations doit être assurée sur le long terme.

La seconde nécessité a trait aux aspects juridiques : il faut, en matière environnementale, une programmation à moyen terme, globale et cohérente. L'action par à-coups ou par réponse immédiate aux catastrophes est insuffisante. Une vraie planification fait défaut : la programmation pluriannuelle de l'énergie (PPE) ne saurait en tenir lieu. Il faut un débat et un vote parlementaire sur les orientations environnementales à moyen terme pour éviter les à-coups, politiquement lourds à assumer, qui démobilisent les acteurs, freinent les investisseurs et révoltent les contribuables. Les effets d'annonce sont en eux-mêmes dommageables. Je plaide donc pour des lois quinquennales de transition énergétique, régulièrement soumises au vote parlementaire, qui assurent une planification et fixent des objectifs. Je propose aussi qu'un débat parlementaire ait lieu après les grands évènements climatiques, comme cela se passe en matière d'opérations militaires.

Enfin, si elle est perfectible, l'organisation immédiate des secours appelle un jugement positif. Le rapport détaille les chaînes de commandement, et s'il suggère des améliorations ponctuelles, des moyens renforcés, votre rapporteur a trouvé, en général, des personnes particulièrement impliquées mobilisées, attentives aux retours d'expérience. Peut-être faut-il améliorer la synergie entre les commandements militaires et les préfectures. Sans doute convient-il de désigner un interlocuteur unique des médias pour ne pas encombrer physiquement météo France, dont les moyens budgétaires, comme ceux du Centre d'études et d'expertise sur les risques, l'environnement, la mobilité et l'aménagement (CEREMA), doivent faire l'objet de toute notre attention. Assurément est-il nécessaire de mieux sécuriser les zones touchées par un cyclone. Après réflexion, je suggère que les préfets puissent soit faire évacuer les populations en cas de nécessité, soit mieux assurer leur confinement. Xynthia, comme les inondations récentes, a démontré que des accidents auraient pu être évités si les victimes avaient suivi les indications, ce qu'elles auraient été obligées de faire si celles-ci avaient été plus impératives. Sans doute aussi les pillages auxquels on a assisté à Saint-Martin auraient-ils pu être sinon évités, du moins limités, si l'on avait pu anticiper ce phénomène, qui a ajouté à l'inquiétude des populations.

Les normes de construction et les implantations urbaines, dans les outre-mer comme dans les zones littorales de l'hexagone, doivent être pensées en fonction de la probabilité d'évènements climatiques violents. Nous ne pouvons-nous en remettre à une croyance en la technique salvatrice, qui prévoirait tout, sécuriserait tout, mais à agir dans un monde incertain en fonction de l'aléa. Le rapport fait plusieurs suggestions, y compris pratiques, mais la question de l'élimination des déchets est cruciale, et il faut ici souligner la bonne organisation à Saint-Barthélemy et Saint-Martin, qui hélas ne suffit pas à résoudre l'ampleur des quantités à éliminer.

Il faut désormais reconstruire, ce qui passe sans doute par une adaptation des structures administratives, des systèmes d'assurance, des normes, par la mise en place d'un plan local d'urbanisme (PLU). Ces remarques s'appliquent aussi bien à la métropole – j'ai vu en Méditerranée des implantations sur le domaine public, en baie de Somme des constructions qui fatalement doivent être abandonnées du fait de l'évolution du trait de côte, des habitations en zone inondable, problème que la révision, par la loi portant évolution du logement, de l'aménagement et du numérique (ELAN), de la notion de construction en discontinuité devrait contribuer à résoudre etc. – qu'aux outre-mer.

Si les victimes sont souvent traumatisées, ou ressentent les manques immédiats que provoquent les évènements, il n'est pas aisé pour autant de conclure de ces constats où se situent les insuffisances de la prévention et de dégager les moyens d'y remédier. Si l'on ne peut, par exemple, que regretter que la reconstruction de Saint-Martin n'avance pas plus rapidement, on doit constater que cette situation est due à de multiples causes.

Il ne s'agit pas de mettre en cause des responsabilités ; au demeurant, la mission a rencontré beaucoup plus d'acteurs mobilisés et impliqués, y compris personnellement, que de carences ou de découragements. Il s'agit d'analyser dans tous les secteurs, des secours d'urgence au droit de l'urbanisme, ce qui, face à des évènements violents et incontournables, permettra d'améliorer la gestion des situations. Font encore défaut une véritable culture du risque, un cadre juridique adapté aux ouvrages de protection, une adéquation de règles d'urbanisme aux évènements et une meilleure programmation, à long terme, des risques climatiques.

Paul Valéry a écrit « Le vent se lève… » mais pour ajouter aussitôt après : « Il faut tenter de vivre ! ». C'est bien au défi d'un aléa aux effets de plus en plus dévastateurs lorsqu'il se produit qu'il faut en permanence se préparer. Nos concitoyens, qui ne voient souvent dans le littoral qu'un espace de liberté, de loisirs, de bien-être ou parfois de luxe, doivent aussi savoir que la fragilisation des côtes amplifie les conséquences des évènements climatiques. On ne peut empêcher les évènements, leur intensité est de plus en plus violente, mais on peut mieux ajuster les politiques publiques et la prévention. Le rapport se termine par une photo qui résume ce paradoxe en Loire-Atlantique. La digue – et j'incite à un travail parlementaire sur le thème des ouvrages de protection tant la réglementation est inadaptée, comme l'a révélé par ailleurs l'affaire de l'immeuble Le Signal à Soulac-sur-mer – est consacrée à la « Loire à vélo », donc au tourisme, mais elle ne protège pas, comme l'a montré Xynthia, contre le risque de submersion de l'établissement d'hébergement pour personnes âgées dépendantes (EHPAD) situé en contrebas ! La protection paraît souvent secondaire, sauf lorsqu'elle ne remplit pas son rôle suite à une catastrophe.

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