Bien évidemment, je ne remets pas en cause le besoin de médiation – on y a d'ailleurs répondu en partie, avec des procédures de médiation qui existent déjà – , auquel j'ajouterai le besoin de conciliation, même s'il est d'une autre nature. Certains de mes collègues ont, du reste, quelques vues différentes en la matière. Je n'ai pas de difficulté à ce sujet : mes propos s'inscrivent dans la droite ligne d'un rapport que George Pau-Langevin et moi-même avions rédigé, « L'accès au droit et à la justice : une nécessité pour une société démocratique », qui me semble toujours d'actualité. L'amélioration de l'accès de tous à la justice passe effectivement par le développement de modes alternatifs de résolution des conflits. La médiation et la conciliation sont donc à promouvoir, à condition que tout cela soit encadré.
Cependant, avec le tout-numérique, le risque est grand de voir, de manière très paradoxale, le nombre de saisines diminuer largement, parce qu'un certain nombre de nos concitoyens pourraient ne pas s'y retrouver. Dans ce cas, la justice ne sera pas rendue, à la grande exaspération de nos concitoyens et à la grande déception de celles et ceux qui nous attendent au tournant.
À ce stade, j'ouvrirai une petite parenthèse à propos de la conciliation. Les conciliateurs de justice sont souvent des retraités. Ils n'attendent, vous le savez, aucune reconnaissance de leur investissement, du temps consacré à leur tâche, au-delà de la bonne résolution, en bonne intelligence, de certains litiges. Ils ne revendiquent aucune indemnité d'importance ou qui constituerait un salaire déguisé. Néanmoins, dans la logique de ce qui a déjà été fait, il importe au moins de mieux les reconnaître, de les équiper de certains outils et d'accroître comme il se doit leur indemnisation, notamment kilométrique, d'autant que le prix des carburants est loin d'être sage en ce moment, vous le savez comme moi et l'actualité le rappelle – n'étant pas revêtu de gilet de couleur, je n'en dirai pas plus…
Il est aussi affirmé que la justice doit être aussi inclusive que possible. Parfait ! Mais on a beau chercher, pour le moment, rien dans le projet de loi ne va réellement dans le sens d'une justice attentive aux plus démunis – quand je dis « rien », je suis sans doute un peu excessif, car le texte comporte tout de même quelques éléments.
Ainsi, quid de la nécessaire réforme de l'aide juridictionnelle ? Elle est bien citée dans le rapport annexé, mais sans concrétisation précise. Certes, une mission a été confiée à ce sujet à l'inspection générale des finances et à l'inspection générale de la justice – nous en avons discuté il y a quinze jours – , mais il aurait été évidemment plus judicieux et intéressant de lier la réforme de l'AJ, l'aide juridictionnelle, à des pistes contenues dans ce projet de loi ou à des éléments beaucoup plus concrets. C'est une question de cohérence, mais aussi sans doute d'efficacité. Trouver des créneaux parlementaires adaptés n'est jamais chose aisée ; l'encombrement est tel que les trains de réformes se suivent parfois difficilement, voire se carambolent.
L'aide juridictionnelle – qui n'a fait l'objet, depuis la loi fondatrice du 10 juillet 1991, que de modifications légères, y compris ces dernières années, je le reconnais bien volontiers – souffre depuis trop longtemps de difficultés, comme nous l'avions démontré dans le rapport précité, publié en 2011. Sept ans après, nous en sommes, hélas, toujours au même point. Dans le même temps, notre pays a pourtant connu de profondes évolutions et les justiciables expriment des besoins d'une complexité croissante, comme en atteste l'explosion des contentieux. Dans ces conditions, ne pas avoir de droits ou ne pas être en mesure de les défendre constitue une même forme de dysfonctionnement pour une société démocratique. Les avocats ont raison de rappeler avec force, régulièrement et particulièrement en ce moment, ce qu'il en est du respect des droits. Oui, le respect des droits de la défense passe d'abord par la possibilité de se défendre…