Depuis plusieurs mois, madame la ministre, vous avez tenté de rassurer les élus locaux, les avocats et les justiciables, en affirmant que, loin de la brutalité de vos prédécesseurs, vous ne procéderiez à aucune fermeture de lieux de justice. Mais vous ajoutiez – et vous le répétez aujourd'hui – qu'il faut aussi améliorer notre organisation. En d'autres termes, vous ne les fermerez pas, mais que d'autres s'en chargeront à votre place.
Vous donnez par ailleurs des pistes à suivre, par fatalité, convaincue de l'existence d'une évolution naturelle à laquelle nous ne pouvons que difficilement échapper. Malheureusement, nous le savons par expérience : si nous ouvrons le champ des possibles en cette matière, les résultats finiront pas dépasser les objectifs initiaux, avec pour conséquence d'éloigner nos concitoyens de la justice.
La première piste, c'est la fusion administrative des tribunaux de grande instance et des tribunaux d'instance, avec la possibilité pour les chefs de cours d'adapter l'organisation des tribunaux d'instance en nouvelles chambres spécialisées appelées tribunaux d'instance.
La deuxième piste, c'est la création de pôles de compétences dans les tribunaux de grande instance des départements où il en existe plusieurs. Là aussi, les chefs de cour auront la main pour attribuer des contentieux spécialisés à un tribunal.
La troisième piste, encore plus préoccupante, vise à expérimenter dans cinq régions comportant plusieurs cours d'appel l'exercice, par l'une d'entre elles, de fonctions d'animation et de coordination, ainsi que la spécialisation des contentieux. Une expérimentation de cette envergure équivaut à une généralisation, d'autant que votre texte ne pose aucune condition relative à la volumétrie et à la technicité des affaires, laissant craindre toutes les interprétations possibles.
Le projet de loi organique, enfin, est injuste en matière judiciaire et en regard du sens de la peine, avec la création du tribunal criminel départemental. Il en est fini de la cour d'assises pour certaines des atteintes les plus graves à la société, les crimes encourant quinze ans ou vingt ans d'emprisonnement. Pourquoi en arriver là ?
Les atteintes les plus graves à notre société ne sont plus jugées comme elles le devraient. La faute en revient non seulement à un engorgement des cours d'assises, auxquelles nous ne prévoyons toujours pas d'affecter plus de moyens pour remplir leurs missions, mais aussi à une possible autocensure des juges d'instruction, qui préféreraient voir juger plus rapidement ces crimes, devenus des délits, par un tribunal correctionnel.
Au nom d'une efficacité toujours recherchée, on écarte des lieux de justice les citoyens, revenant à une justice criminelle dite « moderne », mise en place à la Révolution française, avec un tribunal criminel départemental, des magistrats choisis et un jury criminel composé de citoyens.