Intervention de Stéphane Peu

Réunion du mercredi 19 décembre 2018 à 9h35
Commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l'administration générale de la république

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaStéphane Peu :

Je passerai rapidement sur les conditions dans lesquelles nous avons discuté le texte : j'approuve ce qu'ont dit MM. Philippe Gosselin et Ugo Bernalicis. J'ajouterai toutefois un élément de contexte : l'annonce surprise par la garde des Sceaux, dans l'hémicycle, d'une réforme par voie d'ordonnance de la justice des mineurs, issue de l'ordonnance de 1945. La profession a été aussi surprise que les parlementaires. Le sujet aurait nécessité, à tout le moins, un débat d'une autre nature.

Le présent projet de loi, en raison des inquiétudes qu'il soulève et de l'absence de consensus qu'il crée – pour ne pas parler de désaccords –, notamment dans le monde judiciaire, aurait dû connaître le même sort que le projet de révision constitutionnelle. En effet, le Président de la République a constaté, de manière extrêmement solennelle, l'existence dans le pays d'un mouvement qui prend sa source dans la fracture sociale et territoriale, et appelé à un nouveau contrat avec la Nation sur ces deux aspects. Or c'est précisément sur la dimension sociale et la dimension territoriale que le projet de loi est contesté. Beaucoup considèrent qu'il va aggraver la fracture territoriale en éloignant la justice du justiciable, en concentrant et en numérisant. Que ce soit là fantasme ou réalité, peu importe : très majoritairement, le pays et les professionnels de la justice considèrent que le projet de loi aura pour effet de creuser la fracture territoriale. Quant à l'aspect social, la réforme des tribunaux d'instance concerne bien la justice des petits contentieux, c'est-à-dire une justice de masse qui est aussi une justice du pauvre, avec le soupçon qu'elle soit mise à mal.

Il m'avait semblé, en écoutant le Président de la République et un certain nombre de membres de la majorité, que, dans leur acte de contrition quant à la façon dont le pays a été réformé depuis dix-huit mois, ils disaient, entre autres, vouloir être moins arrogants, moins coupés des réalités, prendre davantage en compte l'avis des uns et des autres, essayer de débattre et de fabriquer du consensus en amont de la loi. Or, dans le cas du projet de loi de réforme de la justice, qu'on le veuille ou non – et il est inutile de se retrancher derrière l'action supposée de lobbies : c'est là pur fantasme –, la communauté judiciaire, des magistrats aux avocats, en passant par les greffiers, les éducateurs spécialisés et l'administration pénitentiaire, est très majoritairement opposée au texte. Comment peut-on prétendre tirer enseignement des dix-huit derniers mois et des « erreurs » qui ont été commises – selon les propres mots du Président de la République et d'un certain nombre de membres du Gouvernement – tout en continuant de légiférer contre l'immense majorité de ceux qui sont les premiers concernés, à savoir les acteurs du monde judiciaire ?

Il y a quinze jours, je me suis rendu au Stade de France, non pas pour un match, mais pour la rentrée solennelle du Jeune Barreau. Des centaines d'avocats étaient présents, bien sûr, mais aussi des magistrats, des procureurs, des présidents de tribunaux de grande instance, ou encore des greffiers. Eh bien, il ne s'est pas trouvé une seule personne pour reconnaître la moindre qualité à votre texte. Vous devez le comprendre et inscrire ce projet à l'ordre du jour du débat national qui va s'ouvrir à la suite du mouvement des gilets jaunes. C'est le seul moyen d'être fidèle à la volonté du Président de la République.

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