Intervention de Nicole Belloubet

Séance en hémicycle du mardi 15 janvier 2019 à 15h00
Programmation 2018-2022 et réforme de la justice — Présentation commune

Nicole Belloubet, garde des sceaux, ministre de la justice :

Puisque nous abordons, dans cet hémicycle, le premier texte de 2019, permettez-moi de vous présenter à titre personnel mes voeux pour cette nouvelle année. Au-delà de nos divergences, naturelles, et même fructueuses dans une démocratie, je souhaite que cette année nous permette de retrouver une forme de concorde autour des valeurs essentielles de la République. J'ai une pensée particulière pour ceux d'entre vous, élus de la nation, qui avez subi ces dernières semaines des violences verbales et même parfois physiques qui m'ont profondément choquée. Dans ces circonstances, il nous appartient collectivement de montrer par nos échanges qu'il est possible de débattre dans le respect de l'autre et des règles élémentaires de la civilité démocratique. Je sais que chacun ici y est toujours attentif.

Nous abordons la nouvelle lecture de la loi de programmation et de réforme pour la justice et de la loi organique qui l'accompagne. Ce débat intervient quelques semaines seulement après un examen en première lecture qui aura duré cent heures, entre le travail en commission et en séance plénière. Personne n'aura ménagé ses efforts pour exposer ses convictions et ses propositions. Je voudrais rendre hommage au travail de vos deux rapporteurs qui ont apporté à l'examen de cette réforme leurs compétences mais aussi, je dois le dire, une forme de courage en allant sur le terrain pour en expliquer les objectifs et rappeler la vérité de ce texte. Ce n'est pas toujours simple dans le contexte actuel où sont exploitées bien des craintes infondées. Chère Laetitia Avia, cher Didier Paris, je voulais vous en remercier sincèrement.

Après des débats si complets en première lecture, il n'est plus nécessaire d'exposer le détail de cette réforme dont j'ai souhaité qu'elle soit avant tout orientée vers l'intérêt des justiciables. Je sais les reproches qui sont faits à ce projet. Comment pourrais-je les ignorer puisque, depuis près de dix-huit mois, je ne cesse de me déplacer dans les juridictions, auprès des barreaux de province, dans les établissements pénitentiaires, et de recevoir les représentants de tous les acteurs du monde judiciaire ? J'entends aussi les justiciables qui veulent une justice plus simple, plus facile d'accès, plus compréhensible.

J'ai souvent employé le mot « efficace » pour définir la justice que je souhaite pour les Français. Mais une justice plus efficace ne signifie pas une justice moins humaine ; ce n'est pas une justice qui ignorerait nos principes et nos valeurs, une justice qui refuserait de juger, une justice au rabais. C'est au contraire une justice qui offre à chacun d'entre nous, quel que soit son parcours de vie, sa profession et ses origines, la possibilité de voir son cas traité dans des délais rapides mais sans précipitation, avec des juges et un personnel plus nombreux et mieux outillés, dans des locaux décents, selon des procédures simples et lisibles, et en pouvant faire valoir ses droits, notamment grâce à l'assistance d'un avocat.

Nous avons entre nous des désaccords, qui ont été longuement présentés par chacun des groupes de l'Assemblée. Nous pouvons avoir des débats de principe sur des orientations structurantes. À ma gauche, j'ai par exemple entendu en première lecture le refus de voir construire de nouvelles places de prison ; à ma droite, j'ai dans le même temps entendu les critiques et le souhait de nous voir avancer plus loin et plus vite encore dans ce domaine. Ces désaccords doivent être assumés comme tels, et je les assume comme le font les parlementaires qui soutiennent cette réforme. En revanche, je dois vous avouer ma perplexité – et j'emploie un euphémisme – devant la campagne de désinformation, largement relayée, portant par exemple sur l'organisation territoriale de nos juridictions.

Je voudrais revenir sur ce point emblématique. Il est vrai que lors des campagnes électorales de 2017 avait été avancée l'idée d'une carte judiciaire alignée sur la carte administrative : un tribunal de grande instance – TGI – par département et une cour d'appel par région. Je note d'ailleurs que le Sénat avait voté le principe du tribunal départemental en octobre 2017, à l'initiative du président de la commission des lois, Philippe Bas.

Lorsque j'ai ouvert les consultations sur les chantiers de la justice, j'ai reçu des centaines de contributions, en particulier de la part des élus mais, aussi, des professionnels. J'ai souhaité les prendre en compte car elles étaient profondément justes et j'ai donc décidé de maintenir dans son intégralité le maillage territorial des implantations judiciaires, soit 304 tribunaux d'instance, 164 tribunaux de grande instance et 36 cours d'appel.

Dans ce contexte, évoquer la création de « déserts judiciaires », comme on peut encore le lire ou l'entendre, est un moyen d'agiter les peurs alors que cette réforme entend maintenir le service de la justice au plus proche des usagers, voire même renforcer cette proximité.

Je comprends évidemment que ceux qui, il y a dix ans tout juste, ont fermé brutalement, sans concertation, des dizaines de juridictions en éprouvent encore quelque remords, mais jouer de ce mauvais souvenir pour susciter des peurs à un moment où le pays est traversé de mouvements profonds ne me paraît pas le meilleur service que l'on puisse rendre à la cohésion nationale.

Je le redis clairement : la fusion des tribunaux d'instance et des tribunaux de grande instance en « tribunaux judiciaires » est de nature administrative. C'est une réorganisation interne, sans la moindre incidence sur la carte des juridictions, dont aucune ne sera fermée. L'objectif de cette fusion est simple : faciliter les démarches des justiciables, qui n'auront plus à se demander, selon la nature du litige, s'ils doivent saisir le tribunal d'instance ou le tribunal de grande instance. Désormais, ils s'adresseront au tribunal judiciaire aussi bien par exemple en matière familiale que pour un crédit à la consommation, ce qui n'était pas le cas auparavant.

Les actuels tribunaux d'instance, rebaptisés tribunaux de proximité, continueront de juger les mêmes affaires qu'aujourd'hui : celles du quotidien. Il n'y aura aucun recul de la justice de proximité et du quotidien. Mieux encore, d'autres affaires, jusqu'alors jugées dans les tribunaux de grande instance, pourront l'être désormais dans les tribunaux de proximité, à l'initiative des chefs de juridiction. Ainsi, en fonction des besoins, le chef de juridiction pourra décider que le traitement du contentieux de la garde des enfants, jugé aujourd'hui exclusivement dans les tribunaux de grande instance, pourra être traité dans les tribunaux de proximité, ce qui facilitera grandement l'accès à la justice pour les personnes éloignées géographiquement d'un tribunal de grande instance.

Sur la spécialisation des tribunaux judiciaires dans les départements qui en comptent plusieurs, rien ne sera imposé par le ministère de la justice. Il s'agit de susciter des projets locaux en concertation avec les acteurs judiciaires pour créer dans plusieurs points du département des pôles de compétence sur des contentieux pointus, complexes et rares. Un amendement auquel le Gouvernement sera favorable le précisera mieux encore.

De même, dans seulement deux régions administratives, une expérimentation du même ordre sera possible entre cours d'appel, comme nous en étions d'ailleurs convenus avec des représentants de la profession d'avocat, avec laquelle nous avons d'ailleurs beaucoup discuté sur ce sujet comme sur d'autres.

Telle est la réalité de ce texte. Il ne comporte aucun vice caché ni aucune intention dissimulée. Je l'ai dit, je le dis à nouveau et je le dirai aussi longtemps que nécessaire : il n'y aura aucune fermeture de juridiction, il n'y aura aucune dévitalisation des juridictions existantes, il n'y aura aucune coquille vide, aucun désert judiciaire, tout simplement parce que cette majorité n'a pas fait ce choix-là. Je ne suis pas comptable des choix des majorités qui nous ont précédés, comme je ne suis pas comptable des choix qui seront faits par les majorités qui se succéderont à l'avenir, mais je suis comptable des choix faits par ce gouvernement, soutenus par cette majorité, sous l'autorité du Président de la République, et ce choix est de maintenir intégralement le maillage des juridictions sur nos territoires. Affirmer le contraire, c'est manquer à la vérité.

Je voudrais maintenant revenir sur ce qu'apportera cette réforme ambitieuse de notre justice pour les justiciables, car c'est avant tout à eux que je souhaite m'adresser.

Cette réforme apporte tout d'abord des moyens considérables, qui montrent à quel point nous sommes loin d'une logique comptable, contrairement à ce que certains affirment. Avec 1,6 milliard d'euros et 6 500 créations d'emplois en cinq ans, je ne vois sincèrement pas où se situerait la logique comptable ! Nous sommes en passe de finaliser une programmation de l'immobilier judiciaire sur la base des moyens que le Parlement nous donnera à partir de ce texte. Vous en serez naturellement les premiers informés, avec les élus locaux concernés, et vous verrez, noir sur blanc, que l'État investira partout, parce que nous croyons à l'importance du maillage territorial de nos juridictions.

Cette réforme, c'est aussi la création de 15 000 places de prisons supplémentaires : 7 000 livrées et 8 000 lancées dès 2022. Elle ouvre la voie à des établissements diversifiés, avec, par exemple, des structures d'accompagnement vers la sortie permettant une prise en charge adaptée pour faciliter la réinsertion des détenus.

Avec cette réforme et cette loi de programmation, c'est aussi le passage à l'ère numérique que nous ouvrons. Là où nos juridictions souffrent d'équipements informatiques obsolètes et continuent à manipuler des dossiers papiers, comme au XIXe siècle, nous allons offrir aux magistrats et aux personnels des ultra-portables, des réseaux haut débit et des procédures dématérialisées tout en garantissant l'accueil physique de tous les justiciables. Ce déploiement a déjà commencé.

Les dispositions relatives à la procédure civile entendent simplifier la vie des citoyens dans la justice du quotidien. Cette simplification se traduit par exemple par une procédure de divorce plus rapide tout en maintenant les garanties que l'on doit attendre du juge. Cet élément-là est éminemment concret.

La simplification passe également par le renforcement de la médiation pour tenter de trouver des solutions, là où cela est possible, avant de se lancer dans des procédures contentieuses.

Le projet propose aussi d'élaguer les obligations, aujourd'hui inutiles, imposées aux majeurs protégés. À ces majeurs seront reconnus d'ailleurs de nouveaux droits, comme le droit de vote.

Nous faisons aussi le choix de l'expérimentation pour tester des procédures qui fonctionnent bien ailleurs et pourront éventuellement éviter un parcours judiciaire inutilement long et complexe, par exemple pour les révisions des pensions alimentaires les plus simples. Cette expérimentation sera naturellement évaluée avec soin. Notre objectif, notamment, est de faciliter la vie des parties les plus faibles, avec la possibilité de saisir un juge quoi qu'il arrive.

Sur le plan pénal, notre objectif est de renforcer la protection des Français en tenant compte de l'évolution de la délinquance et en harmonisant des procédures qui peuvent aujourd'hui manquer de clarté, tout en maintenant bien entendu la garantie des droits. Les pouvoirs reconnus aux magistrats du parquet, qui agissent, je le rappelle, à charge et à décharge, sont toujours exercés sous le contrôle du juge des libertés et de la détention. Les mesures de simplification proposées dans ce cadre sont nombreuses. À titre d'exemple, je cite les amendes forfaitaires pour les usages de stupéfiants constatés par les policiers ou les gendarmes. J'ouvre aussi la possibilité pour les victimes de déposer des plaintes en ligne, uniquement si elles le souhaitent. Je suis persuadée qu'ainsi, le premier pas vers la recherche d'un coupable sera peut-être plus facile à franchir, notamment pour les femmes victimes de violences sexuelles.

L'expérimentation de la cour criminelle dans dix départements permettra d'éviter la correctionnalisation de certains crimes, comme le viol. Enfin, l'attention que nous portons aux victimes nous a conduits à créer une juridiction dédiée aux victimes du terrorisme pour simplifier un parcours aujourd'hui trop long. La prise en compte de la menace terroriste nous a également conduits à créer un parquet national antiterroriste spécialement dédié pour mieux assurer la sécurité des Français ce qui, vous le savez, est notre priorité.

Redonner du sens à la peine est aussi l'un des axes forts de ce texte. Si l'on devait résumer notre projet en trois mots sur ce point, ce serait : punir, protéger, réinsérer.

Ceux qui doivent effectuer une peine d'emprisonnement utile doivent réellement effectuer la peine qui a été prononcée et non, comme aujourd'hui, la voir aménagée dans des conditions que ni les auteurs, ni les victimes ne comprennent. En revanche, les peines de prison inférieures à six mois sont inefficaces, désocialisantes et facteur de récidive. Ce texte fait donc le choix de supprimer les peines de prison inférieures à un mois et de proposer un éventail de peines possibles là où, aujourd'hui, on condamne à de courtes peines de prison. Cela passe par des sanctions diversifiées et adaptées, avec le développement du travail d'intérêt général, de la détention à domicile sous surveillance électronique et d'autres types de peines.

Enfin, concernant la justice des mineurs, le Gouvernement a choisi d'ouvrir un chantier considérable en sollicitant une habilitation du Parlement pour réviser l'ordonnance de 1945. Ce faisant, nous avons devant nous un calendrier, certes contraint…

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